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Le Sénat débat sur la reconstruction du pacte social après la crise sanitaire

Basculement dans la pauvreté, salaires, chômeurs supplémentaires, risques de délocalisations... les sénateurs ont débattu le 28 mai des conséquences sociales de la crise sanitaire. La secrétaire d'État auprès du ministre des Solidarités et de la Santé a fait valoir les effets protecteurs joué par le "filet social", tout en évoquant de nouveaux axes de travail liés à l'accès aux droits et au maintien dans l'emploi. Elle a en outre confirmé que le chantier du revenu universel d'activité (RUA) avait été suspendu.

À la demande du groupe socialiste et républicain, le Sénat organisait le 28 mai, en séance publique, un débat sur "les conditions de la reconstruction du pacte social national dans le cadre de la sortie de la crise sanitaire", en présence de Christelle Dubos, secrétaire d'Etat auprès du ministre des Solidarités et de la Santé. Pour le groupe socialiste en effet, "la crise que nous traversons n’est pas seulement une crise sanitaire et économique, elle est aussi sociale. Les mesures prises par le gouvernement depuis deux mois n’anticipent pas la situation dégradée dans laquelle notre pays risque de s’installer pour plusieurs mois, voire plusieurs années".

"Le pacte social français a joué un rôle essentiel"

Près d'une vingtaine de sénateurs ont pris part à ce débat, soulevant de nombreuses questions sur une dimension économique et sociale de la crise qui devrait prendre le pas sur la dimension sanitaire dans les prochaines semaines. Pour Monique Lubin, sénatrice des Landes, qui a ouvert le débat pour le groupe socialiste, "le confinement a fait apparaître les vices de notre organisation économique et sociale. En deux mois, des milliers de Français ont basculé dans la pauvreté ou l'extrême pauvreté. Quelque 4,3 millions de 'nouveaux vulnérables' se rajoutent aux 400.000 pauvres supplémentaires dénombrés en 2019". Elle a aussi rappelé que "le rapport à nos aînés est également un enjeu central" et que "toutes les générations doivent faire l'objet de notre attention", visant plus particulièrement les jeunes.

Pour Christelle Dubos, "le pacte social français a joué un rôle essentiel durant cette crise. Nous avons eu de la chance de ne pas avoir à improviser dans l'urgence un système de protection sociale. Le filet social a joué son rôle". La secrétaire d'État a rappelé les différents dispositifs sociaux mis en place pour faire face à la crise (voir nos articles ci-dessous) : chômage partiel pour 12 millions de salariés, indemnités versées aux personnes vulnérables face au virus ou qui devaient garder leur enfant, versement automatique des minima sociaux, soutien à l'aide alimentaire, aide exceptionnelle de solidarité pour 4,1 millions de foyers, aide pour 800.000 jeunes de 18 à 25 ans, prolongation de la trêve hivernale jusqu'au 10 juillet, création de places d'hébergement supplémentaires... Toutefois, "les travaux de sortie de crise du gouvernement ne sont pas terminés" et la secrétaire d'État a cité plusieurs axes de travail, "destinés à soutenir notre pacte social", comme la simplification de l'accès aux droits et la lutte contre le non-recours, ou le soutien au pouvoir d'achat et au maintien dans l'emploi.

Aggravation des inégalités, décrochage scolaire... et ISF

Les échanges qui ont suivi avec les sénateurs ont porté notamment sur la revalorisation des rémunérations. Aux demandes de revalorisation, Christelle Dubos a opposé – hors, bien sûr, les personnels soignants – la priorité donnée au maintien dans l'emploi, rappelant au passage que "ceux qui bénéficient de la prime d'activité recevront une compensation partielle de la baisse de leurs ressources, on l'a trop peu rappelé".

D'autres points d'attention sont également évoqués, comme l'aggravation des inégalités ou les risques accrus de décrochage scolaire après la longue fermeture des établissements. Pour Xavier Iacovelli, sénateur (LREM) des Hauts-de-Seine, "les attentes des citoyens vis-à-vis de la puissance publique sont grandes. Il est urgent de reconstruire notre pacte social tout en stimulant la solidarité individuelle".

Éliane Assassi, sénatrice (groupe communiste, républicain et citoyen) s'inquiète surtout de "la crise économique et sociale [qui] s'annonce terrible : déjà plus de 843.000 chômeurs supplémentaires en avril" (quasi exclusivement sous l'effet du passage des catégories B et C en catégorie A) et appelle notamment, comme d'autres sénateurs, au rétablissement de l'ISF. Mais pour Christelle Dubos, "la pression fiscale, déjà très forte, l'une des plus élevées de l'OCDE, n'est pas la réponse à la crise sociale. [...] Les entreprises ont besoin de marges de manœuvre pour recruter, car le recrutement, c'est plus d'emplois".

Retraites, assurance chômage, RUA... quel avenir pour ces réformes ?

Pour sa part, Joël Guerriau, sénateur (Les Indépendants) de la Loire-Atlantique, redoute que le télétravail "favorise les délocalisations des emplois qualifiés vers des pays à bas salaires", tandis que Jean-Marie Vanlerenberghe, sénateur (Union centriste) du Pas-de-Calais, s'inquiète du sort des avancées qui figuraient dans le projet de loi sur les retraites, aujourd'hui suspendu, sinon abandonné (minimum retraite, mesures en faveur des "carrières hachées", notamment pour les femmes...). Précisant qu'"il ne [lui] revient pas de débattre sur les arbitrages en cours en matière de retraites", Christelle Dubos a néanmoins indiqué que "nous y travaillons dans le cadre de la préparation du prochain PLFSS qui sera examiné par le Parlement".

Autre "revenant" au cours de ce débat : le revenu universel d'activité (RUA), évoqué par plusieurs sénateurs, tout comme la demande d'annulation définitive de la réforme de l'assurance chômage, aujourd'hui simplement suspendue. Sur le RUA, la secrétaire d'État a confirmé que "les travaux ont été interrompus par la crise". Mais elle a aussi ajouté que "le RUA est rendu complexe par le fonctionnement des CAF, chacune ayant son propre fichier. Il faudrait modifier tout le système informatique pour mener une expérimentation, même sur deux ou trois territoires seulement". Pour Olivier Henno, sénateur (Union centriste) du Nord, il faudrait aller plus loin et "organiser une grande conférence sociale pour appréhender ces mutations".

En conclusion du débat, Laurence Rossignol, sénatrice (Socialiste) de l'Oise et ancienne ministre, a salué "le propos de la ministre en introduction à ce débat. Elle a rendu hommage au système de protection sociale. Je préfère ces mots au 'pognon de dingue'. Il faut un système de protection sociale fort, pour défendre les plus fragiles". Elle a dit aussi espérer une annulation définitive de la réforme de l'assurance chômage et a souligné que "le travail au noir est une réalité. Après l'état d'urgence, il faudra s'occuper de ces travailleurs privés de leurs petits jobs". Le mot de la fin reste toutefois à Christelle Dubos, estimant qu'"il n'est pas encore temps de dresser un bilan concret et définitif de cette crise sociale. Nous travaillons pour activer différents leviers, afin d'éviter un accroissement de la précarité et de la pauvreté".

 

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