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Réforme territoriale - Le gouvernement fait voter le transfert obligatoire des compétences eau et déchets aux EPCI

Poursuivant le 4 mars jusque tard dans la soirée ses débats sur le projet de loi Nouvelle Organisation territoriale de la république (Notr), l'Assemblée a été saisie d'amendements du gouvernement visant à transférer obligatoirement la compétence "eau et assainissement" et la compétence "déchets" aux intercommunalités, y compris toutes les communautés de communes. Ces amendements ont été adoptés par une petite majorité des quelques dizaines de députés présents. Avec, toutefois, l'adoption de sous-amendements prévoyant que ces compétences ne deviennent automatiquement intercommunales qu'à fin 2017, alors que le gouvernement avait initialement envisagé une entrée en vigueur dès fin 2016.
Si ces dispositions ont bien été adoptées, elles ne l'ont pas été sans l'expression de nombreuses résistances, tant pour des raisons de forme que de fond. Sur la forme d'abord, beaucoup se sont étonnés que ces dispositions apparaissent soudainement en cours de débat en séance et donc après l'examen du projet de loi en commission, sachant qu'il n'en n'avait pas non plus été question lors du passage du texte au Sénat. "Il n'est pas acceptable que cette disposition nous arrive sous la forme d'un amendement du gouvernement, ce qui évite de devoir fournir une étude d'impact", a par exemple relevé Martial Saddier, rejoint en cela par Marc Le Fur : "Vous êtes donc en train, subrepticement, d'opérer une évolution considérable. En effet, comme il s'agit là d'un amendement, nous ne disposons ni d'un avis du Conseil d'État ni d'une étude d'impact. Rien ne nous éclaire sur les conséquences de ce dispositif."
Les récentes critiques de la Cour des comptes sur la gestion de l'eau sont-elles pour quelque chose dans l'histoire ? Le secrétaire d'Etat en charge de la réforme territoriale, qui représentait le gouvernement à l'Assemblée tout comme la ministre Marylise Lebranchu, s'y est en tout cas référé. Et s'est expliqué en ces termes : "La gestion de l'eau et de l'assainissement est actuellement assurée par près de 35.000 services d'eau et d'assainissement sur le territoire national. À plusieurs reprises, et très récemment encore dans son rapport public annuel de 2015, la Cour des comptes a dénoncé la dispersion, l'hétérogénéité et la complexité de l'organisation territoriale des services publics d'eau et d'assainissement. Cette organisation enchevêtrée de services communaux, intercommunaux et de syndicats techniques parfois très anciens, dont certains remontent au début du siècle dernier, ne coïncide pas nécessairement avec les bassins de vie ou les bassins hydrographiques. En outre, l'organisation reste très morcelée entre les compétences eau potable, assainissement collectif et assainissement non collectif. Sur les 13.225 services publics d'eau potable (...), 74% sont gérés par le niveau communal. La réduction du morcellement et de la dispersion de cette compétence exige donc l'attribution à titre obligatoire de celle-ci à chaque catégorie d'EPCI à fiscalité propre, dont les communautés de communes. Cette attribution n'interdit évidemment pas, dans un second temps, le transfert de cette compétence à des syndicats mixtes."

Voir venir...

