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Période de garde et temps de travail : la CJUE précise sa jurisprudence Matzak

La Cour de justice de l'Union européenne vient de préciser par deux arrêts sa jurisprudence Matzak sur les modalités de prise en compte des périodes de garde comme "temps de travail" ou "période de repos", en fonction des contraintes imposées – et des facilités accordées – au travailleur pendant ces gardes, mais aussi de la fréquence de ces dernières.

"Relève de la notion de 'temps de travail', au sens de la directive 2003/88, l’intégralité des périodes de garde, y compris celles sous régime d’astreinte, au cours desquelles les contraintes imposées au travailleur sont d’une nature telle qu’elles affectent objectivement et très significativement la faculté, pour ce dernier, de gérer librement, au cours de ces périodes, le temps pendant lequel ses services professionnels ne sont pas sollicités et de consacrer ce temps à ses propres intérêts." Et "inversement, lorsque les contraintes imposées au travailleur au cours d’une période de garde déterminée n’atteignent pas un tel degré d’intensité et lui permettent de gérer son temps et de se consacrer à ses propres intérêts sans contraintes majeures, seul le temps lié à la prestation de travail qui est, le cas échéant, effectivement réalisée au cours d’une telle période constitue du 'temps de travail'".

Dans deux arrêts rendus le 9 mars dernier, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) est venue préciser sa jurisprudence sur les modalités de prise en compte des périodes de garde comme temps de travail. La question est particulièrement suivie par les services départementaux d'incendie et de secours (Sdis) depuis la décision Matzak du 21 février 2018 (C 518/15) – qui concernait un sapeur-pompier volontaire belge – jugeant notamment que le temps de garde qu’un travailleur passe à domicile avec l’obligation de répondre aux appels de son employeur dans un délai de 8 minutes, restreignant très significativement les possibilités d’avoir d’autres activités, doit être considéré comme "temps de travail". Une ligne qu'avait suivie le Conseil d'État le 19 décembre 2019 pour un sapeur-pompier professionnel du Sdis du Loiret, dont le règlement intérieur prévoyait que les sapeurs-pompiers logés devaient être joignables à tout moment lors de leurs périodes de garde et être disponibles, en tenue, sous trois minutes.

L’un des deux arrêts du 9 mars concerne d’ailleurs à nouveau un sapeur-pompier, professionnel, chef de groupe exerçant au sein du service d’incendie et de secours de la ville d’Offenbach-sur-le-Main (Allemagne), l'autre ayant trait à un technicien slovène spécialisé dans les centres de transmission.

Brièveté du délai pour reprendre ses activités et fréquence des interventions

La Cour donne la marche à suivre aux juridictions nationales face à de tels contentieux. 

• Elles doivent vérifier les conséquences de "l’ensemble des contraintes" imposées au travailleur lors d'une période de garde "sur sa faculté de gérer librement le temps pendant lequel ses services professionnels ne sont pas sollicités et de se consacrer à ses propres intérêts", et notamment la brièveté du "délai dont dispose le travailleur […] pour reprendre ses activités professionnelles, à compter du moment où son employeur le sollicite", mais aussi "l’obligation pour le travailleur de demeurer à son domicile, sans pouvoir se déplacer librement, dans l’attente de la sollicitation de son employeur, ou celle d’être muni d’un équipement spécifique lorsque, à la suite d’un appel, il doit se présenter sur son lieu de travail". 

Elle précise que "seules les contraintes qui sont imposées au travailleur, que ce soit par la réglementation de l’État membre […], par une convention collective ou par son employeur" peuvent être prises en considération, et non "les difficultés organisationnelles […] qui sont, par exemple, la conséquence d’éléments naturels ou du libre choix" du travailleur. Ainsi notamment de "la distance importante séparant le domicile librement choisi par le travailleur de l’endroit qu’il doit être en mesure de rejoindre dans un certain délai au cours de sa période de garde", "à tout le moins lorsque cet endroit est son lieu de travail habituel". Par ailleurs, si le lieu de travail englobe ou se confond avec le domicile du travailleur, la seule circonstance que, au cours d’une période de garde donnée, ce dernier est tenu de demeurer sur son lieu de travail afin de pouvoir, en cas de besoin, être disponible pour son employeur ne suffit pas à qualifier cette période de "temps de travail".

• Les juridictions nationales doivent en sens inverse tenir compte des facilités accordées au travailleur, comme l’éventuelle mise à disposition d’un véhicule de service permettant de faire usage de droits dérogatoires au code de la route et de droits de priorité ou encore la faculté reconnue au travailleur de répondre aux sollicitations de son employeur sans quitter le lieu où il se trouve.

• Le tout devant être conjugué, "le cas échéant, à la fréquence moyenne des interventions que ce travailleur sera effectivement appelé à assurer au cours de cette période". Ainsi, "si le travailleur est, en moyenne, fréquemment appelé à fournir des prestations au cours de ses périodes de garde, prestations qui, en règle générale, ne sont pas de courte durée, l’intégralité de ces périodes constitue, en principe, du 'temps de travail'".

Périodes minimales de repos et rémunération

• Logiquement, la Cour relève que les périodes de garde qui ne satisfont pas aux conditions pour être qualifiées de "temps de travail" – à l’exception du temps lié aux prestations de travail effectivement réalisées – doivent être comptabilisées dans le calcul des périodes minimales de repos journalier et hebdomadaire. Pour autant, elle avertit : "Les employeurs ne peuvent instaurer des périodes de garde à ce point longues ou fréquentes qu’elles constituent un risque pour la sécurité ou la santé du travailleur, indépendamment du fait que ces périodes soient qualifiées de 'périodes de repos'".

• Évoquant par ailleurs à nouveau la question de la rémunération des services de garde, la CJUE rappelle qu'une réglementation d’un État membre, une convention collective ou une décision d’un employeur peut prendre en compte de manière différente les périodes au cours desquelles des prestations de travail sont réellement effectuées et celles durant lesquelles aucun travail effectif n’est accompli, même lorsque ces périodes doivent être considérées, dans leur intégralité, comme du 'temps de travail', ou prévoir le versement au travailleur concerné d’une somme visant à compenser les désagréments que lui occasionnent ces périodes de garde dans la gestion de son temps et de ses intérêts privés (dans sa décision Matzak, elle précisait que la rémunération d’un travailleur en temps de travail peut diverger de celle d’un travailleur en période de repos "même au point de n’accorder aucune rémunération durant ce dernier type de période"). Ce qu'avait d'ailleurs jugé le 27 février 2020 le tribunal administratif de Dijon.

 

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