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Social - Le RSA a trois ans : quel bilan ?

Le Comité national d'évaluation du revenu de solidarité active (RSA) a présenté son rapport final. Celui-ci montre que le démarrage de la réforme a été lent et complexe et que le taux de non-recours au RSA-activité est très élevé. Si les effets du RSA-activité sur les revenus des bénéficiaires sont réels, l'impact du RSA sur l'emploi reste faible et des progrès s'imposent en termes d'articulation entre accompagnement social et insertion professionnelle.

Quel bilan tirer de la mise en oeuvre du revenu de solidarité active (RSA) trois ans après la loi du 1er décembre 2008 ? La réponse n'est guère univoque, si l'on suit le rapport final du Comité national d'évaluation du RSA, présenté le 15 décembre à Paris dans le cadre d'une vaste conférence nationale d'évaluation. Ce rapport et cette conférence avaient une teneur officielle puisqu'ils avaient été explicitement prévus par cette même loi généralisant le RSA. Deux rapports intermédiaires ont déjà été réalisés, l'un en décembre 2009, l'autre il y a un an (voir ci-contre nos articles de janvier 2010 et janvier 2011). Ce troisième rapport est en principe le dernier. "Notre comité a terminé ses travaux", a d'ailleurs conclu jeudi François Bourguignon, président de cette instance et directeur de l’Ecole de l’économie de Paris. Et pourtant, a-t-il relevé, il ne faudrait en aucun cas "arrêter l'évaluation" du RSA. Car l'un des constats du comité, c'est précisément que l'on assiste toujours à "un déploiement progressif", que "l'ensemble du dispositif n'est pas encore arrivé à maturité".
"La prestation n'est pas encore stabilisée", a confirmé par exemple Frédéric Marinacce, qui représentait le 15 décembre la Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf). "Il y a eu des difficultés et des lenteurs au démarrage, du fait de complexités que nous avons mis plusieurs mois à lever", a pour sa part expliqué René-Paul Savary, président du conseil général de la Marne et président de la commission insertion de l'Assemblée des départements de France (ADF). Evoquant la gouvernance du dispositif et donc "la redéfinition du partage des rôles" entre acteurs – conseil général, CAF et MSA, Pôle emploi, CCAS et associations – générée par la mise en place du RSA, François Bourguignon a estimé qu'un "effort considérable a été fait, que ce soit en termes de réorganisations, de recrutements ou de systèmes d'information". Son verdict : "Même si tout cela était très complexe, la réforme a été menée. Mais il est trop tôt pour démontrer son potentiel en termes d'accompagnement et de retour à l'emploi."

Le non-recours : une surprise ?

Ce "mais" a évidemment été au coeur des échanges de jeudi. Tout d'abord concernant la montée en charge du RSA. Le rapport constate que "la bascule du RMI et de l’API dans le RSA-socle s’est faite très rapidement et sans difficulté", le RSA-socle bénéficiant aujourd'hui à 1,4 million de foyers. S'agissant du RSA-activité en revanche, qui représentait évidemment la nouveauté de la réforme initiée par Martin Hirsch, les choses ne se sont pas passées exactement comme prévu. En tout cas, la progression du RSA-activité "a été beaucoup plus lente" et le nombre de bénéficiaires reste très en dessous des estimations qui avaient pu être faites. On compte 500.000 foyers bénéficiaires du RSA-activité seul, alors que leur nombre avait initialement été estimé à environ 1,5 million (et que fin 2010, on estimait toujours à 1,5 million le nombre de foyers éligibles). Autrement dit, seul un tiers des foyers qui y auraient droit ont fait la démarche de demander le RSA-activité. D'où un focus important du rapport sur le phénomène du "non-recours".
Les causes de ce non-recours sont multiples et composites. François Bourguignon a notamment évoqué, parmi les caractéristiques des "non-recourants", "l'instabilité de l'éligibilité à la prestation" (le fait de savoir que ses revenus du travail risquent de provoquer des entrées et sorties de l'éligibilité), "l'influence de la proximité à l'emploi" (le fait de penser que parce qu'on n'est pas éloigné de l'emploi, on n'est pas concerné par le RSA), "des conditions de vie relativement moins dégradées" (qu'il s'agisse d'une perception objective ou pas). Si la méconnaissance du dispositif est évidemment le premier facteur de non-recours, le deuxième est bien le sentiment – et/ou la volonté – de "se débrouiller autrement". On notera qu'a contrario, la crainte de perdre un certain nombre de droits connexes est tout à fait marginale (seules 3% des réponses à une enquête menée auprès des non-recourants).
"Le non-recours, ce n'est pas une surprise. Il faut aller les chercher, les gens…", a réagi l'un des bénéficiaires invités à échanger à la tribune de la conférence après avoir participé aux travaux préparatoires. "Sur les territoires ruraux, il y a clairement des réticences, qu'elles soient d'ordre psychologique ou culturel. Nous devons vraiment aller vers les populations concernées", a de même témoigné la représentante de la MSA. Martin Hirsch a pour sa part reconnu le problème, expliquant : "Nous avons essayé de banaliser le RSA, comme l'aide au logement par exemple, de décloisonner les publics. Nous n'avons pas totalement réussi. C'est vrai que le RSA-activité apporte une complexité supplémentaire, qu'on ne peut pas dire en trois mots à quelqu'un s'il y a droit ou pas. On manque sans doute de campagne d'information. D'ailleurs, rien n'empêche des conseils généraux d'en lancer". Marc-Philippe Daubresse, l'ancien ministre ayant succédé à Martin Hisrch sur le dossier du RSA et auteur, depuis, d'un rapport commandé par le chef de l'Etat, a évidemment vu dans ce non-recours une nouvelle preuve de la nécessité de simplifier le dispositif.
La ministre Roselyne Bachelot, qui clôturait la journée, est elle aussi revenue sur cette nécessité, proposant "un premier niveau réglementaire de simplification, dans lequel tous les champs sont ouverts, telle que la proposition visant à fusionner la prime pour l’emploi et le RSA" et soulignant que "notre réponse ne saurait se limiter à un ajustement technocratique des dispositifs".

