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Fractures territoriales : beaucoup d'attentes mais des signaux inquiétants

Diminution du nombre d'élus locaux, suppression de la taxe d'habitation, réforme douloureuse des zones de revitalisation rurale (ZRR), ponction de la Dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR), sans parler de l'économie de 13 milliards d'euros demandée aux collectivités... Le plan de vol des territoires ruraux pour les semaines à venir est semé d'embûches.

La Conférence des territoires du 17 juillet avait été accueillie plutôt favorablement par les différentes associations d'élus, même si elle suscitait de nombreuses interrogations. Le président de l'Association des maires ruraux de France (AMRF) Vanik Berberian avait ainsi salué une "volonté de changement", une nouvelle "méthode" reposant sur l'expérimentation. Il s'était montré "plutôt satisfait" du climat de "confiance" instauré avec les élus ruraux. Une semaine plus tard, cette même association sonnait la charge pour dénoncer des "coupes sombres" dans le financement des projets locaux. En cause : un décret d'avance du 20 juillet effaçant d'un trait de plume 20% des crédits finançant principalement la DETR, la dotation de soutien à l'investissement local et la dotation politique de la ville… Et ce n'est pas tout car le même décret prévoit d'annuler 106 millions d'euros en autorisations d'engagement du programme 112 (politique d'aménagement du territoire) auquel sont rattachés les tout nouveaux "contrats de ruralité"… (voir encadré ci-dessous).
Pour le sénateur LR Rémy Pointereau (Cher), entre l'économie demandée de 13 milliards d'euros, la ponction de la DETR et la suppression de la dotation d'action parlementaire envisagée dans le projet de loi établissant la confiance dans l'action publique, les territoires ruraux sont victimes d' "une triple peine", comme il a eu l'occasion de s'en émouvoir le 24 juillet lors d'une audition du ministre de la Cohésion des territoires, Jacques Mézard, devant la commission de l'Aménagement du territoire du Sénat. "Cela commence mal !", a lancé celui qui a été chargé par la délégation des collectivités territoriales du Sénat d'une mission sur la revitalisation des centres-ville, avec son collègue socialiste Martial Bourquin (Doubs). Leur rapport est attendu pour l'automne.

Contrats de ruralité, ZRR, très haut débit, centres-ville...

Lors de cette deuxième audition au Sénat en moins de deux semaines, le ministre a assuré de sa volonté de lutter contre "les fractures territoriales" et défendu sa vision de l'Etat stratège. Au risque d'accoucher d'un tigre de papier. Car ses marges de manoeuvre semblent assez réduites. Jacques Mézard s'est dit "optimiste" quant au "maintien des crédits de la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR) dans le prochain budget", sans en dire davantage sur la ponction de 20%. Comme le 13 juillet face au sénateur du Cantal Bernard Delcros (UDI), il est apparu peu rassurant sur l'avenir des contrats de ruralité : "Je souhaite que les contrats de ruralité perdurent. J'espère convaincre Bercy." L'ancien sénateur se montre toutefois "convaincu" de la nécessité d'une politique spécifique en faveur des petites villes, des villes moyennes et des centres-bourgs.
S'agissant du retrait de 3.000 communes de la carte des ZRR suite à la récente réforme, il a demandé à "l'administration" de lui faire des propositions, admettant la difficulté de la tâche. Sur la future agence des territoires, il n'a pas été beaucoup plus disert. Tout juste sait-on que des propositions seront faites dans les "tout prochains mois".
Le ministre s'est montré plus concret dans le déploiement du très haut débit, alors que, sur ce terrain, les déclarations du président de la République, le 17 juillet, avaient semé le doute. Il n'est plus question d'avancer l'échéance de 2022 à 2020 comme on aurait pu le comprendre alors, mais de faire un point d'étape pour le "bon débit" en 2020. Les opérateurs devaient remettre leurs propositions le 31 juillet en précisant leurs engagements commune par commune, le gouvernement définira ensuite sa feuille de route avant la fin du mois de septembre (pour le détail voir ci-dessous notre article du 31 juillet 2017).

