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Territoires - La politique régionale réformée à l'aune de la crise

Développement économique local, emploi, ruralité, transports, pêche… Autant de domaines en apparence bien distincts appelés à se rapprocher. C'est en tout cas l'impulsion donnée par la Commission européenne dans son projet de politique régionale pour 2014-2020, présenté le 6 octobre. La proposition initiale, qui avait fuité trois semaines plus tôt, était moins audacieuse, tant sur le plan de la coordination entre les fonds que de leur suspension éventuelle...
Le virage a donc été pris tardivement mais la nouvelle architecture est bien là, faisant cohabiter les aides structurelles aux côtés du fonds européen pour la pêche (FEP) et du fonds pour le développement rural (Feader). Tous tendent à la réalisation de 11 priorités, qui sont la réplique presque parfaite de celles déclinées pour le Fonds européen de développement économique régional (Feder). Seule une référence très brève à l'agriculture et à la pêche vient compléter un peu artificiellement la liste des défis que l'UE souhaite relever dans les prochaines années (développer la recherche et l'innovation, investir dans l'éducation, dans l'efficacité énergétique, etc.).

"Retour aux origines"

Pour certains, le projet de la Commission est "un retour aux origines" qui reprend la logique initiale de Jacques Delors, avec les premiers règlements de 1988. "Le terme de fonds structurels risque de tomber en désuétude, prédit un spécialiste, et les fonds à gestion partagée vont devenir le mot d'ordre." Les élus l'ont bien compris et saisissent déjà la balle au bond. "J'insiste pour que les régions gèrent directement de véritables programmes régionaux plurifonds qui nous permettront de financer des politiques strictement dictées par l'intérêt des territoires sans que les crédits européens se substituent à ceux de l'Etat dans des politiques décidées au niveau national et dont il ne cesse de se retirer", a fermement soutenu le président du Limousin, Jean-Paul Denanot, à l'issue d'une rencontre organisée à Bordeaux par l'Association des régions de France (ARF).
De son côté, la Commission appuie cette "mise en oeuvre coordonnée", qui doit aboutir à une "réduction du fardeau administratif pour les bénéficiaires". Certes, mais pour beaucoup d'observateurs, la convergence forte entre tous ces leviers financiers a surtout servi à appliquer largement la conditionnalité macro-économique.
La Commission européenne y consacre tout un chapitre qui n'est pas passé inaperçu. Si un Etat membre affiche un déficit excessif, "une partie ou l'intégralité des paiements" peuvent être suspendus. Les aides directes allouées aux agriculteurs ne sont pas concernées. "Ces paiements-là se font en début d'année, il y a moins de flexibilité que pour les autres fonds", fait-on savoir à Bruxelles. "Et puis le fonds de cohésion, qui bénéficie majoritairement aux pays de l'Est, était le seul à être soumis à la conditionnalité macro-économique. Il fallait une action en direction des pays de l'Ouest." Bien sûr, le couperet ne tombe pas d'un coup. Lorsqu'un Etat est dans le rouge, la Commission peut lui ordonner de changer sa politique d'investissement alimentée par les fonds européens pour la mettre au service du rétablissement de ses comptes publics. Au bout d'un mois, s'il ne réagit pas, l'engrenage de la suspension s'enclenche.

Double peine

En cédant à la requête franco-allemande, la Commission s'attire les foudres du plus grand nombre.  "La crise actuelle a des effets dévastateurs sur nos régions (...), et le soutien de l'UE a un rôle crucial à jouer dans leur redressement économique", insiste Mercedes Bresso, présidente du Comité des régions. "Nous refusons catégoriquement d'être pris en otage par les défaillances de l'Etat vis à vis de ses engagements communautaires", a affirmé Alain Rousset, à la tête de la région Aquitaine et de l'ARF. La colère qui gronde depuis des mois déjà dépasse les clivages politiques. "Attention, prévient Elizabeth Morin-Chartier, eurodéputée du Parti populaire européen, je suis attachée à la bonne gestion", mais "nous ne pouvons pas infliger la double peine à des Etats qui sont déjà en difficulté financière". D'autant plus que la réforme de la gouvernance économique, entérinée fin septembre, prévoit déjà un système renforcé d'amendes en cas de dérapage budgétaire.
Lors de la présentation de la réforme, le commissaire Johannes Hahn a bien tenté d'apaiser les esprits. La suspension des aides européennes est "une possibilité théorique et, espérons-le, jamais pratique". Le chef de la politique régionale défend aujourd'hui un régime répressif qu'il a pourtant combattu au sein du collège des commissaires, fait-on savoir en interne. Appuyé par le commissaire au budget, Janus Lewandowski, tous deux n'ont pas fait le poids face au tandem formé par le Finlandais Olli Rehn et le président Barroso.

L'après-crise

L'indiscipline budgétaire n'est pas le seul motif d'interruption des aides européennes. Bruxelles souhaite en effet que les versements dépendent de la bonne application des textes européens. Le financement de lignes de tramway pourrait par exemple être suspendu si le pays concerné ne respectait pas la législation européenne sur les aides d'Etat, les marchés publics ou les études d'impact environnemental.
La conditionnalité occupe le terrain médiatique, au risque d'éclipser les innovations proposées par les textes. Une porte d'entrée a été créée pour que le FSE finance les "services sociaux" et que le Feder appuie les "entreprises sociales". Dans un pays comme la France, 80% de l'enveloppe Feder devra être affectée à la lutte contre le changement climatique, les PME et l'innovation. "La Commission a préparé une programmation d'après-crise, qui tire un trait sur une approche très sectorielle. On sent qu'on commence à préparer l'avenir", décrypte un analyste.
Un autre changement bouscule encore plus les habitudes. Celui de la place accordée aux acteurs de la société civile (associations, syndicats, ONG, etc.). Ces derniers doivent être associés, aux côtés des collectivités locales, à l'élaboration du "contrat de partenariat" dans lequel chaque pays fait un diagnostic de ses besoins et des résultats qu'ils comptent obtenir. En 2017 et 2019, chaque Etat devra rendre compte à la Commission de son action (résultats obtenus, coordination entre les fonds, respect du rôle des partenaires locaux...)
Evolution notable, la Commission souhaite que les populations s'impliquent davantage dans le développement de leur territoire, quel que soit le fonds européen mobilisé. Une sorte de jury, composé équitablement d'acteurs privés et publics, est appelé à sélectionner des initiatives portées par des entreprises, des associations, des groupes professionnels, etc. Une philosophie directement inspirée du programme Leader... créé au début des années 90.

 

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