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La participation, l'une des clefs des municipales

Les maires restent les élus préférés des Français... mais la participation aux élections municipales est en baisse continue depuis plus de trente ans et sera l'une des clés du scrutin des 15 et 22 mars.

Moins de deux Français sur trois se sont déplacés pour voter lors des deux derniers scrutins municipaux. A cette tendance de fond s'ajoutent cette année la grogne sociale autour de la réforme des retraites et la crise du coronavirus, qui occultent la campagne et peuvent peser sur la participation.
En 1983, 78,42% des électeurs se sont déplacés au premier tour. En 2014, ils n'étaient plus que 63,55%, soit trois points de moins qu'en 2008.  L'abstention avait alors atteint un niveau record pour ce type de scrutin à 36,45% et pourrait grimper encore cette année.
"Je pense que cette tendance va s'accentuer parce que le rapport des Français au local se distend. Il y a 20 ans, tout le monde connaissait son maire, aujourd'hui il y a moins d'évidence du cadre communal", avance Rémi Lefebvre (Université de Lille-Ceraps), spécialiste des mobilisations électorales.
Nombre d'électeurs seraient moins attachés à la commune dans laquelle ils vivent parce qu'ils travaillent dans une autre, vivent dans une métropole ou sont éloignés du centre. Une tendance encore plus marquée chez les jeunes et dans les quartiers populaires où les partis, aujourd'hui sinistrés, étaient des agents de politisation. "Aujourd'hui, les milieux populaires décrochent par rapport aux municipales, ils n'y voient plus beaucoup d'intérêt", analyse Rémi Lefebvre.
A Roubaix et dans certaines communes de la banlieue parisienne, l'abstention était supérieure à 60% en 2014. "La Seine-Saint-Denis est très abstentionniste. On sait que des records d'abstention seront battus", confirme Jean-Yves Dormagen, professeur de sciences politiques à l'Université de Montpellier.
On s'abstient également beaucoup plus dans les grandes villes qu'en milieu rural où le vote est moins anonyme. Avec une très forte différence de participation selon la taille des communes. "Le facteur le plus important, c'est l'âge. Les classes relativement âgées votent massivement aux municipales et les jeunes très peu, alors qu'il n'y a pas une telle différence à la présidentielle", souligne Jean-Yves Dormagen. Aux municipales, la participation, qui approche de 80% chez les 50-70 ans, est inférieure à 40% dans les classes d'âge jeunes, rappellent les spécialistes.
A ces raisons structurelles s'ajoute la nouvelle donne politique de 2020. Les élections intermédiaires permettent traditionnellement aux électeurs de sanctionner le pouvoir en place. Cela avait été le cas en 2014, avec une faible mobilisation de l'électorat de gauche. Cette année, La République en Marche ayant très peu de maires sortants, le réflexe du vote sanction est plus compliqué. "On a une telle complexité de l'offre politique que beaucoup de repères sont un peu perdus et ça peut jouer en faveur d'une participation moins forte", estime Rémi Lefebvre.
La hausse de l'abstention est-elle pour autant inéluctable ? Aux européennes de mai 2019, la participation a connu un léger rebond après 25 ans de recul. Grâce notamment à une plus forte mobilisation des jeunes qui se sont décidés au dernier moment et n'apparaissaient pas dans les enquêtes d'intentions de vote. Côté positif, l'intérêt pour l'écologie, la transition énergétique, peut pousser cet électorat plus jeune, diplômé, à se mobiliser pour les municipales. Avec un bémol, l'engouement pour l'écologie touche surtout les électeurs des grandes villes.
Pour Jean-Yves Dormagen, c'est l'offre politique qui favorise la participation, quand les électeurs ont l'impression que leur bulletin de vote aura des effets : "Aux municipales, même si les enjeux sont importants, peu d'électeurs pensent que leur vie va changer du fait de leur vote."

A Villiers-le-Bel, cette abstention qui "pourrit la vie" du maire

"Quelle légitimité quand plus de 60% des habitants n'ont pas voté" ? A Villiers-le-Bel (Val-d'Oise), ville la plus abstentionniste de France aux municipales de 2014, le maire sortant ne cache pas son désarroi. Et tente, comme ses rivaux, de mobiliser des habitants qui "n'y croient plus".

