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Très haut débit - La proposition de loi du sénateur Patrick Chaize adoptée en première lecture

La proposition de loi sénatoriale sur les investissements dans les réseaux de télécommunications à très haut débit a été très largement adoptée en première lecture ce mardi 6 mars. Cependant, Julien Denormandie, venu défendre la position du gouvernement, est resté sur la réserve quant aux dispositions proposées, qui visent essentiellement à rationaliser les investissements publics et privés en protégeant notamment les réseaux d’initiative publique contre les velléités d’investissement des opérateurs privés. Il juge la proposition de loi intempestive, face aux avancées parallèles du droit européen et du projet de loi Elan qui devraient reconfigurer la régulation du secteur des télécommunications.

A l’origine de cette proposition de loi (PPL), un constat amer et très largement partagé par les sénateurs qui déplorent l'insuccès du plan France Très Haut Débit (THD), lancé en 2013, qui représente pas moins de 35 milliards d’euros d’investissement pour la couverture en internet fixe de 33 millions de locaux sur tout le territoire. On compte aujourd’hui plusieurs centaines de zones blanches en France, pays en queue du classement européen en matière d’internet fixe.

Refonder le rapport de force dans la contractualisation avec les opérateurs

Derrière ce constat d’échec, les opérateurs sont incriminés sans équivoque : d’abord pour leur incapacité à honorer leurs engagements de déploiement en temps et en heure, dans les zones qui leur ont été confiées, et plus encore pour la concurrence qu’ils engagent occasionnellement en construisant des infrastructures de fibre optique dans les zones d’initiative publique, fragilisant un modèle déjà lourdement déficitaire. Cette inquiétude, amplifiée à l’été 2017 par l’annonce tonitruante de SFR, qui entendait couvrir l’intégralité du territoire en fibre optique (avant de revenir sur cette déclaration unanimement jugée peu plausible), est encore vivace pour les syndicats porteurs de RIP qui estiment n’être pas à l’abri de nouvelles incursions des opérateurs privés sur leur propre terrain.
La proposition de loi a donc pour objet de renforcer les capacités de régulation par les acteurs publics (autorité de régulation et collectivités) des programmes de déploiement privés, et in fine d’assurer la couverture totale du territoire en fibre optique : "On ne peut imaginer la fibre pour les villes, et des technologies dégradées pour les champs" déclarait Patrick Chaize, auteur de la proposition de loi.

Ce que prévoit la proposition de loi

Les sept premiers articles s’attachent à sécuriser les programmes de couverture déjà engagés dans le cadre du plan France THD en élaborant un cadre plus contraignant de son application par les opérateurs. Point central de cette régulation renforcée, les engagements des opérateurs pourraient devenir opposables, par l'instauration d'une sanction pécuniaire susceptible d'être prononcée par l'Arcep à l'encontre d'un opérateur qui n'aurait pas honoré ses engagements (jusqu’à 1.500 euros par local non raccordable). Pour donner corps à ce pouvoir de sanction, il est prévu l'établissement d'une liste des opérateurs et des collectivités territoriales chargés d'établir un réseau en fibre optique, liste assortie d’un calendrier de déploiement contrôlé par l’Arcep.
Afin d’éviter la duplication des réseaux et de favoriser plutôt les mutualisations d’équipements, les opérateurs seraient tenus de prendre en compte les infrastructures existantes et en projet dans leurs stratégies de déploiement. L’Arcep, garante de la cohérence d’ensemble du plan de couverture, pourrait préciser les modalités d’accès aux lignes fibrées. Enfin, la notion de "service public local de transports des communications électroniques" serait consacrée dans cette loi.
Après ce premier volet coercitif, une seconde série d’articles (8 à 11) décline les leviers d’incitation pour recadrer les investissements dans les réseaux THD. Sont ainsi prévus l'exonération, exclusivement en zone peu dense, de l’imposition forfaitaire sur les entreprises de réseaux (Ifer) pour les stations radioélectriques construites dans les cinq ans, ainsi que le rachat par les collectivités des infrastructures d’accueil des réseaux de cuivre dans les "zones fibrées", c’est-à-dire celles dont le déploiement est abouti, afin de "déclencher la transition vers le très haut débit".

Le gouvernement préfère attendre la loi Elan

Julien Denormandie, secrétaire d'Etat auprès du ministre de la Cohésion des territoires, est resté réservé sur la pertinence de cette proposition de loi, dont il a dit partager l’esprit, tout en estimant que son calendrier était inadapté. La proposition de loi sénatoriale serait prématurée puisqu’elle anticipe, selon lui, à la fois le projet de loi Elan (dont quatre articles devraient répondre aux préoccupations quant au déploiement des infrastructures numériques) et l’élaboration, à Bruxelles, d’un code européen des communications électroniques, qui pourrait être adopté au mieux à la fin de l’année 2018.
Les sénateurs estiment au contraire que le gouvernement devrait soutenir une proposition de loi qui lui permet d’accélérer la cadence du plan de déploiement France THD. L’occasion pour Hervé Maurey, qui préside la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, de reprocher au gouvernement son manque de transparence au sujet de "l’accord historique" de janvier 2018 pour la couverture mobile : selon lui, les parlementaires, pourtant garants de l’aménagement numérique des territoires ruraux, n’auraient pas été suffisamment impliqués dans les négociations avec les opérateurs.

L’avenir menacé de la proposition de loi

Largement adoptée en première lecture au Sénat (282 suffrages favorables sur 282 exprimés), la proposition de loi pourrait cependant être bloquée par la majorité présidentielle à l’Assemblée nationale.
De son côté, la Firip, qui réunit 200 industriels engagés dans les RIP, a salué cet effort de rationalisation dans la régulation des déploiements de fibre optique. "Une politique industrielle basée sur la confiance n’est que partiellement efficace", précise son communiqué, tout en jugeant "indispensable" la clarification des engagements réels des opérateurs.

 

Lors de son examen en commission sénatoriale de l’aménagement du territoire et du développement durable, la proposition de loi a fait l’objet de trois amendements significatifs :
- le premier subordonnant l’application de l’Ifer à la délivrance du statut de "zone fibrée", afin de préserver une exonération fiscale pour les réseaux de fibre encore incomplets, jugée souhaitable pour accélérer les déploiements. Cette taxe est en effet susceptible d’avoir un effet contre-incitatif à partir de 2019 lorsqu’elle sera étendue aux réseaux en fibre optique (elle ne s’applique aujourd’hui encore qu’aux réseaux en câble) ;
- le second instituant la liste (mentionnée dans l’article ci-dessus) des opérateurs ou autorités publiques en charge de l’établissement des réseaux de fibre, liste assortie d’un calendrier opposable de déploiement ;
- le troisième visant à renforcer les exigences de couverture imposées aux opérateurs pour les communes identifiées dans le cadre du programme "zones blanches - centre-bourgs".


Les sénateurs ont adopté en séance publique, le 6 mars, les amendements suivants :
- la prise en compte des “poches de basse densité” au sein des zones très denses (définies par l’Arecep) dans le dispositif de recensement des acteurs publics et privés impliqués dans le déploiement ;
- la possibilité, pour les communes membres d'un EPCI à fiscalité propre, de co-financer toute opération de déploiement de réseau numérique ;
- la possibilité de rachat par les collectivités d’infrastructures d’accueil, prévue pour les "zones fibrées" (voir ci-dessus), est étendue aux secteurs ayant subi une catastrophe naturelle ;
- enfin, l'exonération d’Ifer pour les nouvelles stations radioélectriques vient remplacer un principe de plafonnement du même impôt, jugé insuffisamment ciblé par les sénateurs.