Gemapi : les pistes de réforme de la mission flash du Sénat
Tiraillés entre besoin de clarifications et nécessité de stabilisation, les acteurs de la compétence Gemapi - gestion des milieux aquatiques et prévention des inondations - devraient se délecter de la lecture du rapport dédié de la délégation aux collectivités territoriales du Sénat. Gestion à l’échelle de territoires hydrologiques cohérents, création d’un fonds de péréquation, rétablissement d’un budget annexe obligatoire, diversification des ressources affectées à la Gemapi, convention d’ingénierie avec le Cerema, figurent parmi ses treize recommandations.

© @SebastienLeroy_/ Agrandissement d'un cadre hydraulique afin d'améliorer la protection de plusieurs quartiers contre les inondations
Très attendus, les travaux de la mission flash conduite au sein de la délégation aux collectivités territoriales du Sénat autour de Rémy Pointereau (Cher/LR), Hervé Gillé (Gironde/SER) et Jean-Yves Roux (Alpes-de-Haute-Provence/RDSE) sur la compétence "gestion des milieux aquatiques et prévention des inondations" (Gemapi) ont été remis ce 26 juin. Les treize recommandations "pour promouvoir un cadre de gouvernance et de financement plus solidaire", qui en émergent ont d’ailleurs vocation à nourrir une proposition de loi (PPL) dédiée.
Le texte d’assouplissements de la compétence Gemapi voté par la Chambre haute, en première lecture, le 11 juin dernier, a laissé une partie des sénateurs sur leur faim (lire notre article), d’autant que cette nouvelle PPL assise sur le rapport promet d’être bien plus structurante pour répondre aux inquiétudes des élus locaux qui font face à une recrudescence du risque inondation et aux diversités territoriales.
Sans surprise, la mission dresse un bilan "contrasté, pour ne pas dire mitigé" de cette compétence obligatoire depuis le 1er janvier 2018 pour l'ensemble des EPCI à fiscalité propre. Le volet prévention des inondations reste en particulier "moins bien maîtrisé", et dans la pratique, les contours exacts de la Gemapi demeurent "flous", ce qui alimente un climat d’insécurité juridique. Le trio de rapporteurs constate également "la persistance de fortes inégalités entre les territoires d'amont - souvent exposés mais peu dotés- et les territoires d’aval - généralement plus urbanisés et plus riches". Pour les territoires particulièrement affectés par le risque inondation, l’exercice de la compétence Gemapi fait en outre peser "de lourdes charges" (liées, notamment, aux travaux de réparation et de consolidation des systèmes d’endiguement), exacerbées par le réchauffement climatique, et les procédures et les normes techniques restent quant à elles "trop lourdes" et "souvent inadaptées aux réalités territoriales".
SIMPLIFIER LES PAPI. Le déploiement des programmes d’actions de prévention des inondations (PAPI) est une parfaite illustration de ces lourdeurs administratives. La première recommandation vise donc à simplifier l’élaboration, l’instruction et la mise en œuvre des PAPI, en supprimant l’étape d’avis préalable à la labellisation donné par l’instance de bassin. Trois préconisations de la mission conjointe de contrôle relative aux inondations survenues en 2023 et au début de l’année 2024 sont en outre reprises : fixer des délais d’instruction par les services de l'État opposables aux collectivités ; prévoir un accompagnement technique et réglementaire de proximité (référent PAPI) ; instaurer un guichet unique. Une autre piste plus ambitieuse propose la création d’un agrément technique pour certaines structures "gémapiennes".
CLARIFIER LES RESPONSABILITES. L’objectif est de conforter le rôle des EPTB (établissements publics territoriaux de bassin) là où ils existent et d’éviter les superpositions institutionnelles contre-productives. Il s’agit notamment de lever les blocages liés aux servitudes, à l’accès aux ouvrages et à l’articulation des pouvoirs de police. Pour faciliter les interventions des autorités gémapiennes en substitution des propriétaires riverains pour l’entretien régulier des cours d’eau, le rapport appelle à l’inscription à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale de la proposition de loi "Roux-Rapin", adoptée par le Sénat, et dont l’article 1er répondait à cet objectif. Il recommande aussi de simplifier la procédure de déclaration d’intérêt général (DIG) pour les interventions relevant de l’entretien courant des ouvrages hydrauliques ou de la restauration écologique.
GARANTIR UNE SOLUTION D’ASSURANCE. Autre source de préoccupation des élus locaux : les difficultés d’assurance des ouvrages de prévention des inondations. Là encore, la solution réside dans une proposition de loi adoptée par le Sénat le 12 juin dernier et visant à garantir une solution d’assurance à l’ensemble des collectivités. Ce texte consiste à ouvrir une première voie d’accompagnement institutionnalisée au travers du Médiateur de l’assurance.
