Impossibilité de sortir du régime forestier : "Ça gronde dans les communes forestières"
Les communes forestières ont tenu leur congrès les 19 et 20 juin dans les Alpes-de-Haute-Provence. L'occasion de faire le tour des sujets d'actualité avec leur président, Philippe Canot : entrée/sortie dans le régime forestier, assouplissement des plans d'aménagement, lutte contre le morcellement, relations avec l'ONF, mise en œuvre des obligations légales de débroussaillement…

© Hervé Hôte/ Philippe Canot, président des Communes forestières
Localtis - Au congrès des communes forestières, vous avez de nouveau plaidé pour l'intégration dans le régime forestier de tout ou partie des 850.000 hectares des forêts des collectivités territoriales. Qu'est-ce qui bloque ?
Philippe Canot - Le temps passe et l'on n'arrive toujours pas à intégrer ces forêts. La situation a parfois pu convenir à certains élus ; d'autres n'avaient pas forcément les connaissances nécessaires. Mais aujourd'hui, le principal point de blocage relève de l'État. La loi dispose que c'est au préfet qu'il incombe de placer ces forêts sous le régime forestier. Le souci, c'est que le rapport de la Cour des comptes enseigne que pour soumettre 100.000 hectares supplémentaires au régime forestier, il faut créer à peu près 70 équivalents temps plein à l'ONF. Il faudrait donc recruter près de 600 personnels en plus à l'ONF pour intégrer ces 850.000 hectares. Inutile de préciser l'accueil que vous pouvez escompter lorsque vous franchissez la porte d'un ministère avec une telle demande en ce moment.
C'est ce qui vous conduit à plaider, dans le même temps, pour le retrait de certaines forêts de ce régime ?
En partie. Nous avons aujourd'hui des hectares de terrain, notamment dans le Sud, qui ont fait l'objet de défrichement – et ont été soumis à la taxe qui s'y rapporte – pour y installer des panneaux photovoltaïques. Mais ils restent pour autant soumis au régime forestier, et au paiement des taxes afférentes. Trois communes du Gard ont d'ailleurs déposé des recours auprès de la Cour de justice de l'Union européenne pour sortir de cette impasse. Là encore, c'est aux préfets qu'il revient de prendre la décision, laquelle est soumise à la condition qu'il n'y ait pas de retour à l'état boisé. Mais l'on devine une certaine frilosité. Or, quand vous faites un parc photovoltaïque, vous le faites pour 30 ans, avec une chance de le renouveler pour une même période. 60 ans à payer injustement des frais de garderie, ce n'est pas possible. Pour nous, il faut une loi pour sortir de cette impasse. Le sénateur Jean Bacci avait déposé un amendement en ce sens au projet de loi d'adaptation au droit de l'Union européenne, mais il a été rejeté [adopté au Sénat en première lecture contre l'avis du gouvernement, il n'a pas été retenu par la commission mixte paritaire, ndlr]. J'avais contacté le sénateur Gremillet pour qu'il l'introduise dans sa proposition de loi sur les énergies, mais il redoutait le cavalier législatif. Aujourd'hui, on compte donc sur le ministère. Il faut qu'il fasse preuve de courage et facilite les choses, parce que ça gronde dans les communes forestières qui n'arrivent pas à distraire du régime forestier ces parcelles. Il y a un vrai mécontentement, alors qu'il suffirait d'une simple loi pour résoudre les difficultés, et rétablir le lien entre le droit et la réalité.
Vous demandez également une "adoption urgente" des plans d'aménagement forestiers. Là encore, la balle est dans le camp des préfets ?
On n'a pas ici de véritable blocage sur l'adoption de ces plans, mais sur leur révision. Le problème est que ces plans sont conçus sur 20 ans, mais avec les conséquences du changement climatique, nous demandons à ce qu'ils puissent être révisés en cours de période, parce que l'on ne peut aujourd'hui tout prévoir sur une telle échelle de temps. En témoigne l'exemple des scolytes, qui ont fait tomber tous les plans d'aménagement de certains territoires. Nous ne demandons pas que ces plans soient révisables en totalité, mais il faut introduire une certaine souplesse.
Vous plaidez pour une "réelle" stratégie nationale de lutte contre le morcellement forestier. Que préconisez-vous ?
Il faut notamment favoriser la reprise des biens vacants et sans maître, notamment en facilitant les échanges afin de pouvoir agglomérer ces îlots forestiers qui sont de véritables sources de risques sanitaires ou d'incendies. Cette année, huit nouveaux départements sont concernés par la mise en place d'obligations légales de débroussaillement (OLD), mais de telles parcelles abandonnées sont de véritables mèches. Nous préconisons également d'élargir le périmètre du droit de préférence des communes, en le portant de 4 à 10 hectares, pour faciliter les regroupements. Mais si ce sont des privés qui veulent reprendre les espaces en déshérence et les gérer, on n'y voit pas d'inconvénient. On ne tient pas à instaurer des kolkhozes ! Il faut également traiter les parcelles en bordure de forêts, qui étaient par le passé à vocation agricole mais qui sont devenus boisées faute d'entretien. Il existe aujourd'hui des différences énormes entre les données de la DGFiP et celles de l'IGN. Il faudrait là encore prendre en compte la réalité et acter ce changement d'état. Certes, cela entraînerait un changement de valeur de la base d'imposition, les parcelles boisées étant moins lourdement taxées. On pourrait dès lors trouver une forme de compensation, ou éventuellement maintenir la même base d'imposition, mais il ne faut pas ignorer ce problème. Reste qu'un tel inventaire nécessite du temps et des moyens, et donc une réelle volonté de l'État.
