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Le Conseil d'Etat marque - provisoirement - un coup d'arrêt au droit à l'image des domaines nationaux

Dans une décision du 13 avril 2018, le Conseil d'Etat désavoue l'établissement public du domaine national de Chambord, dans une affaire concernant l'utilisation de son image pour une publicité commerciale en faveur d'une bière des Brasseries Kronenbourg. En l'occurrence, le Conseil d'Etat confirme une décision de la cour administrative d'appel de Nantes, qui confirmait elle-même une décision du tribunal administratif d'Orléans.

Plus de 250.000 euros demandés par Chambord

En l'espèce, la société Kronenbourg avait, en 2010, fait réaliser et utilisé, pour une publicité déclinée en affichage et en presse, une photo du célèbre château - assortie au premier plan d'une table et de deux chaises de bistro, ainsi que d'un gros plan de la bouteille - avec la baseline "Le goût à la française".
Découvrant la campagne, le domaine national avait émis deux titres de recettes à l'encontre des Brasseries Kronenbourg, d'un montant total de 251.160 euros. Motif invoqué : une utilisation de l'image du château de Chambord à des fins de publicité commerciale constituant, selon l'établissement public, une utilisation privative du domaine public justifiant le versement d'une contrepartie financière. En l'occurrence, le domaine national s'était livré à un calcul tenant compte de la fréquentation du site et du prix d'entrée, la somme demandée étant censée compenser les revenus perdus du fait de la présence de techniciens et de photographes ayant limité l'accès du public.

Photographier le domaine public n'est pas un usage privatif

Dans sa décision, le Conseil d'Etat écarte totalement cet argument en considérant "d'une part, que l'occupation ou l'utilisation du domaine public n'est soumise à la délivrance d'une autorisation que lorsqu'elle constitue un usage privatif de ce domaine public, excédant le droit d'usage appartenant à tous, d'autre part, que lorsqu'une telle autorisation est donnée par la personne publique gestionnaire du domaine public concerné".
Or, "si l'opération consistant en la prise de vues d'un bien appartenant au domaine public est susceptible d'impliquer, pour les besoins de la réalisation matérielle de cette opération, une occupation ou une utilisation du bien qui excède le droit d'usage appartenant à tous, une telle opération ne caractérise toutefois pas, en elle-même, un usage privatif du domaine public". En outre, "l'utilisation à des fins commerciales de l'image d'un tel bien ne saurait être assimilée à une utilisation privative du domaine public, au sens des dispositions précitées du code général de la propriété des personnes publiques".
A noter : la campagne publicitaire de Kronenbourg utilisait trois autres monuments célébrissimes - la tour Eiffel, l'arc de Triomphe et le mont Saint-Michel - qui se sont bien gardés de tout recours.

Droit à l'image des monuments nationaux II : le retour

La question semble donc réglée avec ce coup d'arrêt porté, par le Conseil d'Etat, à l'invocation du droit à l'image (même sous la forme détournée de l'utilisation privative du domaine public). Mais l'affaire, qui vise des faits remontant à 2010 et semblait perdue d'avance pour le domaine de Chambord avant même le jugement du Conseil d'Etat, a fait suffisamment de bruit pour avoir des suites législatives.
En effet, la loi du 7 juillet 2016 relative à la liberté de la création, à l'architecture et au patrimoine (LCAP) a introduit, dans l'article L.621-42 du code du patrimoine, une disposition prévoyant notamment que "l'utilisation à des fins commerciales de l'image des immeubles qui constituent les domaines nationaux, sur tout support, est soumise à l'autorisation préalable du gestionnaire de la partie concernée du domaine national", cette autorisation n'étant toutefois "pas requise lorsque l'image est utilisée dans le cadre de l'exercice de missions de service public ou à des fins culturelles, artistiques, pédagogiques, d'enseignement, de recherche, d'information et d'illustration de l'actualité". Un article sur mesure visant le cas de Chambord (mais évidemment sans effet rétroactif au regard de la date des faits), mais aussi l'utilisation de photos "libres de droits" par Wikimedia Commons.
Saisi par Wikimedia France et La Quadrature du Net dans le cadre d'une question prioritaire de constitutionnalité (QPC), le Conseil constitutionnel a validé cette disposition dans une décision du 2 février 2017 (voir notre article ci-dessous du 5 février 2017).

En attendant le prochain contentieux...

La question semble donc désormais réglée, mais dans un sens opposé à celui prévalant dans la décision du Conseil d'Etat. Pas tout à fait ! Le contentieux pourrait en effet se déplacer sur la monétisation du droit à l'image des domaines nationaux reconnu par la loi LCAP. En effet, l'article L.621-42 du Code du patrimoine se contente d'indiquer, de façon très laconique, que "la redevance tient compte des avantages de toute nature procurés au titulaire de l'autorisation".
Un long décret du 29 mars 2017 relatif au patrimoine mondial, aux monuments historiques et aux sites patrimoniaux remarquables (voir notre article ci-dessous du 3 avril 2017) consacre certes quatre lignes à la question de la redevance, mais sans apporter aucun élément sur le fond. Devenu l'article R.621-99 du code du patrimoine, il se contente en effet d'indiquer que "les conditions financières de l'utilisation commerciale de l'image d'éléments des domaines nationaux appartenant à l'Etat et confiés à un établissement public sont fixées par l'autorité compétente de l'établissement. Dans les autres cas, le préfet fixe les conditions financières des actes unilatéraux ou contrats relatifs à l'utilisation à des fins commerciales de l'image des biens appartenant à l'Etat qui sont inclus dans le périmètre d'un domaine national".
Il reste donc désormais à attendre un premier contentieux pour y voir plus clair sur la portée financière de ce nouveau droit à l'image des domaines nationaux.
Dernière précision de taille : la liste des domaines nationaux est établie par un texte réglementaire. Pour l'instant, un décret du 2 mai 2017 n'en dénombre que six : Chambord, bien sûr, mais aussi le domaine du Louvre et des Tuileries, le domaine de Pau, le château d'Angers, le palais de l'Elysée et le palais du Rhin à Strasbourg...

Références : Conseil d'Etat, arrêt n°397047 du 13 avril 2018, établissement public du domaine national de Chambord c/ société Les Brasseries Kronenbourg.