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Commande publique - Le critère du chiffre d'affaires : hors jeu pour l'examen des offres

La société Latitudes s'était portée candidate à un marché d'études d'aménagement foncier portant sur plusieurs communes. Lancé par la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (Dreal) de la région Nord-Pas-de-Calais-Picardie, ce marché avait été attribué à un autre candidat. Il avait en effet été reproché à la requérante de ne pas respecter les exigences requises concernant le chiffre d'affaires de l'entreprise. Le soumissionnaire évincé a donc saisi le juge des référés du tribunal administratif d'Amiens auquel il a demandé la suspension de toute décision concernant la passation du contrat litigieux. Sa requête n'ayant pas été accueillie, il s'est tourné vers le Conseil d'Etat.

Une substitution de motif superflue

Pour rejeter la requête de la société Latitudes en première instance, le juge du référé précontractuel avait opéré une substitution de motifs à la demande de la DREAL. Ainsi, alors qu'il était auparavant reproché à l'offre de la requérante de n'être pas économiquement la plus avantageuse, le motif nouvellement retenu concernait les capacités financières de la société. En effet, celles-ci auraient été insuffisantes pour permettre une bonne exécution du marché. Or, cette substitution suppose que l'administration ait effectivement examiné les capacités du soumissionnaire et les ait jugées insuffisantes, condition que n'a pas vérifiée le juge, entachant ainsi son ordonnance d'erreur de droit. En réalité, le motif retenu importait peu, le pouvoir adjudicateur ayant procédé à une mauvaise estimation de son marché, la procédure s'en trouvait compromise. En effet, si l'administration est en droit d'exiger des garanties des soumissionnaires, celles-ci sont encadrées afin d'éviter tout excès.

Un chiffre d'affaires lié et proportionné à l'objet du marché

Selon l'article 45 du code des marchés publics (désormais article 44 du décret du 25 mars 2016), le chiffre d'affaires annuel minimal exigé "ne peut être supérieur à deux fois le montant estimé du marché ou du lot". Or, en l'espèce, le contrat a été attribué pour 84.504 euros alors qu'il était exigé dans les documents de la consultation un "chiffre d'affaires moyen au cours des trois dernières années d'exercice supérieur ou égal à 400.000 euros TTC". Le Conseil d'Etat a donc estimé que le pouvoir adjudicateur avait commis une erreur manifeste d'appréciation en procédant à une mauvaise estimation du montant du marché. Le chiffre d'affaires requis était en effet largement supérieur au montant pouvant être exigé pour un tel marché. La société Latitudes n'aurait donc pas dû être évincée.

Offre et candidature : une ligne à ne pas franchir

Par ailleurs, si le pouvoir adjudicateur peut prendre en compte les moyens en personnels et en matériels affectés par le candidat à la réalisation des prestations pour apprécier la valeur technique de l'offre, il ne saurait se fonder sur "des critères portant sur les capacités générales de l'entreprise qu'au stade de l'examen des candidatures". Déclarer l'offre de la société Latitudes irrecevable en raison du chiffre d'affaires insuffisant de cette dernière contrevenait donc au code des marchés publics (article 53 devenu article 62 du décret du 25 mars 2016) et aux obligations de publicité et de mise en concurrence. En effet, le règlement de la consultation prévoyait une appréciation de la valeur technique des offres au regard de "l'expérience, des capacités professionnelles et des capacités techniques des candidats, ainsi que de la garantie qualité".

Un manquement justifiant l'annulation intégrale de la procédure

Alors même que le requérant ne l'avait pas sollicité, se contentant de demander la suspension de toute décision liée à la passation du marché, le Conseil d'Etat a jugé qu'il y avait lieu d'annuler l'ensemble de la procédure. Ce pouvoir lui est en effet conféré dans le but de faire cesser tout manquement de l'administration concernant ses obligations de publicité et de mise en concurrence.

L'Apasp

Référence : CE, 13 juin 2016, n°396403 

 

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