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L'apprentissage explose, les "contrats pro" s'effondrent

Alors qu'entre 2019 et 2020, le nombre de contrats d'apprentissage s'est accru de 40%, celui des contrats de professionnalisation a chuté de 48,6%. Pour bénéficier d'un financement plus favorable et poussés par la dynamique générale, des organismes de formation se sont convertis à l'apprentissage, abandonnant leurs "contrats pro". 

Selon le gouvernement, 495.000 nouveaux contrats d'apprentissage ont été signés en 2020, soit une hausse de 40% en un an. Un record concomitant à l'effondrement des contrats de professionnalisation, dont le nombre s'est, lui, réduit de 48,6% entre 2019 et 2020, selon l'institut statistique du ministère du Travail, la Dares. Le bilan communiqué à l'occasion du conseil des ministres du 17 mars 2021 confirme bien un effet de "substitution" - non chiffré - entre les deux types de contrats. En tenant compte de la chute des contrats de professionnalisation, l'alternance progresse toutefois de 10%.

Attractivité pour les organismes et les entreprises

Lié à la réforme de 2018, cet effet était anticipé. Et pour cause. "Le coût-contrat de l'apprentissage est plus avantageux que le coût remboursé à l'heure par les ex-Opca. Il donne plus de marges de manœuvre et rémunère le placement dans l'emploi. En trois factures, c'est payé et on ne court plus après les attestations de présence des stagiaires", explique Yves Hinnekint, président de l'association de promotion de l'alternance Walt et directeur général du groupe d'écoles de commerce Talis. Un mouvement confirmé pour les mêmes raisons par David Derré, directeur emploi et formation de l'Union des industries et des métiers de la métallurgie (UIMM). "L'enseignement supérieur, notamment, tracte cette dynamique de bascule des contrats de professionnalisation vers l'apprentissage. Les licences professionnelles qui étaient délivrées en co-certification avec nos certifications en métallurgie (CPQM) ont toutes basculé en contrat d'apprentissage", illustre-t-il.

Au-delà des niveaux de prise en charge qui attirent les organismes de formation, "les entreprises qui nous prenaient jusqu'ici des contrats de professionnalisation se sont mises à l'apprentissage", témoigne aussi Alain Bao, directeur de la faculté des métiers de l'Essonne. Or la communication massive autour de l'apprentissage, les coûts plus élevés à la charge des employeurs ont pu entrer dans la balance. Dans la plupart des cas, la rémunération des stagiaires en contrat de professionnalisation de moins de 26 ans est plus élevée que celle des apprentis. L'employeur doit aussi couvrir les frais de transport d'hébergement ou de restauration occasionnés par la formation.

Manœuvres des branches professionnelles

Ce mouvement est aussi accompagné par certaines manœuvres des branches professionnelles. L'UIMM (Union des industries et des métiers de la métallurgie) a déjà entrepris d'inscrire l'intégralité de ses CQPM (certificats de qualification) au répertoire national des certifications professionnelles (RNCP). Si les objectifs à l'origine sont – entre autres – de rendre ces certifications éligibles et finançables via d'autres dispositifs (CPF, reconversion par l'alternance, formation des demandeurs d'emploi…), une telle étape rend aussi ces certifications éligibles à l'apprentissage. Un "avantage supplémentaire" qui "élargirait le choix possible des certifications pour les entreprises et les apprentis", estime David Derré.

Ce déport est potentiellement massif car "une grande partie des personnes engagées dans un contrat de professionnalisation pourrait être éligibles à une même formation en apprentissage. 76,6% des jeunes de moins de 26 ans embauchés en 2017 en contrat de professionnalisation préparaient une certification ou une qualification enregistrée au RNCP autre qu'un CQP, soit 120 000 personnes environ", comme le rappelaient l'Igas et l'IGF, dans leur rapport pointant les problèmes de financement de la formation professionnelle (lire notre article), potentiellement aggravé par cette tendance. Si celle-ci se confirme, le contrat de professionnalisation devrait, à l'inverse, se marginaliser pour être cantonné aux certificats de qualification professionnelle – non éligibles à l'apprentissage – ainsi qu'aux publics éloignés de l'emploi qui ont accès aux contrats de professionnalisation sans limite d'âge.

Exigence d'accompagnement des jeunes

La bascule interroge aussi les pratiques des organismes de formation qui se sont récemment convertis à l'apprentissage. Un nouveau statut qui leur impose d'assumer des obligations supplémentaires. Les CFA doivent en effet remplir une série de missions auprès des jeunes : les accompagner dans la recherche d'un employeur, en cas de rupture de contrat d'apprentissage ou d'échec à l'examen… "Le financement au forfait intègre l'accompagnement des jeunes, au-delà de la simple formation. Il a une visée aussi éducative", avertit Philippe Debruyne, secrétaire confédéral CFDT et administrateur de France compétences.

Reste à savoir si les nouveaux entrants ont bien assumé ces missions. "Quand Qualiopi sera passé, on pourra en parler", conclut Pascal Picault, vice-président de l'association des directeurs de CFA d'Ile-de-France. Pour bénéficier des financements publics ou mutualisés, tous les organismes doivent, d'ici la fin de cette année, obtenir cette certification qui contrôle la qualité et la conformité de leurs pratiques.

  • Nouvelle charge des CFA sur les coûts-contrat

Entre les centres de formations d'apprentis "historiques" et leurs financeurs, les opérateurs de compétences, les tensions autour de la prise en charge des coûts-contrats sont montées d'un cran. "Aujourd'hui, les Opco indiquent qu'ils ne paieront qu'à concurrence du coût de formation" et non à hauteur des niveaux de prise en charge préalablement définis, a déploré Jean-Philippe Audrain, président de l'Ardir Centre-Val de Loire, lors d'une conférence de presse organisée le jeudi 25 mars par la fédération nationale des directeurs de CFA, la Fnadir. Une évolution imprévue qui réduit à "zéro" les marges des CFA dans le cas où ces coûts sont inférieurs au niveau de prise en charge. Pour préparer la rentrée 2021, les CFA réclament entre autres propositions (lire document à télécharger ci-dessous) de revenir à "l'esprit" de la réforme qui selon eux exclut une telle pratique.