Le rapporteur du texte, Olivier Dussopt, a souscrit à l'analyse, tout en demandant un report d'un an afin de "disposer d'un délai plus raisonnable". Le gouvernement lui-même a considéré que ce temps supplémentaire permettrait de mieux tenir compte "des particularités" – "enjeux sur le transfert du patrimoine avec la question des canalisations et des unités de traitement, réflexion sur les points de captages d'eau, etc.". "Cette proposition de repousser à 2018 permet de voir venir…", a reconnu Martial Saddier.
Le député-maire UMP de Bonneville (Haute-Savoie) a toutefois pris la tête de la fronde contre la proposition gouvernementale, soulignant que "si 70% du réseau d'assainissement et d'eau potable dans notre pays sont du niveau communal, ce n'est peut-être pas par hasard". "On peut très bien, dans un bassin de vie, trouver la ressource dans un EPCI à fiscalité propre, les réseaux de transport et la distribution dans un autre EPCI à fiscalité propre et la station d'épuration dans un troisième EPCI", a-t-il également relevé.
Il a été rejoint en cela par l'ancien président de l'Association des maires de France, Jacques Pélissard, qui s'est livré à une démonstration sur la complexité du secteur de l'eau face à laquelle l'amendement gouvernemental serait inadapté. "Unifier au niveau de l'intercommunalité est une fausse solution", ne serait-ce que parce que "les bassins hydrographiques ne coïncident pas avec une intercommunalité, même de 20.000 habitants". Mais aussi parce que gérer l'ensemble de ce champ au niveau intercommunal nécessite une réflexion par rapport à l'existant, sachant qu'il "est des communes qui ont beaucoup investi dans l'eau, et d'autres qui n'ont pas investi ou n'ont pas eu besoin de le faire".
En outre, comme l'a rappelé Marc Le Fur, "cette mesure n'est pas sans incidences sur les modes de gestion de l'eau et de l'assainissement, car elle associera des secteurs en régie avec des secteurs en délégation". Or, a-t-il prévenu, "on sait bien que c'est la délégation qui gagnera, car les régies, en particulier municipales, ne pourront pas tenir et un moment viendra où les structures intercommunales seront dans l'obligation, face à la complexité, de faire appel à des tiers dont c'est le métier, avec des conséquences sur la nature de la gestion".
Les critiques ont été à peu près du même ordre s'agissant de l'amendement visant à ce que "les communautés de communes exercent de façon obligatoire la gestion des déchets des ménages et assimilés". Jacques Pélissard a ainsi jugé que ce transfert obligatoire de compétence serait "inopérant". Là encore pour des questions de périmètres : au-delà de la collecte, qui dit déchets dit traitement… qui "nécessite une zone d'au moins 300.000 habitants afin de disposer d'une installation performante". Et pour des questions d'organisation : " 90% des communes françaises sont regroupées en syndicats. Le dispositif n'apporterait donc rien", a déclaré Jacques Pélissard. Enfin, pour des raisons de visibilité : " les maires ont quant à eux un rôle pédagogique extrêmement important à jouer en termes d'explications et de conseils".
"Il me semble que l'on peut avancer sur la question de la collecte mais, sur celle du traitement, la loi sera très timide et probablement très insuffisante par rapport aux pratiques des intercommunalités", a de même appuyé Dominique Dord (Savoie).

Claire Mallet

Vote surprise d'une métropole Reims-Châlons-Epernay
Toujours dans le cadre du projet de loi Notr, l'Assemblée a adopté mercredi soir, contre l'avis du gouvernement, un amendement d'élus UMP défendu par Benoist Apparu visant à élargir le nombre de métropoles au regroupement des intercommunalités de Reims, Châlons et Epernay. Le vote surprise de cet amendement est intervenu quelques heures avant le début des discussions attendues sur la métropole du Grand Paris. Alors que la région Champagne-Ardenne perd des habitants depuis trois recensements, la création de la région Alsace-Lorraine-Champagne-Ardenne va "probablement" pénaliser les villes de Reims/Châlons et Epernay, "coincées entre Paris et les pôles urbains de Strasbourg, Metz et Nancy", selon les signataires de l'amendement. Lesquels considèrent que le fait de fusionner trois ensembles urbains (deux communautés d'agglomération et une communauté de communes) pour bâtir une intercommunalité de 352.463 habitants et de la rendre plus puissante en l'élevant au rang de métropole constituerait en quelque sorte une "compensation". Opposée à l'amendement sur cette nouvelle métropole, au motif notamment d'une absence de continuité territoriale et de la faible intégration du regroupement en question, Marylise Lebranchu a affiché le souci pour cette zone victime de "pertes d'emploi très rudes" de "chercher quelque chose" hors du statut de métropole pour que "cette entité fonctionne et ait une visibilité".