La Cour des comptes fait le constat de l'échec de l'école primaire
Dans son rapport publié ce 20 mai 2025, la Cour des comptes établit un "constat d'échec" de la politique publique d'enseignement primaire : le niveau des élèves est en recul malgré des dépenses croissantes, les inégalités scolaires s'aggravent et la gouvernance est "encore trop centralisée". La Cour pointe les "effets néfastes" de la semaine de quatre jours, le statut "obsolète" des directeurs d'école et appelle à une meilleure coordination entre État et collectivités locales.

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"Le premier message, c'est le constat de l'échec de notre politique publique d'enseignement primaire : le niveau des élèves n'est absolument pas à la hauteur, l'organisation de l'enseignement est en décalage avec les besoins de l'enfant et les inégalités s'aggravent", a tranché le premier président de la Cour des comptes, Pierre Moscovici, lors de la conférence de presse du 20 mai 2025.
Avec 55,1 milliards d'euros de dépenses publiques en 2023 pour l'enseignement primaire, la France affiche un investissement conséquent et en constante progression pour les 47.000 écoles et 370.000 enseignants concernés. En 2023, seuls 2,5% des élèves français étaient considérés comme "avancés" en mathématiques, contre une moyenne de 11,5% dans les pays de l’OCDE, plaçant la France au dernier rang européen. De plus, la Cour alerte sur "une aggravation des inégalités" dès le premier degré, en lien avec le milieu social des élèves : ainsi, "40% des élèves de 6e en grande difficulté appartiennent au groupe ayant l'indice de positionnement social le plus bas", selon le rapport.
Les effets "néfastes" de la semaine de quatre jours
La Cour revient avec insistance sur les "effets néfastes" de la semaine de quatre jours, redevenue majoritaire depuis 2017. Jugée "inadaptée aux rythmes des enfants" par l'Académie nationale de médecine, "trop dense", elle entraîne une baisse de vigilance et nuit aux apprentissages en début de semaine. Cette organisation, propre à la France, va à rebours des recommandations en chronobiologie et des pratiques européennes, où la semaine de cinq jours reste la norme. "L'extrapolation des données de l'OCDE permet de dégager un modèle dominant, celui d'une semaine scolaire de cinq jours pleins", fait valoir la Cour.
La loi de juillet 2013 avait modifié profondément l'organisation du temps scolaire, en répartissant les heures d'enseignement sur une semaine de quatre jours et demi. Mais cette modification d'ampleur des rythmes scolaires s'est révélée très hétérogène dans sa mise en oeuvre. "Elle n'a pas été évaluée, ni stabilisée dans le temps, puisqu'un décret pris en 2017 permet de revenir à la semaine de quatre jours par dérogation", rappelle Pierre Moscovici, qui estime qu'il "est aujourd'hui indispensable que l'on puisse revenir rapidement à l'esprit de la loi de juillet 2013". "Il en va de l'intérêt de l'enfant et des résultats de notre système scolaire", estime le premier président.
Directeur d'école : le système de décharge jugé "obsolète"
Autre point noir : le "flou statutaire" des directeurs d'école, freinant leur capacité de pilotage éducatif. Le système de décharge est jugé "obsolète". La Cour recommande de créer un véritable statut de directeur ou, à défaut, de généraliser la décharge complète, notamment dans les écoles regroupées (on relèvera que cette recommandation intervient alors que le gouvernement a récemment envisagé de supprimimer la décharge d'enseignement dont bénéficient les directeurs d'écoles parisiens). "Cette évolution doit s'inscrire dans une démarche locale, prenant en compte les spécificités territoriales. Elle pourrait intégrer des modalités d'évaluation favorisant un dialogue structuré avec les autorités académiques, jusqu'à un contrat d'objectifs et de moyens dans les établissements les plus importants. Cette approche pourrait s'appuyer sur le conseil d'évaluation", détaille la Cour dans son rapport.
Mieux associer les collectivités à la politique éducative
"La gouvernance de cette politique publique n'a pas été modifiée depuis le XIXe siècle", rappellent les Sages. Le rapport insiste donc sur la nécessité de renforcer la concertation avec les acteurs de la communauté éducative et tout particulièrement les collectivités territoriales. L'enseignement primaire, "très centralisé dans sa gouvernance, repose pourtant sur un financement largement partagé". La dépense globale pour le primaire atteindrait 52 milliards d'euros en 2022, soit 2% du PIB, dont 20,1 milliards d'euros pour l'État (hors pensions) et 19 milliards pour les collectivités territoriales. À cette répartition s'ajoutent 3 milliards d'euros provenant des ménages, notamment pour la cantine.
La Cour propose la conclusion de conventions triennales entre les élus locaux et les services de l'Éducation nationale afin de mieux objectiver les priorités éducatives du territoire. Cette initiative, passée relativement inaperçue, vient récemment de se concrétiser début mai puisqu'un protocole d'accord a été signé entre l'Association des maires de France (AMF) et les ministères de l'Éducation nationale et des Sports, prenant en compte différents sujets de la carte scolaire, de l'école inclusive, du périscolaire, bâti scolaire, accès aux équipements sportifs, etc. (notre article du 6 mai 2025).
La Cour encourage aussi la restructuration du maillage scolaire dans les territoires touchés par la baisse des effectifs, en promouvant tout particulièrement les regroupements pédagogiques intercommunaux.
Attractivité du métier d'enseignant
Au-delà de l'organisation du temps scolaire, la Cour souligne la nécessité d'une meilleure qualité du service au bénéfice des élèves, qui soulève avant tout la question "du recrutement, de la formation initiale et continue et de la qualité de l'enseignement des enseignants". "La nécessité de développer l'attractivité du métier d'enseignant dans le premier degré est, aujourd'hui, reconnue par tous les acteurs", écrit la Cour sans pour autant envisager de mieux les rémunérer. Elle suggère de proposer dans les académies présentant de fortes difficultés de recrutement de professeurs la possibilité de prévoir une affectation par département, à l'issue du concours, et d'instaurer des règles facilitant, in fine, la mobilité géographique.
Au final, il existe une "impérieuse nécessité de repenser le modèle actuel de l'école", juge la Cour des comptes. Selon elle, il faut notamment "centrer les innovations sur le bien-être des élèves", avec une "meilleure mise en cohérence entre activités scolaires, périscolaires et extrascolaires". Face à une baisse prévisible de 350.000 élèves d'ici 2028, la Cour y voit une opportunité de transformation structurelle.
"C'est sûr que l'école traverse une crise, que les inégalités sont renforcées actuellement", a réagi Guislaine David, secrétaire générale de la FSU-Snuipp, principal syndicat du primaire. Mais pour elle, "le rapport ne donne pas forcément les bonnes solutions pour l'école". "Pour améliorer le niveau des élèves, il faut penser formation des enseignants, effectifs par classe", a-t-elle ajouté. Quant au rythme des enfants, "on ne peut pas en parler en le déconnectant totalement des rythmes des parents" et donc "de la vie des salariés en France", qui conduit certains enfants à "passer énormément de temps à l'école", estime-t-elle.