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Développement des territoires - Le Nord-Pas-de-Calais prêt pour la troisième révolution industrielle

L'économiste américain Jeremy Rifkin a présenté le 25 octobre 2013 le Master Plan destiné à faire entrer la région Nord-Pas-de-Calais dans la troisième révolution industrielle. Le plan, qui nécessite 5 milliards d'euros d'ici à 2050, doit permettre à la région de réduire de 60% sa consommation d'énergie, de diviser par quatre ses émissions de gaz à effet de serre, de créer quelque 165.000 emplois. Le plan permet aussi de mobiliser acteurs privés et publics sur un projet commun pour sortir la région du marasme industriel.

Après neuf mois de travail, la région Nord-Pas-de-Calais a désormais les cartes en main pour entamer sa "troisième révolution industrielle". L'économiste américain Jeremy Rifkin a présenté son Master Plan le 25 octobre 2013, lors du World Forum de Lille, qui doit permettre à la région de passer à un nouveau modèle économique, énergétique et sociétal.
Il y a un an, Jérémy Rifkin s'était vu chargé par la région et la chambre de commerce et d'industrie Nord de France d'imaginer un projet de troisième révolution industrielle en Nord-Pas-de-Calais. Durant neuf mois, quelque 125 experts du bureau de Rifkin et de la région ont planché sur le sujet. Budget : 350.000 euros. Une somme importante mais qui a donné lieu à une véritable mobilisation. "Jeremy Rifkin est arrivé dans une région où tout était quasiment en place, notamment les grands schémas sur la vision régionale. Mais il nous a incontestablement amenés une accélération de la prise de conscience. Le fait que ce soit un prospectif américain, qui parle à l'oreille des grands de la planète, est payant. Son apport n'est pas tant technique, avant tout il facilite la mise en mouvement de la société régionale", explique à Localtis Jean-François Caron, conseiller régional et vice-président du forum d'orientation de la troisième révolution industrielle, qui lui-même se bat depuis des années pour lancer ce type d'action sans recevoir une écoute importante de la part des acteurs locaux. "Rifkin nous apporte de la crédibilité, nous serons la première région dans le monde à passer à l'acte. Il nous permet de nous construire une image extrêmement positive, détaille Jean-François Caron. Nous étions la région martyrisée par la crise, la désindustrialisation, et c'est maintenant la région qui prend la main. Notre retard nous donne de l'avance ! Les retombées, ne serait-ce qu'en matière de presse, sont énormes : 80 journalistes accrédités lors de la présentation du Master Plan, plus de 1.000 dépêches…" Sur le plan de la communication, l'opération est déjà réussie, alors que l'économie régionale subit actuellement une série de revers (suppressions d'emplois à La Redoute, VG Goosens, inquiétudes à la Cristallerie d’Arques, etc.). Le président de la région, Daniel Percheron, estime lui aussi que l'économiste américain a enlenché le mouvement : "Jeremy Rifkin arrive. Il livre sa prophétie avec talent. On le croit ! Depuis, et je ne m'attendais pas à un tel engouement, de nombreux acteurs se mobilisent autour d'un formidable potentiel [...]. A nous maintenant de mettre en œuvre la prophétie, de faire vivre et grandir cette polyphonie et de trouver l'assemblage intelligent pour aller résolument de l'avant", signale-t-il dans une interview croisée avec Philippe Vasseur, président de la CCI de région Nord de France qui a initié ce projet.

"Le Master Plan n'est pas désincarné"

Résultat de ces neuf mois de travail collectif, le Master Plan repose sur cinq piliers, issus de l'ouvrage "Troisième révolution industrielle" de l'économiste, mais taillées sur mesure pour la région. "Le Master Plan n'est pas désincarné du territoire, il est adapté à notre région. Les acteurs régionaux l'ont alimenté", détaille Jean-François Caron.
Premiers points du plan : le passage aux énergies renouvelables. Dans ce domaine, l'objectif fixé pour le Nord-Pas-de-Calais est de couvrir 100% de ses besoins énergétiques par la production d'énergies renouvelables. Ce qui en ferait "l'une des premières au monde à basculer complètement dans l'ère post-carbone", précise le plan. Un vaste programme de rénovation urbaine (100.000 logements d'ici à 2015, soit un dixième du parc de la région et 1,4 million à l'horizon 2050) doit aussi permettre de transformer les bâtiments, quartiers et villes en microsites producteurs d'énergie. Il s'agit du deuxième pilier. Le troisième concerne le stockage de l'énergie avec le déploiement de technologies de stockage, par le biais de l'hydrogène ou d'un autre moyen dans chaque bâtiment. L'utilisation de la technologie d'internet pour faire évoluer le réseau électrique vers un système intelligent de distribution décentralisée de l'énergie correspond au quatrième pilier. Lorsque des bâtiments génèrent une petite quantité d'énergie au niveau local, le surplus pourra être revendu au réseau et l'électricité partagée avec leurs voisins… Enfin, la transformation de la flotte de transport en véhicules électriques rechargeables, ou à piles à combustible, correspond au cinquième pilier.