Vous recommandez la création d'une cellule nationale d'anticipation des impacts climatiques. L'ONF ne joue-t-il pas ce rôle aujourd'hui ?
L'ONF traite évidemment de la question, comme bien d'autres. La difficulté, précisément, est que tout le monde fait quelque chose dans son coin, sans partager les connaissances. Il est indispensable que l'État réunisse tout le monde autour de la table. À l'heure où l'on nous explique qu'on dépassera en France les 50°C en 2050, comment va résister la forêt ? Il est évident que l'on ne pourra pas continuer à replanter à l'identique, à conserver nos habitudes. La régénération naturelle n'est pas toujours possible. On le voit avec les scolytes sur les épicéas, la chalarose du frêne, etc. Mais que faut-il replanter ? Il faut une réelle vision à long terme, impliquant toute la filière – que deviendront les scieries sans épicéas ? – et toutes les expertises, celle des météorologues, des géologues alors que l'état des sols est un enjeu crucial, etc.
La question n'a-t-elle pas été évoquée lors des Assises du bois et de la forêt de 2022 ?
On a commencé à en parler, mais cela n'avance pas suffisamment vite. Nous perdons trop de temps, et un temps précieux alors que les effets du réchauffement climatique s'aggravent, et à un rythme de plus en plus soutenu. L'instabilité ministérielle, et plus largement des collaborateurs des ministres, n'aide pas. Globalement, quand on évoque avec eux la question, ils nous rejoignent, on trouve des points de convergence. Mais encore faut-il décider comment le faire et avec qui. Cela ne semble pas être leur priorité.
Vous avez reçu à votre congrès la toute nouvelle présidente de l'ONF. Comment sont vos rapports avec l'office désormais ?
Elles sont très bonnes. Il y a eu des directions avec lesquelles c'était un peu difficile. Aujourd'hui, on a une relation de confiance. Après près de six mois de vacance, Anne-Laure Cattelot a été nommée le jeudi en conseil des ministres à la tête du conseil d'administration de l'office, et elle était à nos côtés le lendemain. On y a vu un geste très fort, le signe de l'intérêt qu'elle pouvait avoir pour les communes forestières et je pense que nos relations seront bonnes. Pour autant, nous restons exigeants et vigilants. Nous regarderons avec attention le prochain contrat État-ONF. Il n'est pas question que l'on taille encore dans les effectifs.
Vous avez une convention de partenariat 2022-2025 avec l'ONF. Quel bilan en tirez-vous à ce stade et qu'envisagez-vous pour la suite ?
À chaud, je dirais que l'on a connu un certain nombre d'avancées, y compris d'ailleurs sur des éléments qui ne figuraient pas dans cette convention, comme la stabilisation des effectifs depuis trois ans. Pour la suite, je dirais qu'en fonction de son contenu, nous sommes prêts à co-signer le contrat État-ONF. S'il existe en revanche des divergences importantes, par exemple sur les effectifs ou sur le versement compensateur, nous réétudierons la question d'une nouvelle convention. Nous souhaitons notamment qu'il y ait une réindexation des moyens sur l'inflation, parce que cela fait 4 ou 5 ans qu'elle n'a pas eu lieu.
Vous avez tiré en avril dernier le signal d'alarme sur l'impossibilité de mettre en œuvre les obligations légales de débroussaillement dans un certain nombre de territoires. Savez-vous combien d'arrêtés préfectoraux font toujours défaut à ce jour ?
Je ne connais pas ce nombre, mais je sais que les préfets avaient jusqu'au 30 avril pour prendre ces arrêtés et que le ministère leur a octroyé 6 mois supplémentaires pour ce faire. Les préfets ne tardent pas par mauvaise volonté, mais parce qu'ils ne savent plus comment rédiger ces textes, confrontés à la nécessité de faire respecter ces OLD d'une part, et de préserver la biodiversité d'autre part. Le rattachement de la forêt au ministère de l'environnement n'a sans doute pas été neutre en la matière. Il semblerait que certains arrêtés auraient d'ores et déjà été attaqués par des associations environnementales. Nous travaillons également énormément de notre côté sur ce sujet, parce que c'est une réelle inquiétude pour les élus. S'il y a une maison qui brûle parce que les OLD n'auront pas été totalement ou mal respectées, on sait déjà que c'est l'élu qui sera mis en cause. Plus largement, je trouve que les choses sont un peu mal faites, notamment en matière de financement. Il est évident que certains propriétaires n'ont ni les moyens physiques, ni les moyens financiers de procéder au débroussaillement. Il faudrait que les collectivités puissent prendre en charge le premier débroussaillement, le plus lourd, en laissant ensuite aux propriétaires la charge de l'entretien, beaucoup moins coûteux et pénible à réaliser.
Lors des Assises du bois et de la forêt de 2022, la nécessité de revoir la règlementation relative à la construction bois avait également été mise en exergue. Trois ans après, on l'attend toujours. Elle semble annoncée pour la fin de l'année. Avez-vous d'ores et déjà des éléments ?
À l'heure où je vous parle, je n'ai aucune information sur ce sujet. Il est pourtant important. De notre côté, nous nous attachons à ce que le bois local certifié – puisque l'on fait l'effort de le labelliser –, ou à tout le moins le bois français, soit utilisé dans nos constructions. J'en ai d'ailleurs discuté il y a peu avec Renaud Muselier, président de la région Sud, pour que ce soit le cas dans les futures constructions liées aux JO 2030. Il est sur la même ligne. Côté collectivités, je constate que c'est un message qui commence à passer. J'observe en outre que dans certains départements, des préfets ont décidé d'octroyer une petite sur-dotation de DTER aux projets de construction en bois. On aimerait que ce soit une décision qui se généralise à l'ensemble du territoire.