La Commission européenne inquiète du creusement des inégalités territoriales et de la pauvreté en France
La Commission européenne desserre un peu l'étau sur la France en suspendant la procédure pour déficits excessifs ouverte l'an dernier. Elle considère que la trajectoire de redressement des finances publiques a pour le moment été respectée mais le budget 2026 sera regardé avec attention. Dans ses recommandations du "paquet de printemps", elle s'inquiète en particulier de la situation des entreprises, du creusement des inégalités territoriales et de l'accroissement de la pauvreté.

© European Union, 2025/ Roxana Mînzatu et Valdis Dombrovskis
La Commission a proposé, mercredi 4 juin, de suspendre la procédure pour "déficits excessifs" ouverte à l’égard de la France l’an dernier. Ce qui peut surprendre au regard de l’état des finances publiques. Mais l’exécutif européen a considéré que des efforts avaient été accomplis. "Pour la France, l'Italie, la Hongrie, Malte, la Pologne et la Slovaquie aucune mesure supplémentaire ne doit être prise dans le cadre de la PDE (procédure pour déficits excessifs, ndlr) pour ces pays à ce stade", indique-t-elle dans un communiqué publié à l’occasion du "paquet de printemps" du Semestre européen. Comme chaque année depuis 2011, la Commission adresse à cette occasion un catalogue de recommandations de réformes que chaque Etat membre est invité à mener. Il s’agit de ramener la dette sous les 60% du PIB et le déficit public sous les 3% du PIB. Ces recommandations doivent encore être avalisées par les Vingt-Sept courant juillet. Mais avec la nouvelle gouvernance économique mise en place l’an dernier, il s’agit bien plus que de conseils car les sanctions peuvent être sévères en cas de dérapages et de non-respect des engagements pris.
Pour cette année, la Commission a donc considéré que la France respectait sa trajectoire de redressement des finances publiques inscrite dans le "plan budgétaire et structurel à moyen terme 2025-2029" transmis en octobre 2024 et approuvé par le Conseil en janvier dernier. Sachant que pour la France un délai de trois ans supplémentaires (sept au lieu de quatre) a été accordé pour rentrer dans les clous, à condition pour elle de mener un certain nombre de réformes et d’investissements supplémentaires : conduire des revues de dépenses, une réforme du taux de cotisation à la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales (CNRACL), baisse des cotisations de sécurité sociale sur le Smic, mesures de soutien à l’emploi, amélioration de l’environnement des entreprises, transition écologique et énergétique… A l’exception du Smic, ces réformes ont été menées à bien, constate la Commission. Parfois avec l’aide du plan de relance européen qui repose lui aussi sur un certain nombre de réformes à mener (appelées "cibles" et "jalons").
40 milliards d'économie à trouver
"Les revues de dépenses menées en 2024 ont déjà permis d’identifier et de dégager des économies estimées à 4,3 milliards d’euros au sein des textes financiers pour 2025, soit plus de la moitié de notre objectif pour 2027 (8 milliards d’euros)", s'est félicité le ministère de l’Economie, dans un communiqué, mercredi.
Le gouvernement demeure "pleinement engagé à poursuivre la mise en oeuvre et la montée en charge des réformes prévues dans son plan budgétaire et structurel à moyen terme", poursuit Bercy, à qui incombe la lourde tâche de préparer le budget pour 2026... et de trouver 40 milliards d’euros d’économie. Fin mai, le Premier ministre François Bayrou a annoncé la couleur : il va falloir demander un effort à "tous les Français" (voir notre article).
A cette aune, le Semestre européen doit être vu comme le programme d’ajustement structurel annonciateur des réformes à venir. Et si la Commission note des progrès, elle reste inquiète de la situation en France. En attendant les futures annonces gouvernementales attendues pour juillet, ses prévisions tablent "à politiques inchangées" sur une légère aggravation du déficit de 5,6 à 5,7% du PIB en 2026 (quand le gouvernement prévoit une diminution à 4,6% en 2026 et un retour sous les 3% en 2029) et une dégradation de la dette de 116 à 118,4% du PIB. Elle constate aussi que le niveau des dépenses publiques est toujours de plus de 57% du PIB et qu’il compte toujours parmi les plus élevés de l’UE : +7,5 points de pourcentage à la moyenne européenne.
Autant dire que la situation reste précaire. "Une forte incertitude politique entoure la réduction constante du déficit", souligne la Commission qui appelle à "intensifier les efforts".
Inégalités territoriales et pauvreté
Au-delà des aspects budgétaires, Bruxelles constate un creusement des inégalités territoriales. Cinq régions "nuts 2" (à savoir celles de l’ancien périmètre qui sert de base aux politiques régionales) sont désormais sous les 75% de la moyenne européenne du PIB par tête : Corse, Limousin, Franche-Comté, Lorraine et Picardie. Et deux autres régions (Auvergne et Languedoc-Roussillon) s’en approche. Les délais de paiement des entreprises sont "significativement au-dessus de la moyenne" européenne, pointe-t-elle par ailleurs : en 2024, 58% des PME signalaient ainsi des retards. En 2024, les faillites ont augmenté de 17,4%. Et si des efforts ont été réalisés ces dernières années pour améliorer l’environnement des entreprises, la "charge administrative" reste une préoccupation : 84% des entreprises considèrent les procédures trop complexes, contre 66% au niveau européen, souligne la Commission qui dit regarder de près l’examen de la loi Simplification de la vie des entreprises au Parlement. Des progrès ont été accomplis en matière d’émission de gaz à effet de serre, mais "la France est encore en deçà de ses objectifs de décarbonation dans plusieurs domaines clé", tance la Commission, qui relève que les émissions n'ont diminué que de 1,8% en 2024 par rapport à 2023, loin des "5% requis pour atteindre son ambition climatique". Elle appelle aussi à "accélérer le déploiement des énergies renouvelables".
Autre constat : la pauvreté s’est aggravée en France ces dernières années, "particulièrement chez les enfants". Entre 2019 et 2023, la France a compté 1,024 million de personnes de plus en risque de pauvreté ou d’exclusion sociale. C’est le décalage "le plus important" avec l’objectif qui était de réduire le nombre de personnes en situation de pauvreté de 1,1 million d’ici à 2030, déplore la Commission qui s’alarme de la situation des jeunes en situation de pauvreté. La France connaît à cet égard l'un des taux parmi les plus mauvais en Europe.
L’un des rares bons points a trait à la politique de cohésion dont la mise en oeuvre "s’est accélérée".
Cinq séries de recommandations
Sur la base de ces constats, la Commission invite le Conseil à se prononcer sur cinq séries de recommandations qui vont de l’accélération les dépenses de défenses pour 2025 et 2026 (celles-ci dérogeant aux règles d’orthodoxie budgétaire) à la simplification des règles pour les entreprises, en passant par le déploiement des énergies renouvelables : simplification des procédures d’octroi de permis et préparation des "zones d’accélération de la production d’énergies renouvelables", investissements dans les interconnexions transfrontalières... Elle préconise aussi d’accélérer la mise en œuvre du plan de relance européen et de la politique de cohésion, en s’appuyant sur les instruments européens tels qu’InvestUE la plateforme "Technologies stratégiques pour l’Europe". Il est enfin demandé à la France de "remédier davantage aux pénuries de compétences", "de réduire la pauvreté infantile en supprimant les barrières qui entravent l’intégration des parents sur le marché du travail" et "l’accès des ménages les plus défavorisés à une éducation et un accueil de qualité de la petite enfance".