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La filière bois-énergie ne veut pas sentir le sapin

La deuxième journée "bois-énergie" s'est tenue ce 18 mai dans une atmosphère quelque peu morose. Le développement de la filière stagne depuis plusieurs années en dépit des objectifs fixés dans le cadre de la transition énergétique, et sa contribution en la matière fait l'objet de controverses. Les acteurs se sont employés à rassurer, tout en appelant l'État à davantage de soutien et de visibilité.

"Est-ce raisonnable de consommer du bois pour l'énergie ? Oui !", a (r)assuré Arnaud Leroy, président de l'Ademe. "On ne peut pas se passer du bois-énergie", a surenchéri le député Bruno Millienne (Modem, Yvelines). À l'occasion de la 2e "journée "bois-énergie", organisée ce 18 mai par le Comité interprofessionnel du bois-énergie (Cibe) et ses partenaires (Amorce, Ademe, FNCCR, Fedene, etc.), on s'est employé à mettre du baume au cœur à une filière quelque peu meurtrie.

Les appels lancés ces dernières semaines – par des scientifiques, puis tout récemment par plusieurs associations – aux "grands" de ce monde leur demandant d'exclure la biomasse forestière des énergies renouvelables et de "protéger les forêts, pas de les brûler" ont laissé comme un goût de cendre dans la bouche. Et ce d'autant que, paradoxalement, la filière fait face, en France, à un "fort ralentissement de son développement depuis 2017", en dépit des "objectifs très importants" qui lui ont été assignés, notamment dans le cadre de la Programmation pluriannuelle de l'énergie, rappelle Mathieu Fleury, président du Cibe.

Scier la branche sur laquelle on est assis ?

La journée a ainsi été l'occasion de dénoncer les multiples freins à son essor. Principal obstacle avancé, "un coût anormalement bas des énergies fossiles", estime Stéphane Magot, président du Syded du Lot et membre d'Amorce. Un faible coût conforté par le gel de la taxe carbone, que dénonce vertement le président du Syndicat des énergies renouvelables, Jean-Louis Bal : "Il n'y aura pas de transition énergétique sans monétisation des impacts environnementaux, et particulièrement des gaz à effet de serre", martèle-t-il, regrettant que l'Ademe soit en conséquence "aujourd'hui obligée de compenser le manque de compétitivité de la biomasse par des aides accrues", y voyant un "gaspillage de l'argent public". Un manque de compétitivité que s'est toutefois empressé de relativiser Pascal Roger, président de la Fedene (Fédération des services énergie environnement), et que le sénateur Daniel Grémillet (LR, Vosges) s'était précédemment employé à battre en brèche avec assurance : "la compétitivité du bois-énergie n'est pas à démontrer ; elle est acquise". Quant au retour de la taxe carbone, les parlementaires présents ont rappelé combien on marchait sur des charbons ardents. "Ce n'est pas de la peur, mais du réalisme", se défend Bruno Millienne qui, avec le sénateur Guillaume Chevrollier (LR, Mayenne), souligne sa nécessaire "acceptabilité sociale". Aussi tous deux préfèrent-ils pour l'heure renvoyer le tison vers une Union européenne invitée à "gagner en maturité et à ne plus être le naïf de la classe : tout ne peut plus rentrer sans prix à payer !", plaidant pour la taxe carbone aux frontières.

Soutien et nécessaire visibilité

Un malheur n'arrivant jamais seul, si en matière de fiscalité les énergies fossiles n'ont pas été pénalisées comme espéré, Stéphane Magot souligne que la filière a, elle, été parfois victime de mesures fiscales locales défavorables – hausse de la taxe foncière, de la cotisation foncière des entreprises, de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises – qui mettent certains réseaux de chaleur en milieu rural "en grande difficulté". Aussi, outre une révision du statut de déchets des cendres, l'élu plaide pour le renforcement des aides, notamment via "le fonds de décarbonation, qui devrait venir conforter le fonds chaleur". En ce domaine, si l'apport du plan de relance a été salué – sans faire l'unanimité, Guillaume Chevrollier dénonçant notamment des "effets d'aubaines" et le "recyclage de certains crédits" –, il est néanmoins jugé insuffisant. "Il faut que l'on insiste plus dans le projet de loi de finances sur les réseaux de chaleur", se motive Bruno Millienne.

