Financement des Sdis : le bloc communal invité à délier sa bourse

Le ministère de l’Intérieur vient de rendre – discrètement – public le rapport de l’IGA sur le financement des Sdis. Jugeant le modèle "à bout de souffle", ses auteurs préconisent de déverrouiller et de remettre à plat la contribution des communes – qui serait intégralement payée par les intercommunalités – et de créer un fonds d’intervention dédié aux Sdis alimenté par une part de la taxe spéciale sur les contrats d’assurance, différente de celle reversée aux départements.

 

C’est sans communication aucune que le ministère de l’Intérieur a mis en ligne le 27 janvier dernier le rapport du gouvernement remis au Parlement en décembre sur le financement des services d’incendie et de secours. Prévu par l’article 54 de la loi Matras (v. notre article du 26 novembre 2021), ce rapport, rédigé par l’Inspection générale de l’administration en octobre, retrace à la fois les réalisations conduites depuis la départementalisation et les défis à venir.

Un système encore efficace mais "sous tension"

Les constats sont pour la plupart bien connus. À commencer par une activité qui s’est "nettement accrue depuis la départementalisation", notamment du fait de "sur-sollicitations" croissantes dans le domaine sanitaire, qui "ne relèvent pas toujours du secours d’urgence". Le tout dans des "contextes d’intervention plus difficiles" (entendre les violences dont les sapeurs-pompiers sont désormais régulièrement victimes – v. notre article du 12 décembre 2019). Conséquence : si le système "demeure efficace", il est plus que jamais "sous-tension". Et ce, en dépit de "l’incontestable modernisation d’ensemble" (de l’immobilier et du maillage territorial, des équipements, de la formation et de l’encadrement, de la planification, etc.) opérée depuis la départementalisation.

Des dépenses en forte augmentation depuis 20 ans

Sur le plan financier, c’est donc non sans logique que l’on observe une forte augmentation des dépenses depuis 2002 (surtout sur la période 2002-2012), passant de 3,4 à 5,39 milliards d’euros en 2021 (Paris et Marseille non comptabilisées). Si les rapporteurs soulignent là encore "l’important effort d’investissement engagé après la départementalisation" (infrastructures, matériels de secours et véhicules), ils observent que cette progression tient principalement à la croissance des dépenses de fonctionnement (83,5% du total en 2021). Et au sein de ces dernières, à celle des dépenses de personnel, "dont la prépondérance dans les finances des Sdis s’accroit" (elles représentent désormais 83% de ce sous-ensemble, contre 69% en 2002) et "rigidifie leurs marges de manœuvre" – ce qu’avait naguère dénoncé la Cour des comptes (v. notre article du 26 mars 2019). Ces dépenses sont portées par le renforcement des effectifs permanents et "plus largement" par l’augmentation des rémunérations, "conséquences des réformes statutaires et indemnitaires insuffisamment anticipées" (ce qui n’est pas toujours le cas – v. notre article du 22 septembre). Les auteurs mettent néanmoins en exergue le fait que l’augmentation globale des dépenses est comparable à celles du bloc communal (+48% entre 2003 et 2020) et des départements (+63%), ou encore à celles de la police nationale et de la gendarmerie (respectivement +37% et +24% entre 2006 et 2020). Ils soulignent par ailleurs que les charges à caractère général ont été maîtrisées et que l’encours de la dette n’a jamais été "préoccupant", relevant même un désendettement progressif depuis 2012.

Sombres perspectives

Pour autant, les perspectives n’invitent guère à l’optimisme. Les rapporteurs estiment que même "sans bouleversements de contexte, un effort supplémentaire pourrait être nécessaire pour le simple maintien à niveau des moyens". Las, on sait que de tels bouleversements sont déjà plus ou moins à l’œuvre. Ainsi du changement climatique, et de ses conséquences sur les incendies (v. notre article du 23 septembre)… ou les inondations. S’y ajoutent "le vieillissement de la population et les difficultés du secteur sanitaire", ou encore les crises sanitaires, l’émergence de sinistres nouveaux comme les feux de véhicule électrique, les "évolutions sociétales" qui affectent le volontariat, sans omettre la jurisprudence, qui menace ce dernier ou affecte le système de garde des professionnels (v. nos articles du 14 janvier 2020 et du 16 mars 2021). Liste non exhaustive.

