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Congrès de l'AMF - Intercommunalité : le seuil de 20.000 habitants fait l'unanimité contre lui

Pour leur deuxième jour de congrès, les maires réunis à la porte de Versailles ont débattu de la place de la commune dans la réforme territoriale. Ils craignent des dommages en termes de proximité et de "libertés communales". Surtout, ils s'insurgent contre le seuil de 20.000 habitants que le projet de loi Notr entend imposer aux communautés de communes. La formule de la commune nouvelle, en revanche, continue de susciter l'intérêt.

Le grand débat de cette deuxième matinée du Congrès des maires ne pouvait que faire salle comble. Il était en effet consacré aux questions institutionnelles. Et donc principalement à la réforme territoriale. A la porte de Versailles, aux abords de l'espace de ce 97e Congrès, banderoles, affiches et pétitions s'élevant contre cette réforme avaient déjà donné le ton. Certains demandant carrément le retrait du projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République (Notr). Au sein de l'auditorium aussi, les interpellations ont parfois été vives, les questions ont en tout cas été nombreuses.
Globalement, les craintes actuelles des maires et présidents d'intercommunalités (ceux qui se sont exprimés étant pour la plupart des présidents de communautés de communes à dominante rurale) semblent se cristalliser sur deux enjeux : la crainte d'une "perte de proximité" et la crainte d'une remise en cause de la "liberté" d'agir des collectivités et de leurs élus. "On nous a servi la grande région, les grands cantons, la grande métropole, et maintenant on exige de grandes intercommunalités", a par exemple résumé Laurent Wauquiez, député-maire du Puy-en-Velay et président de l'Association nationale des élus de montagne, pour évoquer la perte de proximité.
De même, d'autres élus ont pointé plusieurs points du projet de loi Notr risquant selon eux d'être synonymes d'un éloignement préjudiciable : trop de schémas régionaux, un schéma départemental de la petite enfance "alors que c'est avant tout le bloc local qui agit dans ce domaine", le transfert du "ramassage scolaire" à la région ("alors qu'il fonctionne très bien au niveau départemental"), la compétence tourisme allant à l'intercommunalité alors qu'elle est souvent liée à "l'identité communale", la suppression de l'intérêt communautaire alors que c'est lui qui permet un travail de "dentelle" au plus près du terrain et du citoyen...
S'agissant de "liberté", on aura par exemple entendu le maire du Havre, Edouard Philippe, fustiger "cet Etat qui va dans certains cas nous imposer des choses, dans d'autres nous en interdire, le plus souvent sans que l'on sache vraiment pourquoi", tout comme on aura entendu André Laignel, le numéro deux de l'AMF, redouter qu'il ne "reste bientôt plus grand-chose de nos libertés communales".

Vers des "monstres ingérables" ?

Une autre "menace" apparaît prégnante dans l'esprit des maires. Alain Richard, sénateur-maire de Saint-Ouen-L'Aumône, l'a exprimée ainsi : "L'intercommunalité est en train de changer de nature. On sent poindre un risque d'automatisation." André Laignel parle pour sa part d'un "glissement progressif, voulu ou pas, qui conduit à une certaine évaporation de la commune dans l'intercommunalité".
Plus concrètement, le point qui cristallise sans doute le plus de mécontentements aujourd'hui, c'est bien la fameuse question du "seuil de 20.000" – autrement dit les dispositions du projet de loi Notr prévoyant que les schémas de coopération intercommunale (SDCI) devront être révisés pour créer des intercommunalités comptant au moins 20.000 habitants et non plus de 5.000 comme l'avait imposé la loi de 2010. Certes, Manuel Valls a récemment indiqué que le nouveau seuil pourrait être appliqué avec une certaine souplesse : sur certains territoires, notamment de montagne, "il faudra l'adapter et tenir compte du nombre de communes, mais aussi de la densité, de la topographie", avait ainsi déclaré le Premier ministre aux sénateurs fin octobre.
Mais apparemment, cela n'a pas été jugé suffisant. Ou bien n'a pas été entendu par tout le monde. Car de toutes parts, les mots ont fusé : "Ce seuil de 20.000 habitants n'a pas de sens", "20.000 habitants partout en France, c'est de la folie, cela donnera dans certains endroits des monstres ingérables à plus de 50 communes", "la précédente loi sur l'intercommunalité a entraîné des débats acharnés dont nous nous relevons à peine et il faudrait maintenant tout recommencer ?"…
Le futur seuil est critiqué y compris par les artisans engagés d'intercommunalités très fortes et intégrées. Ainsi, dans la salle, le maire et président d'une communauté de 18 communes du nord de la France a évoqué le long travail réalisé par son EPCI pour parvenir à assumer le maximum de compétences, y compris "tout le social". Or, a-t-il expliqué, si le seuil de 20.000 habitants devait être appliqué, cette communauté de communes devrait nécessairement rejoindre la grande communauté d'agglomération voisine, laquelle "ne veut pas de nos compétences volontaristes, entend se limiter aux compétences obligatoires". Résultat : "Tout notre projet d'aménagement rural s'effondrera." Un autre élu se souvient que lors de la précédente vague de fusions d'EPCI, sa communauté avait "déjà dû réduire ses compétences" pour s'aligner par le bas et craint que cela se reproduise.

