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Entretien des routes : la Cour des comptes redoute une fragmentation des responsabilités

Dans un rapport publié ce 10 mars, la Cour des comptes s'inquiète du risque accru de fragmentation de la compétence routière induit par la décentralisation progressive du réseau routier national. Avec la loi 3DS, les régions vont pouvoir à leur tour devenir gestionnaire d'un réseau. Mais pour la Cour, l'évolution vers un modèle d'organisation complexe dans lequel les responsabilités sont réparties entre tous les niveaux de collectivités publiques, s'est faite sans réflexion sur le nouveau rôle de l’État en matière de politique routière. Les Sages pointent aussi l'insuffisance des outils de pilotage et de programmation en matière d'entretien et d'investissement. Ils préconisent une réforme du mode de gestion, l’adaptation des niveaux de service, de même qu’une meilleure connaissance des besoins grâce à des indicateurs plus précis et plus pertinents, qui pourraient contribuer à d’importants gains d’efficacité.

En matière de politique routière, "la France évolue vers un modèle complexe, assez rare en Europe, sans que cette transformation ait donné lieu à une réflexion sur le nouveau rôle de l’État", relève la Cour des comptes dans un rapport publié ce 10 mars. Le réseau routier français, l’un des plus longs et denses d’Europe - environ 1,1 million de km au total - est aujourd'hui géré en grande partie par les collectivités territoriales - près de 380.000 km par les départements et plus de 700.000 km par les communes. Cette répartition fait suite à plusieurs vagues de décentralisation au bénéfice des départements, que la loi 3DS adoptée en février dernier a vocation à poursuivre, en permettant à une nouvelle catégorie de collectivités - les régions - de devenir à leur tour gestionnaire d’un réseau. "La mise en œuvre de ce transfert partiel du réseau routier national, qui accorde une grande place à la négociation entre les collectivités locales et l’État, voire entre collectivités, va accroître la fragmentation de la compétence routière", alerte la Cour.

Manque d'outils de pilotage

"Dans ce contexte de décentralisation progressive du réseau routier national, l’État reste - de par la loi - le garant de la cohérence et de l’efficacité de l’ensemble du réseau, rappelle-t-elle. Or, il ne s’est pas donné les moyens indispensables à l’exercice de cette responsabilité. Ainsi, il ne dispose pas d’informations suffisantes sur la voirie des collectivités locales, leur état, leur entretien et leur usage." En outre, pointent les Sages, "le réseau scientifique et technique (RST), constitutif de l’expertise en matière routière, a vu ses effectifs réduits de moitié ces vingt dernières années, affaiblissant la capacité de l’État à assurer sa mission de conseil et d’appui". "Ce déficit de stratégie nationale se traduit notamment par la faible place qu’occupe la question des infrastructures dans la politique de sécurité routière : en effet, si les routes elles-mêmes constituent rarement la principale cause des accidents, leur entretien et leur aménagement pourraient jouer un rôle important dans la réduction des risques", estime la Cour. Dans cette perspective, elle suggère de placer la délégation à la sécurité routière sous la tutelle conjointe des ministres de l’Intérieur et des Transports.
Par ailleurs, "la protection de l’environnement et le changement climatique donnent lieu à des pratiques diverses et non coordonnées. La mise en œuvre d’une véritable politique routière nationale, fondée à la fois sur la connaissance de l’ensemble des réseaux au moyen d’une remontée obligatoire de données, et sur la remise à niveau du RST, doit être menée en concertation avec les collectivités territoriales". La Cour préconise ainsi un système d'information partagé État-départements.
Autre sujet de préoccupation : "l’insuffisance des outils de pilotage et de programmation". "Afin d’améliorer l’évaluation annuelle de l’état des chaussées du réseau national - dont l’État assure un suivi régulier depuis les années 1990 -, le ministère des Transports avait décidé de recourir à un dispositif plus perfectionné, reposant sur l’imagerie 3D et la géolocalisation, rappelle le rapport. Malheureusement, sa mise en œuvre s’est heurtée à nombreuses difficultés qui ont empêché une évaluation objective pendant plusieurs années."

