La Cour des comptes très critique sur la réforme de l’apprentissage

La réforme de l’alternance représente un coût élevé pour la dépense publique alors que sa plus-value est contestable en termes d’insertion professionnelle, selon la Cour des comptes, qui appelle à des mesures d’économie.

La hausse inédite du nombre d’apprentis dont se prévaut le gouvernement n’est pas du goût de la Cour des comptes. Jeudi 23 juin, la plus haute juridiction financière étrille sa coûteuse réforme de l’alternance, qu’elle analyse dans un rapport, accompagné d’un référé visant France compétences. L’opérateur chargé de la répartition des fonds de la formation professionnelle accuse en effet des déficits récurrents. En 2022, il lui manquerait 8 milliards d’euros, selon son directeur général Stéphane Lardy (lire notre article).

"Compte tenu de la situation globale des finances publiques, il est particulièrement important que la stratégie nationale de l’alternance veille à l’efficience de la dépense publique en priorisant les situations où l’apprentissage apporte une réelle plus-value et en évitant les effets d’aubaine", estime en conséquence la Cour des comptes, qui appelle l’État à définir "une stratégie nationale de l’alternance identifiant les objectifs prioritaires de développement".

La Cour des comptes remarque en effet qu’à partir du niveau de la licence, le contrat d’apprentissage améliore la qualité de l’emploi obtenu sans faire progresser des chances d’insertion professionnelle déjà élevées. Alors qu’en parallèle, "l’accès à l’apprentissage reste difficile pour les jeunes décrocheurs du système scolaire". Autre problème de fond : le risque d’une inadéquation entre une offre de formation “uniquement fondée sur la demande des jeunes” et les besoins de compétences des entreprises, alors que certains CFA en zone rurale ou devant supporter des plateaux techniques coûteux sont inquiets par rapport à leurs capacités de financement.

Rapprocher les niveaux de prise en charge des coûts de revient

A ces manques s’ajoute le problème du financement, qui n’a pas été anticipé, critique la Cour des comptes. Les dépenses en matière d’alternance ont doublé, passant de 5,5 milliards d’euros en 2018 à 11,2 milliards en 2021. Cette hausse s’explique par l’explosion du nombre d’apprentis, dopée par des primes à l’embauche dont l’accès a été élargi aux employeurs en 2020, combinée à une "augmentation du coût des formations" jugée problématique par la Cour des comptes. D’environ 7.000 euros avant la réforme, le coût moyen par apprenti est passé à 8.269 euros en 2020, soit une croissance de 17%, selon ses propres calculs.

Alors que les ressources de France compétences sont limitées, car assises sur la masse salariale des entreprises, la juridiction financière en appelle à des "mesures fortes". Côté dépenses, elle préconise donc de mettre fin aux aides exceptionnelles versées aux employeurs et de rapprocher dès 2022 les niveaux de prise en charge des contrats au plus près de leur coût de revient, selon le diplôme. Une régulation qui suppose aussi d’encadrer les possibilités de modulation par les branches professionnelles. Autres pistes : relancer les contrats de professionnalisation, moins coûteux, ou encore moduler le financement des centres de formation recevant des financements publics.

Côté recettes, elle invite à supprimer les exonérations spécifiques de la taxe d’apprentissage dont bénéficient certaines entreprises. "Une augmentation de la contribution des entreprises, comme une subvention annuelle de l’État à France compétences, écartées jusqu’à présent, pourraient aussi être envisagées dès lors qu’elles seraient justifiées par un effort national massif en faveur du développement de l’apprentissage", peut-on lire dans le référé.

Concertation avec les régions

En matière de pilotage, elle réclame par ailleurs une "concertation annuelle" entre les régions, les opérateurs de compétences et les branches professionnelles, dont objectif serait alors d’identifier les filières de formation à soutenir par le biais de l’enveloppe régionale d’aménagement du territoire et de choisir des projets d’investissement à cofinancer par les régions et les opérateurs de compétences. Dans la même veine, la Cour des comptes appelle à une nouvelle répartition des dotations aux régions. Figées sur la base de leurs dépenses historiques avant la réforme, ces enveloppes ne tiennent pas compte de l’évolution du nombre d’apprentis et risquent ainsi "d’ancrer certaines régions dans le sous-investissement". Deux préconisations saluées par régions de France dans un communiqué.

A l'occasion d'une rencontre avec des apprentis du centre de vacances Village Natures Paris de Bailly-Romainvilliers (Seine-et-Marne) en présence du ministre du Travail Olivier Dussopt, la Première ministre Elisabeth Borne a défendu, vendredi, la réforme du gouvernement, rappelant que 730.000 contrats avaient été signés en 2021, contre 290.000 par an auparavant. Elle a également confirmé sur twitter la prolongation "à l'identique" et "jusqu'à la fin de l'année" de l'aide à l'embauche des apprentis prévue dans le cadre du plan "Un jeune, une solution". Cette aide, qui se monte à 5.000 euros pour un mineur, 8.000 euros pour un majeur, devait s'interrompre à la fin du mois de juin. Olivier Dussopt "réunira dans les prochaines semaines syndicats et patronat pour discuter des suites à donner après la fin de l’année pour les adapter sans remettre en cause cette dynamique".

Des économies aussi sur le CPF

Le rééquilibrage financier de France compétences repose aussi sur d’autres postes de dépenses. Dans son référé, la Cour des comptes vise ainsi le compte personnel de formation. Elle appelle à recentrer les financements sur “les formations les plus qualifiantes” ainsi qu’à “instaurer une participation modulable des bénéficiaires des formations”. Elle préconise, concernant le financement du plan d’investissement dans les compétences, “d’adapter le montant et le rythme des versements de France compétences à l’État, au titre de la formation des demandeurs d’emploi, à leur consommation réelle”.

En réponse, le ministère du Travail fait valoir l’écrémage en cours des formations CPF assuré grâce à l’entrée en vigueur, en 2022, de l’obligation de la certification Qualiopi pour les organismes de formation, ainsi que l’encadrement plus strict des formations à la création/reprise d’entreprises. Toujours à propos du CPF, il assure que "d’autres mesures de régulation pourront être prises avec les partenaires sociaux".