Émeutes de l’été dernier : le Sénat invite à revoir la place des polices municipales

La mission d’information constituée par la commission des Lois du Sénat pour "comprendre, évaluer et réagir" après les émeutes de juin 2023 a présenté ses conclusions ce 10 avril. Elle confirme l’ampleur et l’intensité inédite du phénomène, dont elle craint qu’il ne soit appelé à se représenter "très rapidement", et met en lumière l’absence de préparation d’une réponse policière au contexte émeutier. Elle dresse plusieurs recommandations pour y remédier, au sein desquelles les polices municipales prennent une bonne place.

"Un déferlement de violences inédit par son ampleur et son intensité", avec "le risque que de nouveaux phénomènes - le cas échéant plus localisés - de violences ou d’émeutes urbaines pourrait, à l’avenir, se présenter très rapidement". Telle est la conclusion que dresse la mission d’information sénatoriale, dotée de prérogatives de commission d’enquête, sur les émeutes de l’été 2023, aux termes de ses travaux présentés à la presse ce 10 avril 2024 (le rapport ne sera disponible qu’en fin de semaine). Des émeutes "sans commune mesure" avec celles, "pourtant majeures, que notre pays a connues en 2005", pointe la commission. 

Un degré de violence jamais vu

D’abord du fait d’un "rapport décomplexé à la violence" et d’un "degré d’organisation et de désinhibition déconcertant", avec "l’apparition de véritables techniques de guérilla urbaine". Ce que traduit le nombre de victimes et de dégradations en résultant : 2 morts, plus d’un millier de blessés, dont 782 agents des forces de l’ordre et 3 sapeurs-pompiers, "une vague d’agressions et d’attaques directes contre les élus – et singulièrement les maires – sans précédent" d’un côté ; 16.400 sinistres déclarés aux assureurs, une estimation de 1 milliard d’euros de dommages aux biens, 2.508 bâtiments incendiés ou dégradés, parmi lesquels 273 bâtiments des forces de l’ordre, 105 mairies et 243 écoles, ou encore quelque 1.500 commerces vandalisés et/ou pillés de l’autre. "Plusieurs parties du territoire étaient prêtes à en découdre", insiste le sénateur François-Noël Buffet (LR, Rhône), qui présidait la mission.

Une extension géographique inédite

Ensuite du fait d’une nette extension géographique du phénomène, qui a touché au moins 672 communes, de 95 départements différents, en affectant cette fois des villes moyennes, voire rurales. Si "les violences ont débordé les seuls quartiers considérés habituellement comme sensibles, la présence d’un quartier prioritaire de la ville reste cependant fortement corrélée à la survenue des émeutes", observe le rapport. 

Une extension qui s’est jouée en deux actes : après une première phase qualifiée d’"émotionnelle", directement liée à la mort de Nahel Merzouk, concentrée dans les banlieues des grandes métropoles et où les violences visaient principalement les forces de sécurité intérieure et tout ce qui représente les autorités (y compris les biens publics), s’opère un "basculement vers une phase insurrectionnelle, marquée par une expansion territoriale fulgurante", avec une "vague de destructions et de pillages sans précédent, mêlant comportements opportunistes et déchainements aveugles de violence". Le tout facilité par les réseaux sociaux, qui ont joué "un rôle déterminant" dans l’extension et l’organisation du mouvement.

Une absence de préparation d’une réponse policière au contexte émeutier

Le rapport conforte ici des enseignements déjà dressés, notamment par la mission commune IGA/IGJ (v. notre article du 18 septembre 2023). Son apport vaut surtout par son éclairage sur la réponse institutionnelle face à ces événements. Principal constat, que résume le sénateur Buffet d’une phrase : "On s’est fait surprendre." La mission souligne qu’"aucune préparation en amont d’une réponse policière coordonnée et nationale spécifique au contexte émeutier n’avait été établie". Elle relève que "pour la première fois, des forces d’interventions spécialisées ont été mobilisées sur des opérations éloignées de leur champ d’action traditionnel, sans véritable doctrine d’emploi préalablement établie". 

Les polices municipales, "un complément, pas un substitut"…

Ce qui conduit la mission à formuler diverses propositions pour y remédier. Première d’entre elles, l’établissement d’un "schéma national de maintien et de rétablissement de l’ordre public en contexte émeutier", incluant une doctrine d’emploi des forces spéciales et une coordination avec les polices municipales. Des polices municipales qui doivent, selon la mission, "constituer en cas d’émeutes un complément qui ne doit pas s’apparenter à un substitut". On se souvient que l’emploi de ces dernières avait été à géométrie variable, en fonction des conceptions politiques différentes des municipalités (v. notre article du 20 juillet 2023). Des différences que l’on retrouve d’ailleurs dans le Beauvau des polices municipales en cours (v. notre article du 5 avril). 

