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Tice - Les écoles se préparent à l'ascension du très haut débit

L'école doit opérer sa transition numérique. Le chantier, plutôt en retard, mobilise désormais l'ensemble de la communauté éducative. Mais beaucoup reste à faire : organiser, canaliser, coordonner les actions sur le terrain, accompagner les mairies dans leurs projets, si possible en mutualisant ressources et moyens pour dépenser moins, sans oublier l'accès à un internet performant dans les établissements. Pour faire le point sur le déploiement des réseaux et donner aux acteurs une meilleure visibilité aussi bien sur les projets engagés que sur les modes de gouvernance, le ministère de l'Education nationale et la Caisse des Dépôts organisaient, le 23 mai, une journée dédiée à l'accélération du raccordement des écoles au très haut débit.

"Comment accélérer le raccordement des écoles au très haut débit." Telle était la question mise en débat, toute la journée du 23 mai, à la Bibliothèque nationale de France, par le ministère de l'Education nationale et la Caisse des Dépôts. Et les échanges ont bien confirmé la complexité de l'équation à résoudre. D'un côté, l'ambition affichée par le ministère de l'Education nationale et les collectivités territoriales d'accélérer l'usage du numérique à l'école. De l'autre, un environnement contraint offrant des débits soit excessivement chers soit fortement limités, alors que la diversification des usages en classe confirme la montée des besoins en débit. De plus, "l'augmentation du catalogue des ressources en ligne, le 'cloud' et la virtualisation qui vont faciliter les opérations de maintenance à distance exigent eux aussi des capacités toujours plus importantes" complétera Catherine Becchetti-Bizot, directrice du projet "Stratégie numérique" au ministère de l'Education nationale, lors de son discours d'ouverture.

Bas débit : un facteur d'exclusion pédagogique

Selon des statistiques récentes (Etic 2013), 65% des écoles françaises disposeraient encore d'un débit inférieur à 2 Mbps. Or cette question du débit reste un frein puissant, comme l'a démontré Hervé Thalmensy. "Le bas débit n'interdit pas la messagerie ou l'accès internet mais il est lent et inconfortable et limite l'accès à certains services comme la vidéoconférence", a souligné cet expert "Réseau" au ministère de l'Education nationale.
Des solutions palliatives seront proposées. Grâce au satellite et au Wimax, le programme "Ecoles connectées" récemment lancé par Benoît Hamon, Arnaud Montebourg et Axelle Lemaire (voir notre article ci-contre du 26 mai 2014), devrait apporter rapidement de meilleures performances aux écoles les plus isolées et leur ouvrir l'accès aux services pédagogiques nationaux. Gaël Serandour, responsable du domaine Infrastructures numériques à la Caisse des Dépôts, en a toutefois tempéré l'impact. "La solution n'est que provisoire, a-t-il rappelé. Toutes les projections de scénarios d'usage confirment la nécessité d'accéder à une infrastructure très haut débit. Seule la fibre permet la mise en œuvre de l'éventail des services présents et à venir. Le maintien sur le long terme de toute autre solution prolongera les contraintes actuelles."
Plusieurs illustrations de "freins aux usages pour cause de bas débit" ont d'ailleurs émaillé la journée. Comme dans la Loire, où la réduction du nombre de postes de correspondants d'anglais avait conduit l'académie à mettre en place un service de vidéoconférence permettant grâce aux échanges à distance de compenser en partie la dégradation du service. Tout en reconnaissant l'intérêt de l'opération - aujourd'hui pérenne avec une quarantaine d'enseignants utilisateurs du service -, Patricia Pichon, inspectrice de l'Education nationale, regrette "l'exclusion des écoles n'ayant pas un débit suffisant" de cette opération et a souligné combien cette contrainte pesait sur le projet pédagogique.
Autre exemple dans la Somme : l'utilisation de l'espace numérique de travail (ENT) permet de pratiquer la "différenciation pédagogique" (le fait de pouvoir proposer simultanément différentes activités aux élèves d'une même classe), mais uniquement dans les écoles dotées du très haut débit.

Connexion à 1.400 euros/mois par établissement….