Difficulté à évaluer l'état des réseaux départementaux

En outre, l’information sur les routes nationales rendue publique dans les documents budgétaires annuels est jugée "trop limitée". "S’agissant des réseaux départementaux, les contrôles menés par les juridictions financières ont montré que seuls 40% des départements de l’échantillon avaient réalisé une campagne d’évaluation de l’ensemble de leurs chaussées, constate la Cour. Au total, il est donc difficile de juger de l’état actuel de ce patrimoine."
"Son entretien et son exploitation restent encore trop souvent des variables d’ajustement, en fonction de la situation financière ou d’autres priorités d’investissement, relève-t-elle. Malgré les progrès d’une démarche pluriannuelle, la programmation, dans les collectivités locales, demeure souvent empirique, parfois même encore réduite à une répartition forfaitaire entre territoires. Sa formalisation pourrait provenir de la présentation de plans pluriannuels dans les rapports d’orientations budgétaires présentés aux assemblées délibérantes."
Pour une "efficience accrue", des réformes et des réorganisations sont jugées nécessaires par les Sages. L’organisation actuelle du réseau national non concédé en France, où l'État demeure à la fois propriétaire, stratège, régulateur et opérateur est devenue "une originalité en Europe", observent-ils. Ils estiment que le suivi de la qualité du service perçue par les usagers et une meilleure association de ces derniers à la collecte de données de terrain, pourraient "faciliter l’adaptation aux besoins réels de niveaux de service (fréquence des patrouilles, temps d’intervention sur incidents ou délai de 'retour au noir' après des chutes de neige etc.)". "À l’image de ce qui se pratique en Angleterre, ces démarches devraient inspirer l’ensemble des gestionnaires routiers - État comme collectivités territoriales."

Gains de productivité obtenus par des resserrements d'organisations

Le pilotage assuré par le ministère des Transports apparaissant "à la fois trop étroit, s’agissant de la programmation des opérations les plus importantes, et trop lâche au niveau des pratiques et de l’exploitation", la Cour voudrait que soit mise en place "une contractualisation pluriannuelle d’objectifs et de moyens entre administration centrale et services de gestion, afin d’améliorer l’efficience de l’ensemble de cette organisation". "Cette réforme du mode de gestion, l’adaptation des niveaux de service, de même qu’une meilleure connaissance des besoins grâce à des indicateurs plus précis et plus pertinents, pourraient contribuer à d’importants gains d’efficacité", estime-t-elle. Certains départements ont d'ailleurs su davantage adapter leurs objectifs, mais aussi leurs organisations, aux moyens disponibles, souligne-t-elle.
Le rapport met ainsi en avant les gains de productivité induits par les resserrements des organisations. Cela s'est traduit selon les départements par un regroupement de directions et de services, une diminution des niveaux hiérarchiques territorialisés, parfois même une réduction importante du nombre des centres routiers, qui constituent les cellules de base (Gard, Finistère, Aveyron, Nord, Somme, Savoie, Haute-Savoie, Moselle). "Dans le Nord, ce resserrement a permis de créer des postes spécialisés utiles (correspondants ouvrage d'art, gestionnaires du domaine public), d'atteindre la taille critique permettant des réinternalisations et de mieux faire face aux effets éventuels de l'absentéisme." L'investissement dans les applications numériques, et le rajeunissement du matériel roulant font aussi partie des bonnes pratiques citées dans le rapport.
La Cour estime enfin que certaines dépenses d’entretien préventif permettent également de réaliser, à terme, d’importantes économies, en évitant des réparations beaucoup plus lourdes dans le futur. "Néanmoins, la situation actuelle appelle également une réflexion sur les ressources, pérennes, à affecter à ces besoins majeurs et durables, qui pourraient être éventuellement fondées sur l’usage de la route", conclut-elle.

 

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