Intérêt communautaire : la question va être retravaillée

Marylise Lebranchu, intervenant en fin de débat pour répondre à certaines interrogations, a reconnu que "l'inquiétude est grande" et s'est dit parfaitement consciente que "36.000 communes, c'est 36.000 points de repère". Au sujet du seuil de 20.000 habitants, elle a tenu à préciser un peu les choses : "Ce seuil, c'est un objectif". Et cet objectif devra dans certains cas être "adapté", notamment lorsqu'une communauté de communes a "une démographie très faible" ou lorsque les temps de parcours nécessaires aux élus pour se réunir "autrement qu'en visioconférence" s'avéreront impraticables. "Il s'agit d'être raisonnable", a affirmé la ministre de la Décentralisation. Mais la plupart des élus préféreraient que le gouvernement renonce tout simplement à ce seuil. Philippe Bas, président de la commission des Lois du Sénat, a d'ailleurs prévenu que la majorité des sénateurs devraient s'opposer à ce seuil.
La ministre a d'autre part laissé entendre que le problème de l'intérêt communautaire, sur lequel l'AMF et son président Jacques Pélissard ont beaucoup insisté ces derniers temps, pourrait être réinterrogé : "Il faut que l'on travaille bien là-dessus avec les sénateurs" dans le cadre de l'examen du projet de loi Notr, a-t-elle en effet indiqué.
Marylise Lebranchu, enfin, s'est interrogée sur "un vrai problème de démocratie qui est devant nous" en matière d'intercommunalité : "Faut-il continuer de fonctionner par fléchage ? Ou faut-il dessiner une assemblée intercommunale à deux collèges, à savoir d'une part le collège des maires et d'autre part une liste portant directement le projet intercommunal ?"
Du côté des élus, l'une des réponses à l'éternelle problématique de l'équilibre entre commune et projet intercommunal semble bien être aujourd'hui la formule de la commune nouvelle. Philippe Chalopin, le maire de la commune nouvelle de Baugé-en-Anjou - l'un des précurseurs qui accueillait d'ailleurs le week-end dernier sur ses terres les "deuxièmes rencontres nationales des communes nouvelles de France" -, était à la tribune du congrès des maires ce 26 novembre pour en témoigner. Cet "outil extrêmement souple" est entre autres "un moyen de peser davantage au sein de l'intercommunalité", a-t-il en effet souligné.
"Quand vous êtes une petite commune, vous pouvez vous dire qu'il vaudrait mieux vous entendre avec vos voisins immédiats pour préserver vos services de proximité que de tout laisser partir à la communauté de communes", a pour sa part estimé Philippe Bas, ajoutant que la commune nouvelle est également intéressante pour les EPCI eux-mêmes, qui "se plaignent souvent de l'émiettement de la représentation des communes au sein du conseil communautaire".
Philippe Bas a en outre fait savoir que la commission des lois du Sénat venait de désigner Michel Mercier pour être le rapporteur de la proposition de loi Pélissard sur les communes nouvelles. La date d'examen de ce texte consensuel destiné à améliorer le dispositif actuel sera, a-t-il indiqué, "connue dans quelques jours".