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Formation des détenus : les régions n'avancent pas au même rythme

Un arrêté publié au Journal officiel le 28 juin 2018 fixe le montant de la dotation versée par l'État aux régions en compensation de la formation professionnelle des détenus au sein des établissements en gestion déléguée. L'occasion de revenir sur le transfert de cette compétence depuis le 1er janvier 2015. Réalisé en deux temps, il laisse place à de fortes disparités entre les régions pour des résultats qui restent modestes : seulement 15% des détenus ont reçu une formation en 2017.

La formation professionnelle des détenus a été transférée de l'État aux régions depuis le 1er janvier 2015, dans le cadre de la loi du 5 mars 2014. Mais pour les établissements en gestion déléguée (un tiers des 188 établissements en France), l'arrêté fixant la compensation que l'État va leur verser vient juste de paraître. D'après ce texte publié au Journal officiel du 28 juin 2018, pour 2016 et 2017, l'enveloppe annuelle de la compensation s'élève à 9,3 millions d'euros pour l'ensemble des régions. Puis à partir du 1er janvier 2018, les régions recevront chaque année 7,9 millions d'euros, indique cet arrêté qui précise la répartition pour chacune d'elles. Le transfert de cette compétence traine depuis 2015. La publication tardive de cet arrêté tient à un point de divergence entre l'État et les régions concernant la part des dépenses d'investissement conservée par l'État et non transférée aux régions dans le cadre de leurs nouvelles attributions. "L'État imposait à certaines régions de financer des dépenses qui n'ont rien à voir avec la formation des détenus, comme la réfection des sols, des murs, la maintenance des équipements, explique-t-on à Régions de France. En réaction, des régions, comme l'Auvergne-Rhône-Alpes, ont supprimé ces formations." Une médiation, organisée par Régions de France avec le ministère de l'Intérieur a permis de débloquer la situation, aboutissant à une convention précisant les missions de chacun. L'arrêté correspond à l'aspect financier de la négociation, avec les compensations en conséquence.

Un transfert en deux temps

Mais la question de la formation des détenus fait beaucoup parler. Allusion à la région Auvergne-Rhône-Alpes ou critique de fond, lors de son discours du 6 mars 2018 sur la refondation des peines de prison à l'École nationale de l'administration pénitentiaire à Agen (Lot-et-Garonne), Emmanuel Macron laissait ainsi entendre que certaines régions n'avaient pas placé le sujet à la hauteur des enjeux. "Il y a, sur ce sujet, une vraie responsabilité des régions, avait ainsi déclaré le président de la République. Il y a ici une région engagée sur ce sujet [la Nouvelle-Aquitaine, NDLR], mais il y a d'autres régions qui ont décidé parfois, pour faire des économies, de se désengager des structures d'accès au droit, d'abandonner le financement de ces mesures pourtant indispensables et d'oublier ce que la loi leur avait confié comme mission. Je le regrette profondément et je pense que c'est là une profonde erreur."

Le transfert de l'organisation et du financement de la formation professionnelle des détenus aux régions s'est en réalité déroulé en plusieurs temps. Suite à la loi du 24 novembre 2009 relative à l'orientation et à la formation professionnelle tout au long de la vie, une expérimentation avait d'abord démarré le 1er janvier 2011. Deux régions, Pays de la Loire et Aquitaine, s'étaient portées volontaires pour mener le test pendant quatre ans de la gestion et du pilotage de la formation des personnes détenues dans les établissements en gestion publique de leur territoire, sur la base des orientations générales définies par l'administration pénitentiaire. Le bilan de cette expérimentation a mis en évidence l'implication des régions pour la prise en charge des publics détenus, à travers l'ingénierie nécessaire pour répondre aux besoins de formation de ces personnes.
Après cette première phase d'expérimentation, la précédente réforme de la formation professionnelle (loi du 5 mars 2014) avait prévu le transfert total aux régions à compter du 1er janvier 2015 pour les établissements en gestion publique et, à l'extinction des marchés (soit en 2016 et 2018 ) pour les établissements en gestion déléguée.

