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Incendie de Lubrizol à Rouen : les sénateurs écoutent des acteurs locaux et représentants de collectivités

Un peu plus d'un mois après l’incendie à Rouen de l’usine chimique, les sénateurs de la commission d'enquête sur Lubrizol passent au crible la gestion post-crise de l'accident en vue d'en tirer des enseignements. Des auditions, menées au Sénat le 29 octobre avec des acteurs locaux et représentants de collectivités, émergent de premières recommandations liées à la culture du risque, à l'information des riverains et à la planification.

Ce 29 octobre - soit le jour même où une enquête sur l'incendie, survenu le 26 septembre, a été confiée à des juges d’instruction parisiens - la commission d'enquête sénatoriale sur Lubrizol poursuivait son travail d'auditions, en conviant pour commencer l'association de surveillance de la qualité de l'air (Aasqa) Atmo Normandie. L'occasion pour son président Denis Merville, par ailleurs maire et président de l'association des maires de Seine-Maritime, de rappeler les difficultés des Aasqa financées via un fragile équilibre tripartite (Etat/collectivités/industriels), lequel a été mis à mal suite au récent retrait des conseils départementaux. "Seule la Seine-Maritime appuie notre structure employant une trentaine d'experts pour un budget annuel de 4,5 millions d'euros. Lubrizol Rouen contribue aussi… à hauteur de 543 euros par an", tacle l'élu local. 

L'incommunicabilité post-accident

A ses côtés, la directrice de l'association Véronique Delmas a détaillé l'appui technique apporté aux pompiers. Atmo Normandie est l'une des rares Aasqa à avoir conventionné avec eux et a pu, dès le premier jour de l'incendie, positionner des moyens de mesures sous la trajectoire des vents et du panache de fumées qui a traversé la zone Nord. L'association a par ailleurs dû justifier son choix, fait collégialement en interne mais en toute indépendance vis-à-vis des services de l’État, de ne plus diffuser sur son site internet l'indice Atmo juste après l'incident, "ce qui a suscité une forme d'incompréhension de la part des habitants", indique la rapporteure et sénatrice Nicole Bonnefoy (Socialiste-Charente). "Cet indice synthétique n'était plus représentatif de la situation à l'échelle de l'agglomération", défend Véronique Delmas. Ni les odeurs, ni les polluants atypiques, autres que les quatre réglementaires (particules fines, ozone, dioxydes d'azote et de soufre), n'entrent dans son calcul. "Nous ne voulions pas livrer une information erronée ou laissant penser qu'il n'y avait aucun problème sanitaire. Pour autant, les mesures n'ont pas été stoppées. Et à l'heure actuelle, il y a toujours un problème de qualité de l'air", poursuit-elle. L'association pointe deux lacunes de la gestion post-crise : le manque d'un lieu, d'une cellule post-accidentelle où les spécialistes auraient pu confronter leurs analyses, et des dispositifs de prélèvement peu adaptés à la nature de l'incident. 

Communiquer sur les incertitudes

La commission d'enquête a jugé instructive l'analyse apportée par un universitaire rouennais, le géographe Arnaud Brennetot, sur la communication mise en place autour de la catastrophe industrielle. Une fois le plan particulier d'intervention (PPI) déclenché par le préfet, des mesures de précaution et de confinement ont été émises "mais en dehors d'un périmètre restreint, les habitants ont pu continuer à pratiquer des activités extérieures et l'application du principe de précaution a été laissée à la libre appréciation des maires". Certaines communes à cheval sur les départements de Seine-Maritime et de l'Oise, par exemple dans le pays de Bray, ne s'en sont d'ailleurs pas privées. Au total, ce sont plus de 230 écoles, collèges et lycées de l'agglomération rouennaise qui ont été fermés suite à l'incendie, par décision préfectorale ou à l'initiative des maires.

