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L'Assemblée adopte la proposition de loi "Ségur", vidée de ses articles polémiques

Les députés ont adopté ce 8 décembre en première lecture la proposition de loi LREM devant apporter la traduction législative des mesures non budgétaires issues des conclusions du Ségur de la santé. Certaines dispositions du texte ont été très discutées et ont pour partie été retirées : création d'une profession médicale intermédiaire, mesures sur les groupements hospitaliers de territoire... À l'inverse, il a été enrichi de nombreuses mesures. Celles-ci concernent entre autre la gouvernance des établissements hospitaliers.

L'Assemblée nationale a adopté ce 8 décembre en première lecture, tout en la modifiant profondément, la proposition de loi "visant à améliorer le système de santé par la confiance et la simplification", dite aussi proposition de loi "Ségur". Ce texte qui émane de Stéphanie Rist, députée du Loiret (et médecin), et de l'ensemble du groupe LREM, a obtenu 334 voix pour, 158 contre et 18 abstentions. Il présente un statut hybride : proposition de loi, donc émanant des parlementaires, il se veut néanmoins, selon l'exposé des motifs, "la traduction législative des mesures issues des conclusions du Ségur de la santé qui ne relèvent pas du domaine budgétaire". Sa préparation ne s'est pas faite sans échanges entre le groupe LREM et le gouvernement, qui s'est pourtant opposé à certaines de ses dispositions. Enfin, s'agissant d'une proposition de loi, il n'y a pas eu d'étude d'impact, ni d'avis du Conseil d'État, ni apparemment de concertation très poussée, ce qui explique les très vives réactions sur certains articles.

 

La "profession médicale intermédiaire" attendra

Selon l'exposé des motifs, le texte initial de quinze articles et d'une douzaine de pages a pour ambition "de simplifier les dispositifs actuels pour faire gagner du temps aux soignants et leur permettre de mieux s'organiser, en mettant à profit les compétences de chacun", afin d'aboutir "à un système plus réactif et plus performant grâce à des mesures fortes et nécessaires".

Paradoxalement, il convient de commencer par les dispositions qui ont été retirées du texte ou très fortement amendées, à la fois sous la pression du gouvernement et devant les réactions de l'opposition de droite comme de gauche, mais aussi des autres groupes de la majorité (Modem, Agir...). L'article Ier prévoyait ainsi d'inscrire, dans le code de la santé, la création d'une "profession médicale intermédiaire", entre les infirmiers (bac+3) et les médecins (bac+8 ou 10). Cette "profession médicale intermédiaire" – qui rappelle forcément les officiers de santé à la Charles Bovary – a suscité un tollé sur les bancs de l'opposition et des doutes au sein même de la majorité. Les réactions ont également été très négatives chez les représentants des professions de santé. Si la mesure figure effectivement dans les pistes du Ségur de la santé, elle soulève un très grand nombre de questions préalables : recrutement, formation, domaines d'intervention, rémunération... Au final, l'article réécrit prévoit uniquement que "dans un délai de six mois à compter de la promulgation de la présente loi, le gouvernement remet au Parlement un rapport dressant un état des lieux de la mise en place des auxiliaires médicaux en pratique avancée et des protocoles de coopération".

 

Pas d'absorption progressive des petits hôpitaux, ni de numéro d'appel unique

Autre disposition passée à la trappe : l'article 7 du texte initial concernant les groupements hospitaliers de territoire (GHT). La rédaction initiale prévoyait que tout poste de direction d'établissement dans un GHT laissé vacant "est systématiquement confié à l'établissement support du groupement", sauf opposition du directeur général de l'ARS "en raison de l'importance de la taille du groupement". En outre, l'établissement dont la direction "est laissée vacante devient alors une direction commune de l'établissement support du groupement". Une disposition perçue, non sans raisons, comme l'officialisation d'une hiérarchie entre établissements au sein des GHT (qui existe au demeurant déjà plus ou moins de fait) et, surtout, comme le prélude à une disparition progressive des petits hôpitaux des GHT, voués à devenir de simples annexes de l'établissement support (un CHU ou un grand centre hospitalier général). Devant le sensibilité de la question des hôpitaux locaux, l'article 7 a finalement été supprimé, comme le préconisaient pas moins d'une quinzaine d'amendements de tous bords.

D'autres dispositions ont fait l'objet d'un aller-retour entre la commission des affaires sociales et l'examen en séance publique. C'est notamment le cas de l'article 7 bis, introduit par la commission et qui instaurait "un numéro national unique dédié à la santé, distinct des numéros dédiés aux secours et à la sécurité, qui se substitue au numéro national d'aide médicale urgente et au numéro national de permanence des soins". S'il est vrai qu'il y a urgence à sortir de la guerre entre les rouges (sapeurs-pompiers) et les blancs (Samu) – qui s'est encore étalée au grand jour avec la pandémie (voir notre article du 3 août 2020) –, la disposition est apparue pour le moins prématurée.

 

Sages-femmes et groupements hospitaliers de territoire

La proposition de loi est cependant loin d'avoir été totalement vidée de sa substance. Elle a même gagné plusieurs articles supplémentaires, introduits par amendements de la commission des affaires sociales, du gouvernement ou des députés en séance publique. Pas moins de 330 amendements ont ainsi été déposés en commission et plus de 500 en séance publique.

Le texte adopté renforce la coordination entre les professionnels de santé et sociaux de l'Éducation nationale. Il favorise, de façon plus large, le développement de protocoles locaux de coopération pour les professionnels de santé exerçant au sein d'établissements médicosociaux publics ou privés.