MUSCLER LA TAXE GEMAPI. Le nerf de la guerre réside dans l’architecture de la taxe Gemapi - qui perpétue des disparités au sein d’un même bassin versant - et la faiblesse de ses recettes (bien que son produit soit en augmentation depuis son instauration pour s’établir à 455 millions d’euros fin 2023). La question a tout juste été effleurée dans la proposition de loi d’assouplissements adoptée le 11 juin. Pour la mission le dispositif expérimental prévu par la loi 3DS pour permettre aux EPTB de lever une contribution fiscalisée auprès des redevables locaux est une piste pertinente (pas encore testée à ce jour). Il convient donc de le pérenniser et de l’élargir pour l’ensemble des items de la Gemapi et selon une logique pluriannuelle.
INSTITUER UN FONDS DE PEREQUATION. C’est une des préconisations d’un précédent rapport du Sénat sur l’adaptation des territoires face aux inondations. La mission table sur la création d’un fonds de solidarité pour la Gemapi à l’échelle des bassins versants. Le gestionnaire du fonds – EPTB ou à défaut agence de l’eau – serait chargé d’établir des critères d’éligibilité et d’attribution des aides aux EPCI, en concertation avec les acteurs locaux. Le rapport propose d’instaurer parallèlement un fonds de péréquation horizontal sur le modèle du FPIC (Fonds national de péréquation des ressources intercommunales et communales), afin de prélever une fraction de taxes Gemapi de certaines collectivités pour la reverser à des collectivités moins peuplées selon des critères et des conditionnalités à déterminer. Pour assurer une meilleure traçabilité des dépenses liées à la compétence Gemapi, le rapport préconise aussi de rétablir le budget annexe.
NOUVEAUX LEVIERS DE FINANCEMENT. La question d’un financement complémentaire à l’échelle nationale ou interbassins fait également l’objet de pistes de recommandations. La première consiste à envisager une contribution assise sur les volumes d’eau consommés - de l’ordre de quelques centimes d’euros par mètre cube d’eau potable facturé - dans une logique de solidarité interbassins. La seconde en une affectation partielle de la taxe d’aménagement au financement de la compétence Gemapi, en lien direct avec l’urbanisation et l’imperméabilisation des sols.
CLARIFIER LE CO-FINANCEMENT DU TRANSFERT DES DIGUES DOMANIALES. Autre sujet épineux. La mission suggère de prolonger la période de financement bonifiée de 80% jusqu’en 2035 (et non 2027). Et demande la réouverture de la possibilité de négocier des soultes, c’est-à-dire des compensations financières, dans les cas où les digues transférées nécessitent des travaux lourds et urgents de sécurisation. Le rapport appelle également à rétablir la cohérence entre le montant de la surprime "CatNat" et le montant du fonds Barnier.
RENFORCER LES OUTILS DE GOUVERNANCE. Quant au chantier de la gouvernance, il doit là encore s’opérer à l’échelle des bassins versants pour organiser la solidarité financière entre autorités gémapiennes, tout en tenant compte de la nature des enjeux et de critères de vulnérabilité. Plutôt que de transformer les EPTB en véritables établissements publics de gestion de bassin, dotés de compétences propres, comme le propose l’ANEB, le rapport privilégie une solution intermédiaire, consistant à mobiliser le levier des incitations financières via un taux de subvention bonifié du fonds Barnier pour les projets communs mis en œuvre à l’échelle de l’EPTB, et des mécanismes de solidarité nationale afin de financer des actions à l’échelle inter-bassins lorsque des critères de vulnérabilité le justifient. Le rapport recommande également que les représentants des EPCI au sein des syndicats mixte compétents en matière de Gemapi soient issus du conseil communautaire.
SOUTENIR L’INGENIERIE. Le déficit d’ingénierie pénalise particulièrement les territoires ruraux et de montagne. Parmi les pistes, le rapport propose entre autres de lancer un programme d'ingénierie à destination des EPCI porté par le Cerema, centré sur la prévention des inondations, sur le modèle du "Programme national ponts", et balaye différents dispositifs contractuels pour encadrer la coopération avec les autorités gémapiennes dans une logique de mandat ou de prestation.
MODULER LES EXIGENCES REGLEMENTAIRES. Le rapport propose enfin d’adapter le régime de responsabilité en introduisant une notion de proportionnalité du risque et de mettre en place des procédures d’autorisation allégées pour certains projets relevant d’un PAPI labellisé, en permettant qu’une seule déclaration d’intérêt général (DIG) couvre l’ensemble des travaux programmés, sans obligation de recourir à une DIG distincte pour chaque intervention.