Inondations : "Il y a le feu au lac !"

Alertant sur la menace grandissante et prégnante du risque inondation, plusieurs élus locaux auditionnés au Sénat ce 29 février ont fait part des difficultés qu’ils rencontrent pour y faire face. En tête, le traditionnel manque de moyens, mais peut-être plus encore "un droit déconnecté de la réalité", qui entrave leur capacité d’action tout en les rendant "responsables de tout, y compris de ce qu’on ne maîtrise pas".

Alors que deux tiers des communes françaises sont concernées par au moins un risque naturel, c'est le risque inondation qui est aujourd'hui prépondérant. Pour Sébastien Leroy, maire de Mandelieu-la-Napoule – "dévastée par trois inondations majeures en quatre ans" –, une chose est sûre : tous les territoires seront frappés. "Des territoires jamais frappés vont l’être, et ceux qui l’ont déjà été le seront davantage", avertit celui qui copréside par ailleurs la mission prévention des risques de l’Association des maires de France, "mise en place par David Lisnard il y a près de deux ans". "La situation est particulièrement grave", insiste-t-il. D’autant plus que, relève le sénateur Hervé Gillé (Gironde, SER), "beaucoup de territoires ne sont pas prêts". "Il y a le feu au lac", s’alarme ainsi la sénatrice Françoise Gatel, présidente de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation de la Chambre haute, laquelle organisait ce 29 janvier cette table-ronde sur "le pouvoir d’agir des élus locaux face aux risques d’inondation".

Ça n’ira pas mieux demain

Changement climatique. Aucun intervenant n’aura apporté la contradiction sur ces prévisions alarmistes, tous redoutant l’accélération et l’amplification du phénomène. "On pensait qu’on aurait un peu de temps pour s’adapter au changement climatique. On y est", constate Christian Leroy, président de la communauté de communes du Pays de Lumbres (Pas-de-Calais), territoire trois fois frappé en une vingtaine d’années, dont les deux dernières en novembre et janvier derniers. Directeur territorial du Cerema dans les Hauts-de-France, Stéphane Coudert précise : "Tout le monde est encore très prudent pour tisser le lien entre ces inondations et le changement climatique. Mais cela ressemble très très fortement à ce que pourrait être le changement climatique." 

Renoncement. Pour Christian Leroy, c’est surtout cette "répétition des occurrences" qui change la donne. Or, avec la deuxième inondation, le fatalisme tend à l’emporter. Face au risque inondation, il y a trois réponses possibles, rappelle Stéphane Coudert : "Est-ce qu’on résiste ? Est-ce qu’on accepte de céder un peu ? Est-ce qu’on cède ?" Avec les dernières inondations dans le Pas-de-Calais, la troisième voie semble avoir gagné du terrain : "Expropriez-nous", imploraient des habitants "désespérés", rapporte-t-il. 

Pluvio-anxiété contre mémoire courte. Au-delà de l’impact économique, Christian Leroy souligne la montée de la "pluvio-anxiété". "La moindre goutte d’eau crée un stress terrible", alerte-t-il, estimant que "l’on ne mesure pas encore l’impact psychologique" de ces événements. Un impact qui semble difficile à mesurer, puisque l’élu déplore dans le même temps que "les gens oublient très vite". "Tout le monde à la mémoire courte", confirme Stéphane Coudert, tous deux insistant sur "l’importance de garder la mémoire des événements et de la transmettre". 

Maire sans arme

Fonds Barnier et dommages collatéraux. Un risque accru qui, une fois encore, place le maire en première ligne… mais souvent sans arme. Le manque de moyens financiers est sans surprise dénoncé. "Dans certains territoires, comme le Marmandais ou le Val-de-Garonne, la prévention est impossible. Les coûts sont tels que même le fonds Barnier ne permet pas aux collectivités de trouver des solutions", alerte le sénateur Hervé Gillé. Et Christian Leroy de relever que même lorsque le rachat de maisons est possible via le fonds Barnier, la solution ne va pas sans dommages collatéraux pour la commune, laquelle perd alors des habitants et des ressources…

Taxe Gemapi, un ru. L’élu déplore également que la taxe Gemapi ne soit "pas appliquée au bon échelon. Il manque un volet de solidarité nationale", juge-t-il. Pour Sébastien Leroy, le produit de cette taxe, déjà insuffisant au regard de "charges qui se sont considérablement accrues", l’est désormais d’autant plus avec le transfert des digues aux intercommunalités, "alors que l’État n’a pas fait durant la décennie précédente son travail d’audit et d’entretien des ouvrages". Au-delà, il déplore que quand des moyens existent, ils sont surtout "débloqués pour les réparations, en réaction et pas en anticipation". 

