Energie - Les députés adoptent la proposition de loi Brottes revue et corrigée
Après un parcours parlementaire chaotique, la proposition de loi Brottes sur la tarification progressive de l'énergie a été adoptée en nouvelle lecture à l'Assemblée nationale dans la nuit du 17 au 18 janvier. L'UMP et l'UDI ont voté contre. Le Front de gauche, qui avait voté contre l'ensemble du texte en première lecture, s'est abstenu cette fois-ci. Mais les échanges ont encore été très vifs dans l'hémicycle à propos du dispositif de bonus/malus sur la consommation d'énergie et des mesures assouplissant la réglementation de l'éolien qui avaient été introduites à la faveur d'amendements gouvernementaux lors de la première lecture de la proposition de loi à l'Assemblée en octobre dernier.
Un "texte de bric et de Brottes"
Daniel Fasquelle, député UMP du Pas-de-Calais a ainsi dénoncé un "texte de bric et de Brottes", une "addition de questions qui n'ont pas de lien entre elles". "Après les tarifs sociaux, on a ajouté les éoliennes en cours de route : quel rapport avec la tarification progressive ? On a donc dû changer le titre (…). Ce n'est plus un cavalier législatif, c'est presque un régiment et je pense que le Conseil constitutionnel aura à apprécier tout cela".
Certaines des mesures sur l'éolien avaient été promises par le gouvernement après la conférence environnementale de septembre 2012. C'était notamment le cas de la suppression des zones de développement de l'éolien (ZDE) pour éviter une double planification avec le permis de construire, de la facilitation juridique de l'installation des éoliennes outre-mer ou de la suppression de la "règle des 5 mâts". "Attendues" par la filière, "avec en jeu la préservation de 11.000 emplois", a défendu la ministre de l'Ecologie Delphine Batho, elles vont "développer une véritable guerre dans les territoires" car "la ZDE évite énormément de contentieux", a jugé le président des députés Front de gauche André Chassaigne, élu du Puy-de-Dôme. "Vous allez allumer des tensions dans nos territoires", a renchéri Daniel Fasquelle pour qui il s'agit d'un "super déverrouillage". La fin de la règle des 5 mâts risque aussi d'entraîner "le mitage" du territoire, a estimé André Chassaigne. "Cessez d'agiter des peurs sur le développement des éoliennes !", a rétorqué le député écologiste de Paris Denis Baupin qui a accusé les opposants de ne pas avoir les mêmes préventions vis-à-vis des poteaux électriques. "Les bobos parisiens qui nous incitent à faire de l'éolien… 34 champs d'éoliennes dans mon département, a lancé le député UDI de la Meuse Bertrand Pancher. C'est une erreur". La députée Front national du Vaucluse Marion Maréchal Le Pen a quant à elle dénoncé "la manne" et "le business de l'éolien" dans une intervention en début de soirée.
"75% des consommateurs gagnants"
Auteur et rapporteur de la proposition de loi, le député PS de l'Isère François Brottes, également président de la Commission des affaires économiques, a une nouvelle fois défendu son texte, "première étape" de la transition énergétique avec un système de bonus-malus qui est "un signal pédagogique mobilisateur". L'entrée en vigueur sera progressive, a-t-il expliqué : "2013, les textes réglementaires, 2014 la collecte des données, 2015 on informe les citoyens" avant l'entrée en vigueur réelle en 2016, 2015 étant "une année blanche". Selon lui, "75% des consommateurs seront gagnants alors que seuls 25% d'entre eux verront leur facture énergétique augmenter". La ministre de l'Ecologie a pour sa part estimé que les "les changements significatifs" apportés au texte initial permettent de répondre aux "inquiétudes", notamment par rapport au risque d'"effet pervers" pour les personnes en précarité résidant "dans des passoires énergétiques".
Au total, 74 amendements ont été adoptés en séance, dont l'un modifie le titre de la proposition de loi. Désormais, le texte "vis[e] à préparer la transition vers un système énergétique sobre et port[e] diverses dispositions sur la tarification de l'eau et les éoliennes". Les députés ont soutenu la nouvelle version du bonus-malus qui avait été adoptée en commission des affaires économiques le 9 janvier dernier (voir notre article ci-contre) en apportant de légères retouches. Les députés EELV ont ainsi obtenu qu'à partir de 2016, le deuxième malus ne puisse pas être nul mais être compris entre 3 et 20 euros du mégawattheure, puis entre 6 et 60 euros du mégawattheure à partir de 2017. Plusieurs députés socialistes ont avancé la mise en service des installations de comptage permettant l'individualisation des factures d'énergie pour les immeubles chauffés collectivement "au plus tard le 1er janvier 2015", au lieu de 2017. Et le gouvernement a limité les exceptions à la généralisation des comptages individuels aux seuls cas d'impossibilité technique. La précédente version prévoyait le cas d'un "coût excessif", ce qui ne le satisfaisait pas car, selon lui, "les deux tiers des logements concernés pourraient y déroger".