Pour Jean-Louis Marsac, maire divers gauche de cette commune pauvre de grande banlieue parisienne, "l'euphorie de la proclamation des résultats a été de courte durée". "Si vous ramenez ça aux inscrits, quand je croise dix personnes à Villiers, huit parmi elles n'ont pas voté. Pendant six ans, il ne s'est pas passé une journée sans que j'y pense, ça m'a pourri la vie", souffle cet ancien ouvrier de maintenance chez Alstom.
Un centre-ville aux allures de bourg rural cerné de champs et de forêts, à une poignée de kilomètres de l'aéroport de Roissy et 20 minutes de Paris en RER...: "Sur le papier, la ville a des atouts", dit le maire en poste depuis 2012, qui brigue un "dernier" mandat à 59 ans.
En réalité, Villiers-le-Bel, 27.800 habitants "officiellement", selon le maire, est l'archétype de la ville de banlieue tombée dans une spirale de paupérisation ininterrompue depuis quarante ans, avec ses cités "sensibles", son chômage record, ses marchands de sommeil, ses violences urbaines, ses immigrés en situation irrégulière.
"Les gens ici ils votent pas, ils s'en foutent. Ils pensent que ça sert à rien", résume Yacine, 21 ans, habitant du quartier Derrière les murs, un des épicentres de la flambée de violences survenue en 2007 après la mort de deux adolescents, tués dans une collision entre leur moto et une voiture de police. Le 15 mars, Yacine n'ira pas voter, comme 62% des électeurs au premier tour des dernières municipales. Un chiffre record, qui plaça alors Villiers-le-Bel devant deux autres villes déshéritées, Vaulx-en-Velin (Rhône) et Roubaix (Nord). Aux législatives de 2017, l'abstention, en hausse continue depuis le début des années 1980, avait culminé à 69% dans la circonscription de Villiers-le-Bel.
"Dans ces quartiers de grands ensembles, les facteurs prédisposant au retrait électoral (jeunesse, faible niveau de diplôme, chômage élevé) se cumulent. Ce sont aussi des quartiers marqués par les parcours migratoires, pour lesquels l'étape de l'inscription électorale" est un obstacle supplémentaire, explique Céline Braconnier, directrice de Sciences-Po Saint-Germain en Laye et co-auteure de "La démocratie de l'abstention" (Gallimard). "Là comme ailleurs, on observe un désenchantement politique important, et le sentiment que la politique ne change rien au quotidien est largement partagé", dit-elle.
A Villiers-le-Bel, les cinq candidats ont donc une obsession : mobiliser. "Il faut permettre à ces jeunes de s'intéresser à la vie de la cité et de se faire entendre", dit Sori Dembélé, candidat encarté au PS qui a créé un collectif "pour lutter contre l'abstention". "Les jeunes ne se sentent pas inclus dans les projets de la ville. Ils ont besoin qu'on leur donne de l'espoir", dit cet enseignant. Evoquant de "nouvelles inscriptions sur les listes électorales", il espère un regain de participation.
Après huit ans à la mairie, Jean-Louis Marsac est moins optimiste. Bulletin municipal hebdomadaire, réseaux sociaux, porte à porte... "On a tout essayé, mais on n'a pas résolu le problème de la communication", dit-il. Lors des "nombreuses réunions" organisées dans les quartiers, "il y avait plus d'élus que d'habitants dans la salle", déplore-t-il.
"Les fin de mois sont tellement difficiles... On a fait plein de choses, rénové les quartiers avec des aides massives de l'Anru (Agence nationale pour la rénovation urbaine), obtenu la construction d'un lycée d'enseignement général. Mais la vie quotidienne des gens ne change pas. Etre maire de Villiers-le-Bel est un exercice de modestie", reconnaît l'élu.
A quoi s'attendre pour ce scrutin ? Céline Braconnier souligne l'importance des "facteurs politiques conjoncturels qui ne jouent pas tous dans le même sens", citant notamment, d'un côté, la déception consécutive à l'élection d'Emmanuel Macron, et, de l'autre, "la révolte des Gilets jaunes" "qui avait conduit à un léger sursaut de mobilisation pour les européennes".