Élu dans la nasse

Droit déconnecté. Pour l’élu de Mandelieu-la-Napoule, la principale difficulté réside toutefois dans "un état du droit français totalement déconnecté de la réalité", où se conjuguent "complexités, contradictions et dispersion des autorités". Le tout "plaçant le maire dans une solution inextricable", puisque ce dernier doit tout à la fois "sensibiliser sur des risques dont il n’a pas nécessairement connaissance", déployer des solutions sans moyens, quand ils ne lui sont pas retirés – et d’évoquer singulièrement les pénalités SRU infligées même quand il est dans l’impossibilité de construire – alors que, plus encore, "tout est fait pour entraver et paralyser son action". 

Délais. Il invoque les interminables délais pour obtenir "les autorisations de l’État, les autorisations environnementales, finaliser des programmes d’actions de prévention des inondations (Papi) qui vont encore être complexifiés par les textes européens…". Avec pour résultante "qu’aujourd’hui, quand on livre un ouvrage, il n’est déjà plus adapté aux nouveaux événements…".

Coupable mais pas responsable. Un droit qui rend en outre selon lui le maire "responsable pénalement de tout, y compris de ce qui n’est pas de son ressort". Pour lui, l’urgence est donc de "redonner au maire sa liberté d’agir et de rendre des comptes", et "au préfet son autorité". Comblant ainsi d’aise une Françoise Gatel soulignant "l’impérieuse nécessité d’avoir un patron dans les territoires, avec une autorité réelle sur ses services". 

Statut de l’élu. Les élus se sont également rejoints sur la nécessité de revoir le statut de l’élu. "Complètement", plaide Sébastien Leroy, qui juge que ce dernier n’étant "plus adapté aux missions du maire", "des petites évolutions n’apporteront pas une réponse satisfaisante". Au-delà de la responsabilité pénale, Christian Leroy évoque la question de la rémunération, prenant l’exemple d’un maire d’une commune de 1.000 habitants contraint de solliciter 20 jours d’autorisation d’absence, sans rémunération, de son employeur lors des dernières inondations. "Certains maires sont des moines", conclut-il. 

Un homme averti… Sébastien Leroy insiste également sur la nécessaire information préalable des candidats, certains "ne mesurant pas l’ampleur des défis" avant de se lancer dans l’aventure. 

Quelles solutions ?

Le Papi n’est pas tout. Pour Hervé Gillé, si le Papi est un "processus pertinent", il n’en reste pas moins "lourd, long, difficile, complexe, avec parfois un cahier des charges évoluant en permanence". Il insiste ainsi sur le fait qu’"un certain nombre d’actions sont mobilisables sans avoir besoin de rentrer dans des programmes très lourds. On n’a pas forcément besoin d’un Papi pour équiper les habitants en batardeaux". Stéphane Coudert vante pour sa part les mérites de la boussole de la résilience, outil mis en place par le Cerema.

Pics ? Christian Leroy place pour sa part beaucoup d’espoir dans l’élaboration d’un plan intercommunal de sauvegarde (Pics) : "Il va apporter beaucoup dans la mutualisation des moyens". Pour Sébastien Leroy, c’est toutefois loin d’être la panacée : "L’institution d’un Pics laisse à penser aux élus qu’ils ne seront plus responsables. Ce n’est pas le cas et il faut le souligner !" Il estime en outre qu’il "peut même être contreproductif" lorsque la ville-centre dispose de services importants, qu’elle peut mobiliser plus aisément. Et dans tous les cas, "le Pics ne remplace pas le plan communal de sauvegarde", prévient-il.

Bassin de risques. Pour Didier Felts, responsable Eaux, risques et résilience du Cerema, il est également nécessaire de réfléchir à la notion de "bassin de risques", notion qui n’a pas manqué d’intéresser Françoise Gatel. "Les territoires administratifs ne sont pas les territoires vécus", souligne-t-elle en payant son tribut au président de Départements de France, qui venait tout juste d’utiliser la formule dans une audition précédente. 

Expérimenter. Autre préconisation de l’expert qui n’aura pas manqué de séduire la sénatrice, ex-pé-ri-men-ter, ligne de conduite adoptée notamment dans le programme Amiter. Reste qu’à l’impossible, nul n’est tenu : Stéphane Coudert relève que des premières analyses conduites dans le Pas-de-Calais, il ressort que "personne n’a démérité".

 

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