Parité pour le collège de la CRE
Après le niveau du bonus-malus, la pointe électrique, la progressivité de l'abonnement , les députés EELV ont ajouté à l'article 2 une nouvelle demande de rapport au gouvernement " étudiant la possibilité et les modalités de mise en œuvre d'un bouclier énergétique pour les plus précaires, afin de garantir qu'aucun ménage ne dépense plus de 10 % de ses revenus pour ses besoins énergétiques dans le cadre d'une consommation normale d'énergie".
François Brottes a modifié à nouveau la composition du collège de la Commission de régulation de l'énergie (CRE), "afin de s'assurer de la prise en compte d'enjeux spécifiques et essentiels trop méconnus par elle à l'heure actuelle" et d'assurer la parité. Renouvelé par tiers tous les trois ans, le collège comprend ainsi : "un membre nommé par le président de l'Assemblée nationale, en raison de ses qualifications juridiques, économiques et techniques dans le domaine de la protection des données personnelles ; un membre nommé par le président du Sénat, en raison de ses qualifications juridiques, économiques et techniques dans le domaine des services publics locaux de l'énergie ; un membre nommé par décret, après son audition par les commissions permanentes du Parlement compétentes en matière de consommation, en raison de ses qualifications juridiques, économiques et techniques dans les domaines de la protection des consommateurs d'énergie et de la lutte contre la précarité énergétique ; un membre nommé par décret, après son audition par les commissions permanentes du Parlement compétentes en matière d'environnement, en raison de ses qualifications juridiques, économiques et techniques dans les domaines de la maîtrise de la demande d'énergie et des énergies renouvelables ;
un membre nommé par décret, sur proposition du ministre chargé de l'Outre-mer, en raison de sa connaissance et de son expérience des zones non interconnectées.
Service public de la performance énergétique
A l'article 6, le gouvernement a fait inscrire le service public de la performance énergétique de l'habitat au code de la construction et de l'habitation. Quant aux députés communistes, ils ont demandé que le gouvernement remette au Parlement un rapport faisant "état des moyens spécifiques affectés par l'État" à ce service public. André Chassaigne a fait également préciser qu' "afin de lutter contre la précarité énergétique, le dispositif de bonus-malus sur les consommations domestiques d'énergies de réseau [soit] mis en place concomitamment à la mise en œuvre de dispositifs d'accompagnement visant à donner aux consommateurs domestiques les moyens de réduire leur consommation d'énergie".
Un amendement du gouvernement permet d' "assurer le développement des effacements par un dispositif d'appel d'offres, dans l'attente de la mise en place du mécanisme de capacité pérenne qui permettra aux acteurs concernés de développer des capacités de production et d'effacement de consommation" (article 7). Un autre amendement gouvernemental modifie l'article 7 bis afin de "sécuriser le cadre juridique de l'activité des opérateurs d'effacement de la consommation sur le marché de l'électricité". L'amendement crée également un "dispositif expérimental sous la responsabilité du gestionnaire de réseau de transport, et sous le contrôle de la CRE qui en approuvera les modalités". Un autre amendement gouvernemental "vise à permettre aux consommateurs finals qui s'approvisionnent directement sur les marchés de gros pour tout ou partie de leurs besoins en électricité, de demander au fournisseur de leur choix de gérer pour eux l'obligation de capacité lorsqu'ils n'ont pas les moyens de le faire eux-mêmes".
Les schémas régionaux de l'éolien comme documents de référence
Sur l'éolien, un amendement à l'article 12 bis précise que "l'autorisation d'exploiter tient compte des parties du territoire régional favorables au développement de l'énergie éolienne définies par le schéma régional éolien". Pour le gouvernement, il s'agit que les décisions d'exploiter qui sont délivrées dans le cadre de la procédure ICPE tiennent compte des zones favorables définies par les schémas régionaux de l'éolien. "Ceux-ci deviennent de ce fait des documents de référence dans l'instruction des autorisations ICPE." Il s'agit de "sécuriser le dispositif dans le cas où un schéma régional de l'éolien ferait l'objet d'un recours et d'une annulation".
Enfin, l'Assemblée nationale a réécrit en partie l'article 14 sur l'expérimentation "en vue de favoriser l'accès à l'eau et de mettre en œuvre une tarification sociale de l'eau", et ce, afin d'assurer la sécurité juridique du dispositif, selon les explications gouvernementales.
Le texte doit maintenant retourner devant le Sénat qui devrait à nouveau le rejeter. Il devrait alors être adopté en lecture définitive par l'Assemblée nationale puisque celle-ci a le dernier mot.