5 milliards d'euros sur 2014-2050

"Lorsque les cinq piliers sont rassemblés, ils forment une plateforme technologique indivisible qui augmentera considérablement la productivité des entreprises et des industries du Nord-Pas-de-Calais, créera de nouvelles opportunités commerciales, développera la création d'emplois et fera de cette région la référence de la troisième révolution industrielle en France, au sein de l'Union européenne et dans le monde", affirme Jeremy Rifkin dans son plan stratégique. Les objectifs sont en effet ambitieux : réduire de 60% la consommation énergétique de la région d'ici à 2050, diviser par quatre ses émissions de gaz à effet de serre, créer 165.000 emplois nets, et rénover 100.000 logements d'ici 2015… Mais pour arriver à ce résultat, 5 milliards d'euros sur les années 2014-2020, devront être mobilisés, soit 5% du PIB annuel de la région (97 milliards d'euros)… Pour financer ce plan, la région et la CCI comptent sur les financements publics (Etat, bpifrance, fonds européens, plan de reconquête industrielle et contrat de plan Etat-région). "Nous allons négocier des financements dans le cadre des fonds européens et du contrat de plan Etat-région et cette démarche nous donne une cohérence dans la négociation avec l'Europe et l'Etat", souligne Jean-François Caron.
Les acteurs misent aussi sur l'épargne populaire. En région Nord-Pas-de-Calais, cette épargne représente plus de 200 milliards d'euros. L'idée est de créer un support financier dédié au financement des projets de la troisième révolution industrielle. Il pourrait s'agir d'un livret qui permettrait aux épargnants de déposer leurs économies ou du fléchage d'une faible part des souscriptions de l'assurance vie vers la troisième révolution industrielle dans le cadre de fonds "evergreen" (sans échéance prédéfinie). La mise en place d'une plateforme de crowdfunding pour les internautes est également prévue. Elle permettra aux internautes d'investir dans des projets de la troisième révolution industrielle sous forme de dons, avec ou sans contrepartie, de prêt, avec ou sans intérêt, ou d'investissement (en obligation ou en action). Des sommes qui financeront surtout les start up et les PME.

Une feuille de route d'ici la fin de l'année 2013

D'après les scénarios présentés par Jeremy Rifkin, le PIB régional pourrait passer de 97 milliards d'euros aujourd'hui à 112 ou 133 milliards d'euros en 2050. Le retour sur investissement pourrait atteindre 1,7 fois la mise de départ.
Et l'objectif de la région et de la CCI est de faire la démonstration concrète et rapide de la faisabilité du plan, avec le développement de projets. Certains existaient déjà mais vont ainsi être accélérés par la démarche de la troisième révolution industrielle. C'est le cas de l'Université zéro carbone, un plan à l'horizon 2050, réalisé par sept universités de la région et concernant 150.000 étudiants, destiné à rénover les bâtiments. Ou le plan "100.000 logements", programme de rénovation énergétique de l'habitat piloté par le conseil régional, la création d'une Agence des mobilités, la mise en place d'un plan d'action en faveur du déploiement de bornes pour développer l'usage des véhicules électriques…
Côté organisation, un forum d'orientation collégial, présidé par Philippe Vasseur, a été créé. Un comité de suivi, avec un secrétariat de liaison permanent, doit aussi assurer la coordination des travaux. La feuille de route régionale, découlant du Master Plan, qui définira les priorités, le programme opérationnel, et le calendrier, devrait quant à elle être élaborée et adoptée par les différentes assemblées concernées avant la fin de l'année 2013.