Le député des Yvelines insiste surtout sur la nécessité de "donner à la filière une vision à long terme". Une vision partagée par ses collègues du Sénat. Ainsi, Guillaume Chevrollier plaide pour "un cadre législatif et réglementaire stable et qui donne une vision claire" pour une filière par essence "de long terme", dénonçant "des tergiversations dans la politique énergétique de la France". Daniel Grémillet lui fait écho : "On ne peut pas avoir une stratégie qui varie tous les cinq ans", s'emporte-t-il, soulignant notamment le besoin de stabilité et de visibilité pour la recherche et développement… et pour les collectivités locales. Des collectivités dont on a par ailleurs besoin "pour structurer les filières dans les territoires. C'est à elles de donner l'impulsion", estime Guillaume Chevrollier.

Des élus pour allumer le feu

Pour inciter ces dernières à entrer dans la danse, Pascal Roger promet que "les projets bois-énergie sont créateurs de valeur pour les territoires", évoquant les emplois créés tant en amont (gestion et exploitation forestière) qu'en aval (exploitation et maintenance des réseaux de chaleur). "52.800 emplois directs et indirects", comptabilise Mathieu Fleury. Des emplois locaux – le périmètre d'approvisionnement devant être "significatif mais proche", souvent dans un rayon de moins de 100 km – et "non délocalisables", appuie encore Daniel Grémillet.

Plusieurs collectivités – la commune de Tramayes, la ville d'Aurillac, mais aussi le syndicat inter-territorial du Haut Entre-deux-Mers (Siphem, qui regroupe 122 communes rurales du sud de la Gironde, dont la plus importante n'atteint pas les 5.000 habitants) ou le Syded du Lot – ont d'ailleurs été appelées à la rescousse pour vanter les mérites des réseaux de chaleur. Certaines sont parfois dépassées par le succès auprès des habitants, comme à Aurillac. D'autres peinent à trouver un nouveau souffle. Si cinq réseaux ont été créés par le Siphem entre 2008 et 2011, son président, Michel Feyrit, relève qu'aucun n'a vu le jour depuis. En cause, un défaut de masse critique – "nos installations sont trop petites pour intéresser les grands opérateurs" – et "l'absence de locomotives chez les élus". À l'image de Mireille Laborie, adjointe au maire d'Aurillac, les intervenants n'ont d'ailleurs pas caché que la voie est passablement semée d'embuches et nécessite effectivement "une forte volonté politique" et un véritable effort de pédagogie, dans un domaine où les "idées reçues" sont légion.

"Idées reçues et fake news"

Michel Druilhe, président de France Bois Forêt, s'est employé à en battre en brèche un certain nombre : "La forêt amazonienne n'a jamais été le poumon de la planète. L'Amazonie est même émettrice nette de carbone depuis 1995" ; "la forêt française, c'est 8.000 ans de déforestation jusqu'en 1850, et 170 ans de reforestation depuis" ; "une augmentation de 50% du stock en forêt en 35 ans en France, car nous ne récoltons que 60% de la pousse biologique nette" ; "sans futaie régulière [source des "coupes rases" qui font polémique], pas d'arbre pour la charpente de Notre-Dame-de-Paris"… En l’espèce, le drame du forestier, c’est qu’on entend l’arbre tomber, pas la forêt pousser… Pour Bruno Millienne, "il faut multiplier les actions sur le terrain pour lever les doutes". Et "faire preuve de transparence sur la ressource, afin d'éviter des débats stériles qui ne servent personne", ajoute Olivier Dehaese, maire d'Acigné et 6e vice-président de Rennes métropole, représentant la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR), qui appelle en conclusion "à faire confiance aux territoires".