La proposition de loi consacre également un chapitre à l'évolution des professions de sage-femme et de certains auxiliaires médicaux. Les sages-femmes pourraient ainsi prolonger certains arrêts maladie, prescrire le dépistage d'infections sexuellement transmissibles et leur traitement. Le chapitre prévoit aussi de mettre la jour la liste des médicaments que les sages-femmes sont autorisées à prescrire et leur ouvre la prescription des traitements anti-nicotiniques. Il reconnaît le rôle des sages-femmes dans le cadre du parcours de soin coordonné, en leur permettant d'adresser leurs patientes à un médecin spécialiste, sans que ces patientes soient pénalisées financièrement pour n'être pas passées par leur médecin référent.

Même si la disposition sur les fusions de directions évoquée plus haut a finalement été supprimée, la proposition de loi renforce néanmoins le rôle du directeur de l'établissement support du GHT, en lui permettant, à titre expérimental pour trois ans, de décider de la création de postes de praticiens hospitaliers, sur proposition du directeur de l'établissement concerné et du président de sa commission médicale d'établissement. 

 

Une gouvernance simplifiée ?

En matière de simplification de la gouvernance dans les établissements hospitaliers, la proposition de loi réintroduit le service hospitalier comme unité fonctionnelle et restaure la fonction de chef de service. Cette transformation se fait conformément aux orientations du Ségur de la santé et dans le prolongement du rapport du professeur Claris sur la gouvernance des hôpitaux (voir notre article du 22 juin 2020). Un autre article consacre le projet médical au niveau de la loi, ce qui risque plutôt de freiner d'éventuelles évolutions. De même, et de façon un peu contradictoire, le texte ouvre la possibilité d'expérimenter des "modalités alternatives d'organisation de la gouvernance", comme le regroupement de la commission médicale d'établissement et de la commission des soins infirmiers, de rééducation et médicotechniques. 
Toujours dans un souci de souplesse, la proposition de loi ouvre aux établissements de santé un droit d'option sur les modalités d'organisation interne et de gouvernance en cas d'accord de l'ensemble des acteurs locaux. Un autre article, introduit par amendement, prévoit que "les parlementaires sont membres de droit du conseil de surveillance d'un établissement public de santé de leur département". Le préfet ou le directeur de l'ARS désigneront l'établissement dans lequel le parlementaire est amené à siéger. Plus curieusement, un article ouvre le directoire des établissements de santé, en y ajoutant un représentant du personnel soignant, un représentant des étudiants en santé et un représentant des usagers. Cela risque toutefois de poser problème dans la mesure où, contrairement à la commission de surveillance qui est l'organe de délibération, le directoire est l'instance de gestion de l'établissement.

 

Le service d'accès aux soins officialisé

Le gouvernement a profité du texte pour introduire, par amendement, un article inscrivant dans la loi la création du service d'accès aux soins (SAS). Dans le cadre de la réforme des urgences, le SAS "est un nouveau service d'orientation et de guidage dans le système de santé, simple et facilement accessible à tous". Prévu par le Pacte de refondation des urgences de septembre 2019 et réaffirmé par le Ségur de la santé, le SAS "est fondé sur un partenariat étroit et équilibré entre les médecins de ville et les professionnels de l'urgence hospitalière : il repose sur une régulation commune des appels".

Toujours dans le prolongement du Ségur, la proposition de loi entend lutter contre les abus de l'intérim médical, dont les coûts représentent parfois des sommes exorbitantes pour des hôpitaux qui peinent à recruter. Elle autorise le comptable public à bloquer les rémunérations des contrats d'intérim médical dépassant le plafond autorisé ou ne respectant pas les conditions fixées par la réglementation. Elle autorise également les ARS à dénoncer devant le tribunal administratif les contrats irréguliers.

Le texte alourdit aussi le projet d'établissement en y intégrant, outre le projet social, un "projet de gouvernance et de management", ainsi que, par voie d'amendement, "un volet écoresponsable qui définit des objectifs et une trajectoire afin de réduire le bilan carbone de l'établissement". 

 

Une plateforme numérique pour les handicapés, gérée par la Caisse des Dépôts

Un chapitre plus spécifique – et moins discuté – de la proposition de loi est consacré à la simplification et à la gouvernance des organismes régis par le code de la mutualité. Enfin, un dernier chapitre sort un peu du cadre du texte en se consacrant à la simplification des démarches des personnes en situation de handicap. Son article unique confie à la Caisse des Dépôts la création et la gestion d'une "plateforme numérique nationale d'information et de services personnalisés". Cette plateforme, qui doit compléter les accueils physiques et téléphoniques, "déploie des services numériques permettant de faciliter les démarches administratives des personnes handicapées, de leurs aidants et de leurs représentants légaux, ainsi que le suivi personnalisé de leur parcours, notamment en matière d'accès à l'emploi et la formation".
Enfin, un amendement du gouvernement a supprimé l'article 15 du texte initial, qui prévoyait le gage budgétaire traditionnel (droits sur les tabacs) pour financer les mesures proposées. En levant ainsi le gage, le gouvernement donne son accord à la proposition de loi, qui ira donc jusqu'au bout de son parcours. Elle devrait toutefois faire encore l'objet de nombreux amendements à l'occasion de son passage au Sénat.

Référence : proposition de loi visant à améliorer le système de santé par la confiance et la simplification (adoptée en première lecture par l'Assemblée nationale le 8 décembre 2020).
 

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