15% seulement des détenus ont bénéficié d'une formation en 2017

Plus de la moitié des personnes détenues en prison ont un niveau de fin d'études primaires seulement et n'ont pas de réelle qualification. Et les résultats sont pour le moment assez modestes. En 2017, seuls 15% des détenus ont pu bénéficier d'une formation. Mais difficile d'en savoir plus dans le détail car aucune vue d'ensemble n'est disponible. Ce qu'avaient déjà dénoncé l'Inspection générale des affaires sociales (Igas), l'Inspection générale des finances (IGF) et l'Inspection des services judiciaires (IGSJ) dans un rapport publié en 2016.
Pour Régions de France, le transfert étant très récent, "il apparaît difficile à ce stade de tirer des conclusions quant au travail mené par les régions dans ce domaine". Mais une chose est sûre, "les régions ne se sont nullement désengagées de la formation des personnes sous main de justice", assure l'association, en réponse aux déclarations récentes du président de la République.
Sur le terrain, on observe toutefois des disparités de traitement. Dans certaines régions, dont celle citée par Emmanuel Macron, la Nouvelle-Aquitaine, la formation des détenus se développe sur un bon rythme. En 2017, 1.187 détenus ont été formés, sur une population totale de détenus de quelque 5.000 personnes et il y a eu 83 actions de formation. Pour la deuxième année consécutive, la région a testé un dispositif de formation dans le cadre de la restauration du fort du Portalet dans le Béarn. Des détenus ont pu suivre cette formation en même temps qu'ils purgeaient leur peine (des peines de deux ans maximum). Hébergés dans un village de montagne, les détenus ont travaillé sur le chantier pendant plusieurs mois, apprenant le métier du bâtiment et de la construction. Ils rentraient le soir dans leur gîte.
La région Nouvelle-Aquitaine travaille aussi sur des formations "dedans-dehors" pour lutter contre les récidives : des formations suivies au sein de l'établissement, mais aussi dans des entreprises qui acceptent de jouer le jeu. Elle compte développer d'autres expériences dans le cadre du plan d'investissement dans les compétences (PIC) qui va donner lieu à des pactes régionaux d'investissement dans les compétences signés entre les régions et l'État.

"Ce n'est pas un sujet simple"

"Ce n'est pas un sujet simple et je peux comprendre que certaines régions n'aient pas tout de suite trouvé leur vitesse de croisière, surtout avec la fusion des régions, car outre l'aspect administratif, il faut aussi avoir envie de se lancer sur ce sujet et de se donner les moyens, explique à Localtis Catherine Veyssy, vice-présidente Nouvelle-Aquitaine en charge de la formation. Nous passons par des appels à projets pour avoir recours à des organismes de formation habitués au milieu carcéral. Il faut connaître cet univers particulier."
De son côté, la Bretagne finance une action de formation pour quinze détenus depuis l'automne 2017, les accompagnant pour obtenir la certification CléA, le socle de connaissances et de compétences professionnelles. Quatre détenus ont déjà obtenu la certification. L'action est menée à la maison d'arrêt de Saint-Brieuc. Elle est unique en milieu carcéral en Bretagne.
Mais dans d'autres régions, les changements de périmètres ou de tendances politiques ont donné lieu à des difficultés ou à des retards. En Ile-de-France notamment, la région a changé en 2016 son mode de financement, passant d'un système d'attribution de subventions à une passation de marchés publics ; cela a entraîné une suspension des formations pendant plusieurs mois dans certains établissements franciliens.

"Tout ou presque reste à faire" en outre-mer

Pour la région Auvergne-Rhône-Alpes, les choses sont aussi compliquées. "Il y a un vrai manque de moyens, détaille Stéphanie Pernod Beaudon, vice-présidente de la région Auvergne-Rhône-Alpes déléguée à la formation professionnelle et à l'apprentissage. Les critères de sécurité ne nous permettent pas d'avoir la main sur la formation des détenus." En Provence-Alpes-Côte d'Azur, des retards, voire des arrêts de formation ont été signalés par Jean-Louis Masson, député LR du Var, dans une question posée le 23 janvier 2018 à la ministre de la Justice. "Il se trouve que, malgré des réunions préparatoires organisées pour anticiper cette évolution, le financement et l'organisation des formations ont pris du retard. La conséquence immédiate, c'est l'arrêt des formations qualifiantes offertes aux personnes détenues dans les métiers du bâtiment, de la cuisine ou encore de la pâtisserie, et la fermeture des ateliers", détaille-t-il dans sa question, restée pour le moment sans réponse. Les réouvertures ne sont prévues qu'en septembre 2018.
Enfin, en outre-mer, "tout ou presque reste à faire en matière de formation professionnelle et plus encore depuis la loi de 2014 qui donne compétence aux collectivités ou régions pour la formation professionnelle", insiste la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH) dans un avis du 18 mai 2017 sur "la question pénitentiaire en outre-mer".
Au 1er mars 2018, 81.377 personnes étaient écrouées en France, dont 69.879 personnes détenues, d'après les chiffres de l'administration pénitentiaire, les autres (11.498) étant placées à l'extérieur ou sous surveillance électronique.

Référence : arrêté du 19 juin 2018 constatant le montant du droit à compensation de charges nettes résultant pour les régions du transfert de compétence relatif à la formation des personnes sous-main de justice dans les établissements en gestion déléguée prévu à l'article 27 de la loi n° 2014-288 du 5 mars 2014 relative à la formation professionnelle, à l'emploi et à la démocratie sociale, publié au Journal officiel du 28 juin 2018.

 

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