Inclusion scolaire : un rapport invite à sortir du "tout aide humaine"

Un rapport commun de l'IGF et de l'IGESR sur l'école inclusive invite à reconsidérer la place des assistants d'élèves en situation de handicap – qui devraient par ailleurs être mis à disposition des collectivités par l'État sur le temps périscolaire – mais aussi à consolider la place de l'Éducation nationale dans les attributions de ces aides humaines.

C'est un véritable changement de cap que proposent l'inspection générale des Finances (IGF) et l'inspection générale de l'Éducation, du Sport et de la Recherche (IGESR) dans leur rapport intitulé "Scolarisation des élèves en situation de handicap" publié le 7 décembre 2022.

Alors que la mise en œuvre de la loi du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées s’est traduite dans le champ de l'éducation par la progression constante du nombre d’élèves en situation de handicap (ESH) scolarisés en milieu ordinaire – passés de 2004 à 2022 de 134.000 à plus de 430.000 –, les rapporteurs souhaitent sortir du "tout aide humaine". Autrement dit, ils s'interrogent sur le recours de plus en plus important aux assistants d'élèves en situation de handicap (AESH), chargés d'accompagner les élèves dans les actes de la vie quotidienne et l’accès aux apprentissages. Les AESH sont aujourd'hui plus de 120.000 pour 80.000 équivalents temps plein travaillés (ETPT), contre 53.000 ETPT en 2017, soit une hausse de 50% en cinq ans.

AESH contre autonomie de l'élève ?

Comment la mission, qui note que "le recours à l’aide humaine est devenu le principal moyen de compensation du handicap", explique-t-elle cette hausse ? Tout d'abord, par l'augmentation du nombre d'élèves handicapés scolarisés "pour lesquels une aide humaine a effectivement été prescrite par une maison départementale des personnes handicapées (MDPH)". Mais également par "l’utilisation limitée des autres ressources disponibles, en particulier le matériel pédagogique adapté" – qui fait l’objet d’une sous-consommation budgétaire depuis 2018 –, le manque de formation des enseignants en matière d’accessibilité pédagogique et didactique, et surtout par "l’articulation encore insuffisante entre le médicosocial et l’Éducation nationale [qui] conduit à scolariser au sein du milieu ordinaire des enfants dont la nature de l’altération devrait pourtant conduire à les orienter vers des établissements et services spécialisés". La mission observe à ce titre que "la baisse de l’offre disponible dans les établissements et services médicosociaux (ESMS) joue à la hausse sur le niveau de l’accompagnement humain requis".

Autres arguments à charge : les membres du Conseil national consultatif des personnes handicapées (CNCPH) "partagent le fait que le recours à la compensation en milieu scolaire est souvent une réponse au défaut d’accessibilité de l’école", alors que "des travaux de recherche alertent sur le risque qu’un recours abusif à l’accompagnement humain individuel peut faire peser sur l’objectif de développement de l’autonomie de l'élève". Pire, "certaines associations considèrent même que la prescription d’accompagnement humain peut s’avérer contre-productive dans certains cas". L’association Autisme France estime ainsi que "l’AESH n’est pas forcément la bonne personne" pour accompagner les enfants autistes à l’école ordinaire

Face à ce constat, il conviendrait, selon les rapporteurs "d'engager dès le début du prochain quinquennat [le rapport a été remis au ministre de l'Éducation nationale dès avril dernier, ndlr] une concertation sur les différentes formes d’accompagnement des situations de handicap à l’école, avec pour objectif de retrouver un équilibre entre compensation et accessibilité." Autrement dit, réduire le recours aux AESH au profit d'autres solutions.

Renforcer le rôle prescripteur de l'Éducation nationale

La première mesure suggérée pour y parvenir consiste à ce que les MDPH cessent de mentionner dans leurs notifications le caractère individuel ou mutualisé de l’accompagnement ou sa quotité. Le type d'accompagnement requis serait alors décidé par l'Éducation nationale, cela en considérant "que les adaptations nécessaires afin de garantir l’accès au service public de l’éducation relèvent en priorité de l’État en tant qu’il en est le responsable".

Autres suggestions : mettre en cohérence les calendriers de notification d’aide humaine entre les MDPH et l'Éducation nationale, afin de mieux anticiper et dimensionner les recrutements d’AESH, et systématiser le GEVA-sco (guide d’évaluation des besoins de compensation en matière de scolarisation, outil d'information partagé sur la situation de l'élève). Plus précisément, le rapport se dit favorable à une expérimentation visant à rendre obligatoire l’expression d’un avis favorable de l’enseignant référent (qui accompagne les parents et joue un rôle de médiateur au sein de l'école et avec la MDPH) sur le GEVA-sco. En sa qualité de spécialiste des situations de handicap, ce référent permettrait ainsi à la MDPH d’instruire la demande dans de bonnes conditions et de définir une solution d’accompagnement adaptée au besoin. Il s'agit, là encore, de donner un poids plus important à l'Éducation nationale dans la décision d'accorder ou non une aide humaine à l'élève. Ou comme l'écrivent les rapporteurs, de consolider "la place de l’expertise éducative dans l’instruction et la décision relatives à l’accompagnement en milieu scolaire".

Le rapport demande également que soient poursuivis les efforts engagés en faveur de la formation des enseignants, tout comme il faudrait renforcer les formations communes entre AESH et enseignants. Les aménagements de bâti scolaire, de postes de travail ou d’espaces dédiés aux élèves handicapés sont d'autres voies citées pour favoriser l’accessibilité.

L'État recrute, tout le monde paie

Enfin, le rapport plaide pour une clarification du pilotage de la prise en charge du handicap à l’école, situé aujourd'hui au carrefour des compétences de l’État et des collectivités territoriales. Pour la mission, la décision du Conseil d’État du 20 novembre 2020, qui a exonéré l’Éducation nationale du financement des emplois d’AESH hors temps scolaire, "fait apparaître les limites du système actuel" (lire notre article du 6 novembre 2020). En effet, la prise en charge de cette rémunération par les collectivités "n’est pas encore appliquée dans le second degré et l’est inégalement dans le premier degré". Surtout, le pilotage actuel "crée une discontinuité dans la prise en charge des élèves". Pour garantir l’exécution de cette décision, la mission recommande que "les AESH soient mis à disposition par l’État contre remboursement [des collectivités]".

Pour la mission, l'avantage d'une telle mise à disposition tient notamment à "ce qu’elle n’impose pas de formalisme particulier à l’exception d’une convention entre l’administration d’accueil et l’administration d’origine". Reste à savoir où les collectivités qui, aujourd'hui, faute de moyens ne financent pas les AESH iront trouver le budget nécessaire. Selon la mission, cette prise en charge financière représente un effort de près de 52 millions d'euros par an pour les collectivités et pourrait atteindre 85 millions en 2027.

Qu'en sera-t-il de ces préconisations ? La conférence nationale du handicap qui doit se tenir au printemps 2023 sous l’autorité du président de la République donnera le ton...