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Épandages agricoles et confinement, une équation complexe

Être confiné à la campagne… mais pas trop près des champs. Une par une, plusieurs associations environnementales dénoncent, en ces temps de pandémie où les habitants peuvent moins facilement sortir, des épandages encore bien trop proches des lieux de résidence. La crainte des pesticides reste omniprésente.

En Gironde, ce sont les collectifs Info Médoc Pesticides et Alerte aux Toxiques qui demandent à ce que les pulvérisations de pesticides soient suspendues car "considérées comme non essentielles et aggravant la détresse respiratoire des personnes malades du Covid-19". En Bretagne, l’épandage de lisier qui conditionne l’apparition printanière d’émissions d’ammoniac, un polluant non réglementé dont il n’est pas obligatoire de mesurer les émissions, va être surveillé de plus près par Air Breizh qui renforce à cet effet son instrumentation. Côté pesticides, "la situation s’aggrave avec des réductions supplémentaires inadmissibles en cette période de confinement", insiste Générations futures dans un communiqué du 16 avril. L’association appelle à ce que les préfets interdisent ces pulvérisations pour ne pas "augmenter l’exposition des riverains à des produits toxiques et durcir les conditions de leur confinement".

Changement précipité des règles du jeu

Un nouveau dispositif réglementaire, fondé sur une instruction publiée en février dernier (voir notre article du 12 février), encadre cet épandage de pesticides à proximité des habitations. L’instruction en question s’appuie sur des préconisations scientifiques de l'Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) dont la principale nouveauté résidait dans une distance incompressible de 20 mètres "pour les substances les plus préoccupantes". Pour les produits moins dangereux, cette distance de sécurité descend à 10 mètres pour les cultures hautes, telles que les vignes ou les arbres fruitiers, et à 5 mètres pour celles dites basses (céréales par exemple). La conclusion de chartes d’engagements des utilisateurs établies à l’échelle départementale peuvent permettre de réduire ces distances de sécurité fixées par un arrêté interministériel de décembre dernier, à la condition notamment d’avoir recours à des moyens de réduction de la dérive de pulvérisation.
Mais la pandémie et le confinement ont incité le ministère de l’Agriculture et de l'Alimentation à modifier les règles du jeu. Sur son site, ce ministère indique que "par dérogation et jusqu’au 30 juin prochain la réduction des distances à 5 et 3 mètres sera possible dans les départements dès lors que la concertation aura été lancée - sans attendre sa validation". Tous les agriculteurs peuvent donc appliquer ces réductions de distance dès lors que les chambres départementales ont soumis une charte aux préfectures. Ce que beaucoup ont fait.

Reporter les consultations

"Mais ces chartes dites de bon voisinage et rendues obligatoires par la loi Egalim sont proposées à la consultation du public dans certains départements sans aucune homogénéité dans les démarches ce qui rend extrêmement compliquée - surtout en cette période - la possibilité pour la société civile de participer réellement à ces consultations publiques. Au vu du contexte actuel, la période n’est pas propice à une consultation sereine et réellement démocratique des diverses parties prenantes", déplore Générations Futures, qui suggère de reporter ces consultations à une période ultérieure, en tout état de cause après la levée complète du confinement.
L'association Eau et Rivières de Bretagne l’a précédé en estimant, dès le 7 avril, "scandaleuse" la décision de revenir sur ces distances de sécurité minimales de 5 à 10 mètres, qu’elles jugeaient d’ailleurs déjà très insuffisantes, pour assurer la protection des riverains. Selon l’association, les préfets d’une vingtaine de départements ont accepté "en pleine crise sanitaire et sans aucune concertation" des chartes élaborées par le syndicat agricole FNSEA qui réduisent ces distances à 3 mètres pour les cultures basses et 5 mètres pour les cultures hausses.
Enfin, de son côté, l'association Respire a déposé le 7 avril un référé-liberté devant le Conseil d'État demandant "l'application immédiate des dispositions prévues en cas de pic de pollution, jusqu'à la cessation de l'état d'urgence sanitaire, même en deçà des seuils, en particulier dans le cadre des activités agricoles, qui restent, en ces temps de confinement, cause de pollution". L'association demande d'"étendre le champ d'application de l'arrêté du 7 avril 2016 réglementant les épandages lors des épisodes de pics de pollution, pour en faire une application immédiate et durant toute la pandémie", selon un communiqué.