Énergie : le Sénat adopte en deuxième lecture une proposition de loi Gremillet "délestée"

Le Sénat a adopté, ce 8 juillet, en deuxième lecture, une proposition de loi Gremillet de programmation nationale de l'énergie "recentrée sur le volet programmatique". Le texte doit désormais être de nouveau examiné par l'Assemblée les 22 et 23 septembre prochains, puis lors d'une commission mixte paritaire attendue "aux alentours de la mi-octobre". Soit, vraisemblablement, après la publication par décret de la nouvelle programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE), promise par le gouvernement "avant la fin de l'été". Au grand dam des sénateurs.

Loin des péripéties de l'Assemblée (lire notre article du 25 juin dernier), la proposition de loi Gremillet portant programmation nationale et simplification normative dans le secteur économique de l'énergie a été adoptée, en deuxième lecture, à une très large majorité – 221 voix pour (LR, UC, Liot, RDPI pour l'essentiel), 100 abstentions (les groupes socialiste et communistes pour l'essentiel et 24 contre (le groupe écologiste principalement) – par le Sénat, ce 8 juillet.

Délestage

Dans la droite ligne de son examen en commission (lire notre article du 2 juillet dernier), les sénateurs ont fait le choix en séance publique de "recentrer le texte sur le volet programmatique", dixit la présidente de la commission des affaires économiques, Dominique Estrosi-Sassone (Alpes-Maritimes, LR). Et ce, avec l'espoir de faciliter son examen – et son adoption – par l'Assemblée nationale, en deuxième lecture, les 22 et 23 septembre prochains. 

Un "recentrage" facilité, d'une part, par le rejet du texte par les députés, lequel a fait "tomber" les mesures que ces derniers avaient préalablement introduites, parmi lesquelles l'introduction d'un moratoire sur le déploiement des énergies renouvelables ; et, d'autre part, par la "règle de l'entonnoir", qui pose que "les adjonctions ou modifications qui peuvent être apportées après la première lecture […] doivent être en relation directe avec une disposition restant en discussion".

Résistance

Les corapporteurs du texte n'avaient ainsi déposé que 6 amendements – "5 rédactionnels et 1 substantiel" sur le texte adopté en commission. In fine, sur les près de 200 amendements déposés, seule une vingtaine ont été adoptés. Parmi lesquels :
- la prise en compte des coûts de transport de l'électricité dans la définition du coût complet de cette dernière, amendement adopté contre l'avis du gouvernement ;
- la révision à la baisse de l'objectif d'installation de capacités de production d'hydrogène décarboné produit par électrolyse ("au moins 4,5 gigawatts" à l'horizon 2030, contre 6,5 précédemment, et 8 GW à l'horizon 2035, contre 10 précédemment), afin de tenir compte de la mise à jour de la stratégie nationale hydrogène opérée par le gouvernement au printemps dernier (lire notre article du 16 avril). Un amendement là encore adopté contre l'avis du gouvernement, lequel entendait remplacer la formulation "au moins" par "jusqu'à" pour être parfaitement conforme à la rédaction de ladite stratégie ;
- l'intégration de l'objectif de production de 2 TWh de froid livrés par les réseaux en 2030, prévu par le dernier projet de programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) soumis à consultation publique (lire notre article du 10 mars dernier), dans l'objectif plus large de chaleur renouvelable et de récupération et de froid livrés par les réseaux – amendement déposé par le gouvernement ;
- l'intégration d'un objectif de production d'environ 50 TWh de biogaz en 2030, amendement adopté contre l'avis du gouvernement, le ministre chargé de l'énergie, Marc Ferracci, considérant, ici, que "la loi ne devrait pas fixer des objectifs sectoriels en matière de capacité" ;
- le maintien de la mention existante relative au développement de la production d'énergie hydraulique d'une part, et de celle relative au développement de la production d'électricité issue d'installations agrivoltaïques d'autre part, dans les objectifs de la politique énergétique nationale fixés dans le code de l'énergie ; amendements auxquels le gouvernement était là encore défavorable.

Manque d'adéquation

Plus largement, il semble que le courant ne passe décidément par entre le gouvernement et le Parlement sur cette question de l'énergie. En préambule de l'examen du texte, le ministre Marc Ferracci a en effet "rappelé une ambition claire du gouvernement […], rappelée par le Premier ministre, au mois de mai [ndlr : en avril ; lire notre article du 29 avril] : il s'agit de publier la programmation pluriannuelle de l'énergie [par décret] avant la fin de l'été". Or le matin même, en conférence de presse, Dominique Estrosi-Sassonne et Daniel Gremillet avaient lourdement insisté pour que "le gouvernement ne décide pas de mettre en place la PPE par décret avant que le texte n'arrive au terme de son cheminement législatif". 

Lequel ne devrait pas intervenir avant le début de l'automne, puisque la commission mixte paritaire (CMP) devrait se tenir "aux alentours de la mi-octobre", a précisé la première. "Les débats à l'Assemblée ont confirmé que tout décret sans assise législative rend le tout très fragile. [Publier la PPE] sans un vote de la loi donnerait une grande fragilité dans les choix [que la PPE] pourrait contenir", avertit le second. 

Courant alternatif

Publier la PPE sans délai, "c'est indispensable pour donner de la visibilité aux porteurs de projets […]. Sans cette visibilité, il n'y a pas de confiance. Sans confiance, il n'y a pas d'investissement et sans investissement, il n'y a ni réindustrialisation, ni souveraineté énergétique […]. [Cette PPE] est attendue avec impatience", argue le ministre. 

Les sénateurs n'en disconviennent pas. Bien au contraire. Dominique Estrosi-Sasonne a ainsi beau jeu de rappeler que c'est parce que le Parlement "ne voyait rien venir", parce qu'il n'y avait "pas de projet gouvernemental de loi quinquennale sur l'énergie" – laquelle, pour mémoire, aurait dû être adoptée au plus tard le 1er juillet… 2023 – que la décision a été prise, à la suite de très nombreux travaux", par la commission des affaires économiques du Sénat de déposer ce texte (lire notre article du 17 octobre 2024). Et la parlementaire de rappeler encore que ce dernier a été "voté par le Sénat le 16 octobre dernier", et que depuis "il y a eu un laps de temps où il ne s'est rien passé, jusqu'à ce que le gouvernement prenne l'initiative d'organiser deux débats sur l'énergie à l'Assemblée et au Sénat, fin avril, début mai" (lire notre article du 7 mai dernier), puis ne se décide à inscrire le texte à l'ordre du jour de l'Assemblée "tout récemment, au mois de juin". 

Et ce, sans "procédure accélérée, ce qui est un peu inhabituel aujourd'hui", ajoute-t-elle. Non sans raison, puisque cette dernière procédure dérogatoire est désormais la règle, et l'examen "normal" l'exception, comme l'avait promis le candidat Macron en 2017 ("Nous ferons de la procédure d'urgence la procédure par défaut d'examen des textes législatifs afin d'accélérer le travail parlementaire"). "Nous avions demandé une procédure accélérée au gouvernement, qui l'a refusé", appuie Alain Cadec, corapporteur du texte (Côtes-d'Armor, LR). "Je ne veux pas être méchant, mais tout est en urgence dans ce pays et soudainement, le seul dossier qui est pourtant important pour la France, l'énergie, ne l'est pas. Si nous avions eu la même règle que tous les autres textes, nous serions peut-être déjà en CMP", grince Daniel Gremillet.

 

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