Interdiction des cirques avec animaux sauvages par les communes : avant l’heure…

Alors que les décisions annulant les arrêtés municipaux bannissant les cirques avec animaux sauvages se succèdent, la question reste sensible. Si une telle interdiction reste impossible avant la fin 2028, les difficultés d’installation que rencontrent les cirques vont croissant. Et les commissions départementales des professions foraines et circassiennes, instituées l’an passé pour favoriser la médiation entre élus et circassiens, tardent à se mettre en place.

Aucun texte ne donne au conseil municipal le pouvoir d’interdire des cirques détenant des animaux sauvages sur le territoire communal. La décision de la cour administrative d’appel de Douai du 8 décembre dernier relative à une délibération du conseil municipal d’Hénin-Beaumont du 24 février 2017 – par laquelle ce dernier renonçait "à recevoir, sur le territoire communal, tout cirque détenant des animaux sauvages" – a, comme les précédentes, le mérite de la clarté. La solution est tout sauf nouvelle (voir notre article du 26 juillet 2021) et les décisions en pareil sens ne manquent pas. Nonobstant, le sujet a repris de la vigueur avec l’adoption de la loi du 30 novembre 2021 visant à lutter contre la maltraitance animale (voir notre article du 1er décembre 2021).

Pas d’interdiction avant la fin 2028

Cette dernière a en effet interdit, dans les établissements itinérants, la détention, le transport et les spectacles incluant des espèces d'animaux non domestiques. Mais – in cauda venenum – cette interdiction n’entrera en vigueur qu’à l’expiration d’un délai de sept ans à compter de la promulgation de la loi. Pour l’heure donc, rien ne change. Une précision que certains élus locaux n’ont pas retenue – ou que certains ne veulent pas voir – en dépit des rappels à la loi ou des tentatives de médiation. "De manière concrète, le nombre de maires ayant prononcé des interdictions par arrêté ou délibération est désormais stable, et est en voie de résorption. La cinquantaine de décisions de justice, toutes gagnées par notre association, a porté ses fruits. En revanche, le nombre de maires n’autorisant pas les cirques à s’installer sur le domaine public est en très forte augmentation, alors même que ledit domaine public, vérification faite, est libre, et que le cirque accepte de payer la redevance d’occupation qui s’y attache", déplore Cyrille Emery, délégué général de l’Association de défense des cirques de famille, interrogé par Localtis. "C’est l’une des principales raisons qui a amené notre association à rencontrer la nouvelle ministre des collectivités territoriales, Dominique Faure, ce 5 janvier, place Beauvau", indique-t-il, précisant y avoir "pour la énième fois, demandé à ce qu’une circulaire de politique criminelle générale demande aux parquets de poursuivre systématiquement les agressions et injures dont les cirques sont les victimes".

"Petits chefs"

Cette audience fait elle-même suite à la réception, le 16 novembre dernier, d’une délégation de forains et de circassiens par l’Association des maires de France afin de tenter d’apaiser la situation (voir notre article du 17 novembre 2022). Sans grand succès, semble-t-il. "Nous demandons aux maires de France d’arrêter de se prendre pour des ‘'petits chefs’' et de respecter nos droits", clame l’Association de défense des cirques de famille, dans une tribune du 4 décembre dernier. "L’État dialogue de manière permanente avec les représentants des cirques et de spectacles itinérants. Ça se passe plus ou moins bien, mais ça discute. Tel n’est pas le cas de ces communes qui ont décidé ce que leurs habitants avaient le droit de voir ou pas", dénonce l’association. Qui montre les dents : "Les textes de droit interne, européen et conventionnel protègent l’activité des cirques, et nous n’hésiterons pas à les faire reconnaître en justice, y compris devant le juge pénal, s’ils continuent à être bafoués par des maires qui se prennent pour des potentats locaux ayant le pouvoir de censurer les spectacles qui ne leur plaisent pas, privant ainsi leurs administrés de l’accès à la culture, auquel ils ont droit", prévient Cyrille Emery.

Circulaire, loi…

Redoutant un tel mouvement, et pour éviter débordements et contentieux, le ministre de l’Intérieur avait pourtant, l’encre de la loi à peine sèche, tenu à rappeler l’état du droit aux maires, dans une instruction aux préfets du 8 décembre 2021 (voir notre article du 6 janvier 2022). Quelques semaines plus tard, les parlementaires eux-mêmes remettaient le métier sur l’ouvrage, dans le cadre de la loi 3DS du 21 février 2022. "Lorsque l’exploitant d’un cirque itinérant rencontre des difficultés pour s’établir sur le domaine public d’une commune, le représentant de l’État dans le département, saisi d’une demande en ce sens, organise une médiation entre l’exploitant et la commune concernée. La médiation tend à rechercher un terrain d’établissement pour l’exploitant", dispose ainsi l’article 157 de ce texte, issu d’un amendement du député Bruno Questel. L’élu visait à "faciliter les installations des cirques itinérants d’animaux sauvages et l’exercice des activités professionnelles des circassiens pendant [la] période de transition". Mais "il n’y a pas de période de transition !", s’insurge Cyrille Emery, qui rappelle que "les cirques sont pleinement autorisés à détenir des animaux, domestiques et non domestiques, jusqu’au 30 novembre 2028".

… et décret n’y peuvent mais

Dans la foulée de la loi 3DS, le pouvoir réglementaire avait lui-aussi pris le taureau par les cornes. Par décret du 17 mars 2022, il instituait des commissions départementales des professions foraines et circassiennes, déclinaisons de la commission nationale existante – qu’un décret du 6 janvier publié ce samedi vient modifier à la marge, en revoyant pour l’essentiel le dispositif relatif aux suppléants et en réduisant de quatre à trois le nombre minimal de réunions annuelles. Ces commissions locales visent notamment à conseiller le préfet "sur toute question ayant trait à l'installation et aux activités des professions foraines et circassiennes dans le département" (voir notre article du 18 mars 2022). Las, elles peinent à se mettre en place. Interrogé, le ministère de l’Intérieur n’a pu nous fournir de données précises. La consultation des recueils préfectoraux donne néanmoins un aperçu de la situation. Dans l’Allier, la commission a été créée par arrêté du 30 mai et installée le 21 juin. Dans le Calvados, elle l’a été par arrêté du 30 juin, et installée le 22 septembre. De telles commissions ont également pris officiellement naissance dans les Bouches-du-Rhône (arrêté du 11 août), en Eure-et-Loir et dans le Loiret (arrêtés du 12 septembre), dans la Somme (arrêté du 10 octobre)… Reste pour la plupart sans doute à faire leurs premiers pas. "Je suis pour ma part supposé faire partie de deux d’entre elles, dans la Manche et les Hauts-de-Seine, mais elles n’ont jamais été réunies", indique Cyrille Emery.

Références :  décret n° 2023-7 du 6 janvier 2023 modifiant le décret n° 2017-1501 du 27 octobre 2017 relatif aux commissions nationale et départementales des professions foraines et circassiennes et à la médiation du représentant de l'État dans le département, JO du 7 janvier 2023. CAA Douai, 8 déc. 2022, n° 21DA00323, 21DA00324.
 

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