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Cour des comptes - Formation des salariés : un système de contrôle "défaillant"

Dans leur rapport public 2017, les magistrats de la rue Cambon jugent "défaillant" le système de contrôle actuel du financement de la formation des salariés. En cause : le nombre et la dispersion des contrôleurs tant publics que paritaires, et la multitude des organismes de formation. En outre, la Cour des comptes doute de l'efficacité de la régulation par la qualité instaurée par la loi du 5 mars 2014. 

Pour son rapport public 2017, la Cour des comptes a méné l'enquête auprès des services du ministère du Travail et des Opca afin d'évaluer les dispositifs de contrôle et de lutte contre les fraudes qui sont mis en place dans le domaine de la formation des salariés. Le jugement de la juridiction financière est sévère. Elle estime que le système de contrôle actuel est "défaillant" alors que le secteur de la formation continue des salariés pèse lourd : près de 11,2 milliards d'euros (Md€) en 2014 dont 6,3 Md€ d'achats directs et 4,8 Md€ pris en charge par les Opca. "Cette enquête a mis en lumière les risque de fraude que recèle l'organisation complexe de [la] politique de contrôle et de lutte contre la fraude en matière de formation professionnelle continue des salariés", a commenté Didier Migaud, premier président de la Cour des comptes, lors de la présentation à la presse du rapport annuel, le 8 février 2017.

"Face aux risques créés par le caractère émietté et volatile d'un marché des prestataires de formation très peu encadré et par le manque de responsabilisation des organismes paritaires agréés, les contrôles de l'Etat ne sont pas à la hauteur", estime Didier Migaud. Le rapport dénonce en particulier l'existence de "plus de 75.000 prestataires", une facilité d'accès au métier de formateur (une déclaration d'activité enregistrée par la préfecture de région est suffisante pour vendre des formations), un pilotage du contrôle "éclaté" entre les services centraux et déconcentrés du ministère du Travail, et "une simplicité des mécanismes permettant de frauder" (majoration fictive du nombre d'heures de formation ou du nombre de stagiaires par exemple).

Ni analyse des risques, ni programmation nationale des contrôles

D'après le premier président, il n'existe "ni analyse des risques, ni programmation nationale des contrôles" et, en définitive, "moins de 0,8% des prestataires de formation et 4% des Opca sont contrôlés". En outre, "les manquements les plus courants ne sont presque jamais" relevés. Les ministres en charge de la formation professionnelle, Myriam El Khomri et Clotilde Valter qui ont été destinataires des résultats de l'enquête, répondent que "la fraude qualifiée comme telle au sens du code du travail représente 3,3% des contrôles" réalisés par les services de l'Etat.

En ce qui concerne l'organisation de la mission de contrôle au sein des services de l'Etat et la question des effectifs, les deux ministres précisent que "la délégation générale à l'emploi et à la formation professionnelle (DGEFP) va entreprendre un travail avec les services pour partager des critères et des indicateurs permettant de définir des effectifs de référence à débattre dans le cadre du dialogue de gestion".

Risque de désengagement de l'Etat

D'après la juridiction financière, le contrôle qualité à la charge des financeurs de la formation qui a été instauré par la loi du 5 mars 2014 et le décret du 30 juin 2015 ne serait pas totalement en mesure d'exclure la possibilité de fraudes, "y compris de la part des prestataires référencés". D'autre part, la Cour met en garde contre un possible "désengagement de l'Etat de sa propre responsabilité en matière de contrôle, tant sur les prestataires de formation que sur les Opca eux-mêmes". En revanche, l'instauration de cette régulation par la qualité peut être "l'occasion de construire une politique de contrôle et de lutte contre la fraude associant l'ensemble des financeurs institutionnels de la formation professionnelle".

La Cour propose ainsi à l'Etat de "mettre en place une stratégie de contrôle fondée sur une programmation annuelle et une organisation plus adaptée aux enjeux" et d'augmenter le nombre de contrôle sur les Opca/Opcacif. Elle suggère à ces derniers de "définir une stratégie et des processus internes de contrôle à la hauteur des risques". Les conventions d'objectifs et de moyens (COM) qui lient l'Etat et les Opca devraient préciser les obligations de ces derniers en la matière et augmenter au sein des frais de gestion la part des dépenses consacrées au contrôle et à la lutte contre les fraudes. Myriam El Khomri et Clotilde Valter précisent dans leur droit de réponse que, dans le cadre de la deuxième génération de COM, "la DGEFP fait de la qualité et du contrôle un poste de dépense à part entière doté d'indicateurs spécifiques".

La Fédération de la formation professionnelle (FFP) n'a pas tardé à réagir après la publication du rapport de la Cour. Son président, Jean Wemaëre explique, dans un communiqué, que "le meilleur moyen d'éviter les abus est de prendre des mesures fortes et ambitieuses pour simplifier le système de formation et l'adapter au XXIe siècle". Il appelle à "libérer la formation de sa complexité" en l'ouvrant aux nouvelles modalités d'apprentissage et renouvelle deux propositions déjà énoncée par la FFP : confier directement à tous les actifs un compte libellé en euros "pour financer rapidement la formation de leur choix", et accorder un crédit d'impôt formation aux entreprises qui investissent dans leur capital humain.