"En dehors du périmètre PPI, les établissements publics et scolaires sont sous-dotés en mallettes de confinement", ajoute le chercheur. Dans ces écoles, l'agence régionale de santé (ARS) de Normandie estime qu'une fois la suie nettoyée, "il n'y a plus de pollution ni de risque pour la santé, mais qu'en est-il des métaux lourds et dioxines rejetées ?", questionne-t-il. Décryptant la volonté de minimiser l'ampleur de l'événement, de "rassurer le public sans admettre tout ce qu'on ignore", l'universitaire souligne que ce n'est pas dans la culture des services de l’État (préfectures et services déconcentrés) et que "l'aptitude à parler, à communiquer sur les incertitudes, du moins dans ces circonstances et notamment aux médias, se trouve plus du côté des élus locaux".

Leçons du passé et sourde oreille

Tirer des enseignements de précédentes situations d’urgence, afin de mieux les gérer, n'est plus une nouveauté. "Il reste des progrès à faire", soutient Yves Blein. Pour l'ancien maire de Feyzin (métropole de Lyon) et président de l'Association des villes pour la maîtrise des risques technologiques majeurs (Amaris), "peu d'enseignements sont tirés des accidents et la chaîne de gestion n'est visiblement pas au point".

Concernant l'alerte des riverains de sites Seveso, il pointe la désuétude du système de sirène actuel, que les gens ne savent pas décoder : "Nous avons beau marteler qu'il est peu efficace, le ministère de l’Intérieur rechigne à l'entendre." Alerter les riverains par SMS est une piste souvent évoquée - en plus des messages diffusés sur les réseaux sociaux – mais rarement explorée, excepté dans certaines communes qui ont instauré ce dispositif pourtant opérationnel ailleurs comme aux Pays-Bas. En Belgique aussi, Yves Blein cite l'exemple du centre de crise national diffusant aux instances compétentes des informations urgentes de toute nature, "en se fondant sur l'analyse préalable des questions posées par les riverains et sur les réseaux sociaux". 

Seize ans après sa promulgation, la loi Bachelot, élaborée suite à l'accident de l'usine AZF à Toulouse en 2001 et qui prévoit le renforcement des habitations proches d'un site industriel à risque, commence à peine à entrer dans sa phase concrète. "Sur 16.000 logements qu'il est prévu de protéger, seuls 600 ont fait l'objet de travaux déjà réalisés", chiffre Yves Blein. Diverses raisons l'expliquent. "Quoi qu'il en soit, ne touchons plus à la réglementation, désormais appliquons-la. Les travaux sur les risques dépassent de toute façon ce strict cadre réglementaire. Les maires sont bien placés pour y contribuer. Ils doivent être mieux associés à la préparation des schémas de gestion de crise, aussi pour être plus à même de piloter la partie qui leur revient. La synchronisation entre préfectures et élus locaux reste perfectible", conclut-il.

Pas de défaillance" des services de l'Etat, affirme Emmanuel Macron

Emmanuel Macron a affirmé ce mercredi 30 octobre à Rouen qu'il n'y avait pas eu de "défaillance des services de l'État" dans la gestion de l'incendie de l'usine chimique Lubrizol le 26 septembre dernier.
"Les services de l'État ont agi avec compétence, avec beaucoup de sang froid, beaucoup de professionnalisme", a affirmé le président de la République lors d'un point presse à la mairie de Rouen. "De là où je suis, je n'ai pas vu de défaillance, au contraire", a-t-il ajouté, saluant le travail des pompiers "qui n'ont pas connu la peur, qui ont permis de contenir ce qui s'est passé à Lubrizol et d'éviter des conséquences qui auraient pu être bien plus dommageables".
Comme il s'y était engagé, le chef de l'État est venu mercredi soir à Rouen - ce déplacement n'était pas à l'agenda présidentiel - pour apporter "un message de soutien et de considération" aux Rouennais après l'incendie du 26 septembre . A l'issue d'une rencontre avec le maire, Yvon Robert, il s'est défendu d'être venu trop tard à Rouen. "Le rôle du président de la République n'est pas de se précipiter dès qu'il y a quelque chose qui se passe." "C'est une visite à dimension symbolique. C'est important que le président de la République se rende compte de la situation (après) un accident grave qui a touché la population", avait déclaré Yvon Robert peu avant l'arrivée du chef de l'État.
AFP

 

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