Un modèle de financement "à bout de souffle"

Avec de tels "chocs déstabilisateurs, les dépenses à venir pourraient être considérables", mettent en garde les rapporteurs. Nécessaire, la maîtrise accrue de la dépense – en "développant davantage une culture de la gestion fondée sur la recherche d’économies", en renforçant la mutualisation des moyens (entre Sdis mais aussi entre Sdis et services du département), etc. – restera dans tous les cas insuffisante. Et ce quand bien même les rapporteurs suggèrent également d’exonérer au moins partiellement les Sdis de TICPE (taxe sur les carburants) ou de revoir le périmètre de l’assiette de la contribution au fonds pour l’insertion des personnes handicapées (le malus écologique, également évoqué, ayant depuis été supprimé – v. notre article du 25 janvier). Bref, on ne coupera pas à revoir un mode de financement jugé "à bout de souffle", voire selon l’ancien président de la Fédération nationale des pompiers de France (FNSPF), Grégory Allione, un modèle de sécurité civile "au bord de la rupture" (v. notre article du 26 septembre).

Renforcer la contribution d’un bloc communal "épargné"

Pour l’heure, ce financement est majoritairement apporté par les départements (51% du total), pour lesquels les Sdis représentent autour de 5% de leurs dépenses de fonctionnement. Les rapporteurs tiennent également à mettre en lumière la contribution de l’État, "peu visible et pourtant essentielle". Ils dépeignent en revanche un bloc communal "relativement épargné depuis 2002" (les Sdis représentant moins de 2% des dépenses de ce dernier), notamment du fait du "gel" des contributions (limitées à l’inflation). Même si les rapporteurs relèvent "la persistance de financements au-delà du gel" émanant de plusieurs communes, notamment via des subventions d’investissement ou la mise à disposition de terrains viabilisés (enseignement d’une enquête par l’IGA et Départements de France, dont le bilan est annexée au rapport). Aussi les rapporteurs préconisent-ils le déverrouillage des contributions communales, dont il est relevé qu’il "ne fait pas consensus". Cette remise à plat tiendrait notamment compte de l’évolution des risques et de la population, la question se posant "de manière accrue pour les départements à forte vitalité démographique ou sujets à de fortes variations saisonnières de l’activité", mais aussi pour ceux qui sont "confrontés à la désertification médicale et à la multiplication des événements liés au dérèglement climatique", dans lesquels les Sdis font face à une "surconsommation de leurs services". Et "le paiement pourrait être intégralement pris en charge par les intercommunalités", suggèrent les rapporteurs.

Un fonds d’intervention dédié, alimenté par la taxe sur les assurances

Autre piste, qui ne fait pas consensus, celle de la taxe spéciale sur les contrats d’assurance, dont une partie du produit est reversée aux conseils départementaux. Départements de France, parmi d’autres, voudrait voir cette contribution réévaluée (v. notre article du 14 octobre 2022). La question a donné lieu l’été dernier à un duel à fleurets mouchetés entre les promoteurs de cette revalorisation et le ministre Darmanin, qui y est hostile (v. notre article du 6 septembre 2022). Au passage, on relève que les rapporteurs de l’IGA tranchent la question de la nécessité de son reversement intégral (c’est la position du ministère), ou non, aux Sdis : "Il s’agit d’une dotation libre d’emploi pour les départements", enseignent-ils. Ils en concluent que ce principe interdit le fléchage direct aux Sdis de cette fraction de TSCA versée aux départements. Ils notent en outre que cette dernière "est toujours inférieure à la contribution départementale observée". "Quand j’entends répéter ces derniers mois, par le ministère de l’Intérieur, que les départements ne reverseraient pas la taxe spéciale sur les conventions d'assurances aux Sdis... Franchement ! On va bien au-delà, en réalité !", s'exclamait d'ailleurs le 18 janvier François Sauvadet, le président de l'association, lors de ses voeux. Les auteurs se prononcent en revanche en faveur de la création d’un fonds d’intervention pour les Sdis, alimenté par une partie croissante de la TSCA, voire par une fraction additionnelle de la taxe, "permettant de rétablir l’effort de l’État pour l’aide à l’investissement". Ils y voient "sans doute la meilleure façon de tenir compte des situations locales, des besoins et des risques, en proportion de l’effort des autres financeurs". D’autres solutions ne sont pas écartées, comme celle de la mobilisation de ressources fiscales particulières – une taxe additionnelle aux taxes locales, notamment la Teom, comme proposée en 2009 par l’Assemblée, mais refusée alors par le gouvernement (v. notre article du 10 décembre 2009) – ou une facturation plus importante des carences ambulancières. "Il conviendra d’apprécier si ces mesures permettent aux Sdis de reprendre la maîtrise de leurs moyens et de se recentrer sur les missions de secours", estiment les rapporteurs.