Retour à l'emploi : quand les freins s'additionnent

L'un des autres points évalués par le comité révèle des éléments plus positifs : les effets du RSA-activité sur la pauvreté. Certes, mesurer ces effets n'est pas chose facile. Mais on retiendra que, selon le rapport, le RSA-activité conduit à une hausse de 18% du revenu médian par unité de consommation… et donc, indique le comité, à "une diminution substantielle de l'intensité de la pauvreté chez les bénéficiaires". En revanche, l'impact du RSA-activité sur le nombre de pauvres est forcément limité (il serait de -2%, soit 150.000 personnes) du fait de l'importance du non-recours, qui le divise par trois. De plus, a rappelé François Bourguignon, "les barèmes du RSA ne permettent pas nécessairement de passer au-dessus du seuil de pauvreté", établi à 950 euros.
L'autre effet du RSA-activité à évaluer était évidemment l'impact sur l'emploi, sachant que celui-ci avait été mitigé lors de la phase d'expérimentation. Et que, là encore, l'évaluation est difficile (difficile, notamment, de distinguer l'effet RSA des autres facteurs, notamment la situation du marché du travail). Les études montrent notamment que le taux de retour à l'emploi augmente davantage parmi les familles que parmi les personnes vivant seules (alors même, souligne François Bourguignon, que le gain monétaire lié au RSA-activité est supérieur pour les familles, ce qui tend à prouver que ce gain n'a pas d'effet désincitatif, au contraire). S'agissant de l'impact sur le temps partiel subi, une enquête menée auprès des entreprises montre que, contrairement à ce qui avait été dit lors de la création du RSA-activité, les employeurs ne jouent pas sur le dispositif pour privilégier le temps partiel… tout simplement parce qu'ils sont peu informés et n'ont donc pas vraiment compris "le rôle de revenu de remplacement que pouvait jouer le RSA-activité".
Mais globalement, il est clair que les effets sur le retour à l'emploi restent limités. Les freins, souvent, se cumulent : obstacles matériels par exemple liés à la garde d'enfants ou aux transports, politiques d'insertion et d'accompagnement insuffisantes… et, bien sûr, conjoncture économique morose annihilant souvent les efforts accomplis par ailleurs. "Il est clair que dans un contexte économique différent, les résultats auraient été plus positifs", a par exemple commenté René-Paul Savary, s'intéressant alors à l'ensemble des bénéficiaires du RSA (RSA-socle et RSA-activité). Et celui-ci d'expliquer : "Même en menant des actions d'insertion professionnelle, il devient difficile de déboucher sur un emploi à temps plein. Du coup, on se pose des questions… Dans mon département, pour une part croissante de bénéficiaires, nous avons dû, faute d'emplois, nous recentrer sur l'insertion sociale plutôt que sur l'insertion professionnelle."

Emploi et social : quelle complémentarité ?

Roselyne Bachelot a toutefois estimé qu'au-delà de la conjoncture, il fallait y voir "la conséquence des retards constatés dans certains départements pour la mise en place de l’accompagnement des bénéficiaires", sachant que "seuls 40% d’entre eux bénéficient aujourd’hui d’un référent unique". La ministre a également insisté sur la nécessaire articulation entre insertion professionnelle et insertion sociale, alors que Martin Hirsch avait auparavant regretté que les allocataires soient trop souvent "pris en tenaille entre les départements et Pôle emploi". Se disant consciente que "l’orientation vers l’emploi n’est pas toujours adaptée à l’ensemble de la population des bénéficiaires du RSA", elle juge souhaitable de "développer, en complément de l’orientation prioritaire des bénéficiaires vers Pôle Emploi, des dispositifs territoriaux - plateformes d’instruction et d’orientation, d’accompagnement - intégrant toutes les parties prenantes et, en particulier, les associations", et de "prévoir dans les pactes territoriaux pour l’insertion des actions qui intègrent les complémentarités relevant de l’emploi et du social".
Enfin, Roselyne Bachelot a évidemment évoqué la nouvelle expérimentation d'un contrat aidé de 7 heures hebdomadaires engagée dans treize départements volontaires, qui constitue selon elle "un marchepied supplémentaire vers un parcours d’insertion professionnelle, notamment à destination de ceux qui ne peuvent s’engager sur des emplois ordinaires ou des contrats de 20 heures".
Là-dessus comme sur d'autres points, on aura entendu des choses très diverses au fil de la journée. Tel cet allocataire de l'Hérault estimant que ces contrats uniques d'insertion (CUI) de sept heures "tirent tous les salaires vers le bas et n'incitent pas les employeurs à pérenniser". Mais aussi comme le président du conseil général de la Marne qui n'était au départ "pas adepte" du dispositif proposé mais a toutefois décidé de l'expérimenter. Premier écho dans ce département : "Les allocataires sont en fait très nombreux à nous appeler pour demander à en bénéficier."

 

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