… qui tendrait néanmoins à s’élargir

Les propositions concrètes de la mission en la matière ne manqueront ainsi pas d’être discutées :

• réviser les conventions de coordination des interventions de la police municipale et des forces de sécurité de l’État pour intégrer des procédures spécifiques en cas d’émeutes ; 

• faciliter lors de tels événements le déploiement de patrouilles mixtes "afin d’assurer la présence de tous les acteurs du continuum de sécurité en cas de crise", mais aussi confier aux policiers municipaux, sous l’autorité directe du procureur de la République et après accord du maire et formations adéquates, des prérogatives de saisie de biens dangereux (mortiers d’artifices, armes par destination) ;

• encourager l’organisation de formations communes entre la police nationale, la gendarmerie nationale, et le cas échéant les polices municipales pour la gestion des émeutes ;

• aligner les prérogatives de police judiciaire de la police municipale sur celles conférées aux gardes champêtres, direction également proposée naguère par la Première ministre Élisabeth Borne (v. notre articledu 26 octobre 2023) ;

• instituer une doctrine pour l’équipement et le matériel des agents des polices municipales et des gardes champêtres. La mission propose en outre dans ce cadre de garantir l’homologation des matériels et équipements qu’ils utilisent afin de permettre une centralisation des achats, possibilité qui serait offerte aux maires, mais aussi de dématérialiser leurs agréments de port d’armes. Elle propose encore de réfléchir à une évolution de l’équipement des armes non létales de policiers municipaux dans le cadre du schéma national de maintien et de rétablissement de l’ordre public en contexte émeutier et d’instituer lors de telles périodes une procédure simplifiée de réapprovisionnement en munitions et équipements, sous l’égide du service central des armes et explosifs du ministère de l’Intérieur. En ce domaine, on notera que la mission propose par ailleurs de renforcer les capacités de production des munitions et des armements, qui ont pu faire défaut pendant les émeutes de 2023.

Renforcer le déploiement de la vidéoprotection

La mission propose également de faciliter le déploiement de la vidéoprotection au sein des communes, "y compris rurales ou de petite taille". Et ce, en renforçant les moyens dédiés dans le cadre du fonds interministériel de prévention de la délinquance (v. notre article du 25 mars) – dont l’enveloppe est d’ailleurs jugée "sous évaluée" par les associations d’élus (v. notre article du 18 octobre 2023), en permettant une prise en charge partielle des coûts de sa maintenance mais aussi en simplifiant la procédure de raccordement des caméras au centre municipal de visionnage et aux commissariats locaux. 

Conforter la place des élus locaux

La mission recommande encore de "conforter" la place des élus locaux dans la gestion des émeutes. Un renforcement somme toute limité, puisqu’il est proposé, d’une part, d’assurer l’information systématique du maire quant aux interventions organisées sur le territoire de sa commune, "singulièrement celles lourdes ou à effet médiatique fort et permettre sa présence, en qualité d’officier de police judiciaire, aux centres territoires de crise et aux réunions locales de sécurité. D’autre part, de "faciliter la formation des élus locaux à la conduite à tenir face à des jeunes violents". À en juger par l’expérience du maire de L'Haÿ-les-Roses (Val-de-Marne) Vincent Jeanbrun, il faudra peut-être étendre cette dernière à la famille des élus.

Réguler les réseaux sociaux et la vente des mortiers d’artifice

Parmi les autres propositions, on notera la volonté de mieux contrôler les réseaux sociaux et leurs utilisateurs - notamment en proposant de désactiver certaines fonctionnalités lorsque l’état d’urgence est déclaré, ce qui pour mémoire fut le cas en 2005, mais pas en 2023. Ou celle d’endiguer un phénomène jugé "nouveau" : l’utilisation détournée des mortiers d’artifice. Un constat qui laisse quelque peu pantois, cette pratique étant à déplorer depuis longtemps (v. notre article du 5 novembre 2019), sans que l’on parvienne jusqu’ici à y mettre fin (v. notre article du 10 juillet 2023). On relèvera encore la proposition visant à favoriser le développement de travaux d’intérêt général en lien avec les collectivités pour sanctionner les mineurs ayant commis des dégradations volontaires, autre marronnier s’il en est (v. notre article du 6 juin 2023). On notera enfin que la mission déplore le fait que le gouvernement ait retenu la voie des ordonnances pour favoriser une reconstruction rapide (v. notre article du 14 septembre 2023) : "Cet outil est apparu peu exploité, moins d’une commune sur cinq interrogées par la mission d’information ayant déclaré avoir fait usage de ces dérogations." Des dérogations qui semblaient inutiles, puisque la mission estime "la part des bâtiments publics ayant déjà été remis en état à 80%".