Le Centre national de la musique et les collectivités pas encore au diapason

Le premier rapport de la Cour des comptes consacré au Centre national de la musique met en avant des difficultés, notamment une stratégie peu claire et des aides territoriales déséquilibrées. Les relations inégales avec les collectivités territoriales sont également pointées.

Une "maison commune" dont la stratégie "manque de clarté" malgré des moyens "en forte hausse". Voilà comment la Cour des comptes voit, dans le premier rapport qu'elle lui consacre, le Centre national de la musique (CNM), établissement public créé en 2020 de la fusion du Centre national de la chanson, des variétés et du jazz (CNV) et de quatre associations de la filière musicale. Un constat particulièrement valable en ce qui concerne les actions en lien avec les collectivités terrtiroiales. 

Né de la nécessité d'épauler un secteur frappé par la crise du disque et le téléchargement illégal, le CNM s'est vu confier, par la loi du 30 octobre 2019, des missions nombreuses dont la Cour des comptes estime qu'elles sont "inégalement remplies". 

Pour face à la crise sanitaire, le CNM a notamment dû répartir plus de 423 millions d'euros de fonds exceptionnels, dont 151,6 millions en 2020 et 205 millions en 2021-2022, ce qui a fait apparaître un reliquat de 105 millions d'euros lequel, au lieu d'être restitué à l'État, a été réalloué à différents aides sélectives, dont le plan Lieux. 

Plan Lieux : un besoin réel, un manque d'analyse

Le plan Lieux illustre les difficultés du CNM à trouver sa place. Inspiré du plan de numérisation des salles de cinéma du CNC, il est adopté en décembre 2022 et doté d'une enveloppe pluriannuelle de 29,6 millions d'euros. Son but : aider les propriétaires et exploitants des quelque cinq mille salles de spectacle françaises dans leurs travaux d'investissements structurants (numérisation, rénovation thermique ou sonore, sécurité). 

En 2023, seuls 200.000 euros avaient été consommés. Pour 2024, 13,1 millions de crédits de paiement avaient été budgétés, le solde de 16,8 millions étant prévu sur 2025-2026. En outre, ajoute la cour, les contours exacts du plan Lieux "demeurent imprécis quant aux besoins de financement et à l'implication des collectivités territoriales propriétaires de salles". Surtout, "les besoins de transformation des salles sont potentiellement très élevés [et] la question se pose donc de l'impact de ce plan Lieux et de son financement à moyen terme". 

En effet, ce budget issu de reliquats de crédits exceptionnels ne devrait pas, aux dires du ministère de la Culture, être renouvelé au-delà de 2025, et cela alors que le CNM estime les besoins pour la transformation des salles à 300 millions d'euros. La Cour des comptes tranche dans le même sens. Elle considère que "l'absence d'étude d'impact ex post de ces crédits exceptionnels distribués par le CNM prive [...] l'État d'une analyse en efficience", et ajoute que "dans un contexte national de restrictions budgétaires, la mise en œuvre de ce plan Lieux doit d'ores et déjà être reconsidérée."

Des aides territoriales mal réparties

La Cour des comptes fait également un point sur les aides financières territoriales (16 millions d'euros entre 2020 et 2023), qui font l'objet d'appels à projets lancés une fois par an, eux-mêmes élaborés à partir des diagnostics et des concertations menées auprès des acteurs culturels. Il en résulte que dix départements absorbent 51% des dossiers et 62% des montants. Neuf de ces dix départements abritent un chef-lieu de région : Paris, La Réunion, Gironde, Loire-Atlantique, Bouches-du-Rhône, Nord, Seine-Maritime et Calvados, Ille-et-Vilaine et Martinique. Quant aux départements les moins soutenus, ils sont ruraux (Yonne, Tarn-et-Garonne, Jura, Ardèche, Allier, etc.) à l'exception de deux départements franciliens.

Sur ce point, la Cour des comptes recommande de "revoir en 2025 la politique d'aide territoriale à moyens constants en resserrant les objectifs autour de la structuration économique de la filière et de l'équité territoriale, et développer les partenariats avec l'échelon départemental". 

Le CNM "tributaire" des collectivités

Au-delà des crédits qui peuvent avoir un impact sur la transformation des lieux de spectacle, la Cour des comptes s'est aussi penchée sur l'association du CNM avec les collectivités territoriales dans l'exercice de ses missions. La loi prévoit en effet une telle association et précise que le CNM peut conclure des contrats et nouer des partenariats avec ces collectivités. 

Ici, la cour juge que la stratégie partenariale "conduit à des déclinaisons fort diverses". Et pour cause : le CNM, dépourvu de relais locaux, est selon elle "tributaire de la bonne volonté des collectivités, des choix d'organisation qui leur sont propres et parfois des désaccords politiques qui peuvent exister au niveau local". Il en résulte que toutes les régions n'ont pas conclu de contrat ou de convention avec le CNM.

À l'inverse, les contrats ne sont pas signés qu'avec les seules régions. Le CNM a ainsi contractualisé à titre expérimental avec la métropole de Clermont-Ferrand et le département de l'Isère, tout en ayant un contrat avec la région Auvergne-Rhône Alpes, et ce "essentiellement par le manque de volonté des acteurs locaux d'avoir un outil unique".

Au chapitre des collaborations entre l'établissement public et les collectivités, on note enfin que l'éducation artistique et culturelle (EAC) est vue comme "parent pauvre du CNM". Alors que la loi prescrit que le CNM participe au développement de l'EAC aux côtés de l'État et des collectivités. Or, il n'existe au sein de l'établissement public ni chargé de mission dédié, ni études du CNMLab, ni même "une stratégie visible". La cour s'étonne de cette "invisibilisation" alors même que "l'EAC a un lien fort avec la filière musicale".