Des états généraux pour l'alimentation et des assises pour l'outre-mer

Du côté de l'agriculture, la situation n'offre guère plus de visibilité. Le ministre de l'Agriculture et de l'Alimentation Stéphane Travert a dû en effet faire face à une ardoise de 853 millions d'euros laissée par l'ancien gouvernement. Pour la combler, pas question de débloquer de nouveaux fonds : il a été décidé de procéder à un transfert de 4,2% des aides directes vers le deuxième pilier de la PAC, soit environ 312 millions d'euros par an. Le ministre aura fort à faire pour tenir le calendrier prévu et rattraper les retards accumulés dans le versement des aides aux agriculteurs . "Face à ce scénario budgétaire digne d'un mauvais feuilleton, chacun devra s'interroger sur le piteux message envoyé à nos partenaires européens", se sont indignées les chambres d'agriculture, dans un communiqué du 28 juillet. Ces couacs à répétition - qui durent depuis plus de deux ans à présent - sont du plus mauvais effet alors que les négociations sur la future PAC s'annoncent plus âpres que jamais, du fait en particulier du Brexit et des restrictions budgétaires qu'il va engendrer. Ce qui vaut également pour l'avenir de la politique de cohésion.
Et quand, au même moment, le gouvernement demande aux producteurs, transformateurs et distributeurs de se montrer "responsables", dans le cadre des états généraux de l'alimentation, il risque d'entamer sa propre crédibilité. Ces états généraux ont été lancés le 20 juillet. 14 ateliers vont se tenir en deux phases successives d'ici à l'automne : l'une de fin août à fin septembre sur la "création et la répartition de la valeur", la seconde de début octobre à fin novembre, sur "une alimentation saine, sûre, durable et accessible à tous". Il y sera forcément question de l'ancrage territorial de l'alimentation, de la restauration collective, des projets alimentaires territoriaux ou encore des circuits courts… Une restitution aura lieu à la mi-décembre.
A noter que les territoires ultramarins auront leurs propres assises à partir de la rentrée de septembre. Elles donneront lieu à un livre bleu au printemps 2018. La loi de finances pour 2019 devrait comporter des dispositions dégagées à l'issue de cette consultation.

Décret d'avance : le gouvernement justifie les annulations de crédits
"Les annulations porteront sur des projets non engagés et ce sont les préfets qui procéderont opération par opération pour éviter de pénaliser les dossiers les plus porteurs d'enjeux", indiquait-on le 2 août au ministère de la Cohésion des territoires au sujet des annulations de crédits pour 2017. Des explications fournies suite à un article de Libération ayant subitement mis un coup de projecteur sur cette "coupe d'été" d'environ 300 millions d'euros au total, liée au décret d'avance paru au JO du 21 juin (lire notre article du 27 juin). "Les programmations 2018 permettront de revenir sur les opérations qui seraient ainsi décalées", précise-t-on.
Interrogé à l'issue du Conseil des ministres, le porte-parole du gouvernement, Christophe Castaner, a fait valoir pour sa part qu'il s'agissait "de mesures d'annulation de crédits sur des opérations non réalisées, pas de baisses de dotations disponibles pour accompagner les collectivités locales". "Il s'agit pour l'essentiel de crédits non engagés, non mobilisés, donc c'est un exercice plus comptable que politique", a-t-il ajouté.
"Si vous aviez mieux géré le budget de la France, vous auriez en effet pu voir que le budget n'était pas sincère", a répondu le ministre des Comptes publics, Gérald Darmanin, au député Olivier Dussopt lors de la séance de questions au gouvernement. "Nous ferons l'inverse nous présenterons (...) l'intégralité des crédits qui seront effectivement dépensés", a-t-il ajouté.
"Pour la politique de la ville la réduction représente 11% des crédits d'intervention que l'Etat avait prévus pour 2017", souligne Olivier Dussopt. Les autres annulations portent sur la mission Relations avec les collectivités territoriales pour 216 millions, "réparties sur la dotation d'équipement des territoires ruraux, donc de l'aide à l'investissement pour les communes de moins de 30.000 habitants, et le fonds de soutien à l'investissement local", précise-t-il. "Ca signifie que des projets qui auraient pu être soutenus en investissements portés par les collectivités ne le seront pas pour au moins un sur dix, par rapport à ce qui était prévu", note le député Nouvelle Gauche de l'Ardèche et président de l'Association des petites villes de France.
Avec AFP, le 2 août
 

 

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