Emissions de gaz à effet de serre : nouvel avertissement du Conseil d’Etat au gouvernement

Dans une décision rendue ce 10 mai sur l'affaire de la commune de Grande-Synthe, le Conseil d'Etat exige du gouvernement qu'il prenne de nouvelles mesures pour réduire les émissions de gaz à effet de serre d'ici un an.

Le gouvernement vient à nouveau d'être rappelé à l'ordre par le Conseil d'Etat en matière climatique, dans le cadre de l'affaire de la ville de Grande-Synthe. En 2019, cette commune du Nord, située sur le littoral et voisine de Dunkerque, avait saisi la haute juridiction administrative pour "inaction climatique", estimant qu'elle était menacée de submersion. Le Conseil d'Etat lui avait donné raison en juillet 2021, laissant neuf mois à la France pour "prendre toutes mesures utiles" afin d'infléchir "la courbe des émissions de gaz à effet de serre" "pour respecter l'Accord de Paris et les engagements européens repris par le législateur français" (-40% d'ici à 2030 par rapport à leurs niveaux de1990).

Pas d'astreinte financière

Après avoir une nouvelle fois statué pour vérifier si les actions menées traduisaient une exécution correcte de sa décision, "le Conseil d'Etat ordonne aujourd'hui au gouvernement de prendre de nouvelles mesures d'ici le 30 juin 2024, et de transmettre dès le 31 décembre un bilan d'étape détaillant ces mesures et leur efficacité", a-t-il indiqué, suivant ainsi les conclusions du rapporteur public. Il n'a toutefois pas retenu d'astreinte financière contre le gouvernement.

"Le Conseil d'Etat estime que, si des mesures supplémentaires ont bien été prises et traduisent la volonté du gouvernement d'exécuter la décision, il n'est toujours pas garanti de façon suffisamment crédible que la trajectoire de réduction des émissions de gaz à effet de serre puisse être effectivement respectée", précise-t-il dans un communiqué ce 10 mai. La décision enjoint ainsi à "la Première ministre de prendre toutes mesures supplémentaires utiles pour assurer la cohérence du rythme de diminution des émissions de gaz à effet de serre" avec la trajectoire de réduction que le pays s'est fixée. Le Conseil d'Etat note par ailleurs que l'Union européenne a approuvé un nouvel objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre, de -55 % en 2030, ce qui se traduira par un objectif plus ambitieux pour la France.

La décision du Conseil d'Etat reprend les mesures mises en avant par le gouvernement : interdiction de l'installation des chaudières au fioul ou au charbon, développement des énergies renouvelables et nucléaires, promotion des véhicules électriques...Mais "il demeure des incertitudes persistantes" sur la crédibilité des mesures gouvernementales pour atteindre "un rythme de diminution des émissions (...) cohérent avec les objectifs" pour 2030, souligne la décision.

"Confirmation du désaveu précédent"

"Pour nous c'est clairement un nouveau désaveu, en tout cas une confirmation du désaveu précédent", a réagi auprès de l'AFP Jérémie Suissa, délégué général de Notre affaire à tous, qui faisait partie des requérants aux côtés d'autres ONG (Greenpeace et Oxfam), ainsi que de la ville de Paris. "L'idée n'est pas de dire que l'Etat ne fait rien du tout mais de dire que ce qui est fait est largement insuffisant", a-t-il souligné.

"Le Conseil d'Etat entérine la défaillance du gouvernement et l'esbroufe qu'il organise autour de son (in)action climatique. À un moment où la France traverse un épisode de sécheresse inédit, après un été 2022 marqué par des incendies catastrophiques, le gouvernement a le devoir de réagir, et vite", ont réagi les ONG dans un communiqué.

La décision du Conseil d'Etat "s'inscrit dans la lignée des grandes décisions rendues par les Cours suprêmes du monde entier pour contraindre les Etats, mais aussi les entreprises, à agir de manière efficace et à sortir de la communication en matière de lutte contre le dérèglement climatique", a salué Corinne Lepage, avocate de la commune de Grande-Synthe.

Une affaire distincte avait été portée devant le tribunal administratif de Paris en 2019 par les ONG réunies sous la bannière "l'Affaire du siècle". En février 2021, le tribunal leur avait donné raison, déclarant l'Etat "responsable" de manquements à ses engagements et du "préjudice écologique" qui en découle. Puis, en octobre de la même année, la justice avait ordonné que ce dépassement soit compensé le "31 décembre 2022, au plus tard", ouvrant la voie à une prochaine relance de cette affaire par les ONG. "On va pouvoir d'ici un mois maximum déposer dans l'Affaire du siècle un mémoire lié à l'échéance du 31 décembre", a indiqué Jérémie Suissa ce 10 mai.