Aussi, le raccordement des établissements à la fibre optique constitue un point d'amélioration au présent et une assurance pour l'avenir. Il dépendra du calendrier de déploiement des réseaux fibre optique, sans oublier la manière dont la priorité de raccordement donnée aux établissements d'enseignement sera réellement appliquée. Antoine Darodes, directeur de la mission Très Haut Débit, Christophe Genter et Pierre Bignon, tous deux de la Caisse des Dépôts, ont présenté le panorama des subventions et des prêts disponibles pour le financement des opérations de déploiement de réseau et d'équipement intérieur des établissements (voir encadré ci-dessous).
Quelques participants ont alors fait remarquer qu'au-delà de l'éligibilité à la fibre, les tarifs pratiqués en aval risquaient d'exclure de nombreux établissements. André Marcant, délégué académique au numérique (DAN) de Nice, a évoqué le coût "excessivement élevé" de l'accès du haut débit dans les zones desservies par le privé et a souhaité l'application d'un encadrement des prix. Le responsable du très haut débit dans les lycées d'Ile-de-France, Pierre Marin, a confirmé ces inquiétudes. "Aujourd'hui certains de nos lycées paient 1.400 euros par mois pour obtenir une connexion à 100 Mbps. Rapporté aux 470 lycées de la région, cela reviendrait à 7,5 millions d'euros par an. Autant dire que l'addition est impossible à présenter à ma hiérarchie", a-t-il témoigné.
Antoine Darodes leur a répondu en distinguant d'une part la zone d'investissement publique sur laquelle les collectivités locales "disposent d'un réel levier" en validant le catalogue des offres et d'autre part les zones d'investissement privées pour lesquelles il n'existe pas de régulation des prix de détail. La mission a lancé une concertation avec les opérateurs afin qu'ils développent une offre spécifique sur le secteur éducatif, mais sans résultat. "En conséquence, certaines collectivités envisagent la création de leur propre réseau, par exemple dans le cadre d'un groupement fermé d'utilisateurs" (GFU), a rappelé le directeur de la mission Très Haut Débit. "Nous souhaitons que le régulateur s'empare du sujet car si les opérateurs maintiennent leur position, les collectivités seront contraintes de dupliquer les réseaux, ce qui économiquement n'est pas très pertinent", commentera un élu.

Mutualisation de moyens : passage obligé?

Les contraintes qui pèsent sur l'accès ne doivent pas occulter les autres enjeux. Notamment ceux de réorganisation et de reconfiguration des modèles de gouvernance au niveau local. La table ronde consacrée à ces questions, présentait trois initiatives territoriales innovantes donnant un premier aperçu des évolutions sur le terrain. Toutes les trois reposent sur un principe de regroupement permettant la mutualisation des moyens et des services : à l'échelle intercommunale pour Saint-Etienne Métropole (300 écoles dans 45 communes) qui a bénéficié d'un transfert de la compétence "multimédia dans les écoles"; à l'échelle inter-académique pour le groupement de commande monté par le Sipperec (syndicat intercommunal de la périphérie de Paris pour l'électricité et les réseaux de communication) réunissant 190 communes ; à l'échelle régionale et départementale, pour la réalisation d'un "schéma" commun Etat/collectivités "de cohérence du numérique éducatif pour les collectivités en Auvergne" (Sconeeta) assorti d'une première mise en œuvre sur le département du Cantal.
Aux trois échelles, le traitement repose sur un dispositif de groupement de commandes "destiné à faire baisser les prix et homogénéiser les équipements". L'harmonisation facilite la constitution des parcours de formation des enseignants et la gestion des tâches de maintenance. Ainsi Saint-Etienne Métropole, qui a initié cette politique il y a seize ans, propose aujourd'hui une gamme étendue de services en matière d'acquisition des équipements, d'accès internet, de maintenance du réseau et des matériels, d'outils de supervision et de détection d'incidents et d'évaluations des programmes mis en oeuvre. "La démarche répond à une demande d'accompagnement des plus petites communes sur l'agglomération, à la volonté d'assurer une équité d'accès quelle que soit la richesse des collectivités et enfin à un souci de rationalisation et d'optimisation de la gestion", confirme Joëlle Fayet, responsable du plan multimédia Saint-Etienne Métropole.

Des partenariats académies/collectivités

Les regroupements facilitent également l'établissement de partenariats avec les services académiques. "Il a permis de concentrer des moyens plus conséquents et de mieux coordonner l'enchainement des actions", souligne Pascal Cotentin, DAN de l'académie de Versailles. Même tonalité dans le Cantal, comme le confirme Pierre Danel, DAN de l'académie de Clermont-Ferrand, où "la coopération a contribué à réduire le saupoudrage territorial des moyens et à renforcer le travail pédagogique spécifique sur le département".
A Saint-Etienne, les opérations d'équipement des écoles sont systématiquement coordonnées avec la formation des enseignants pilotée par l'inspection académique. Et aujourd'hui les partenaires locaux préparent une convention-cadre "définissant mieux le travail de chacun en fonction de ses compétences".
Le département du Cantal a, lui, amorcé une démarche structurante d'accompagnement des communes et des EPCI (établissements publics de coopération intercommunale) dans l'équipement des écoles, via son opérateur Cantal Ingénierie. Les compétences de cette nouvelle agence couvriront progressivement le déploiement des environnements numériques de travail, la connexion des écoles, l'acquisition des matériels et la maintenance. Le département amorce, par ailleurs, une recherche des synergies sur la maintenance des collèges et des écoles. Pierre Danel s'est d'ailleurs félicité des évolutions profondes amorcées en Auvergne : "Chaque établissement ne pourra dédier une personne ressource à la maintenance des systèmes, aussi nous nous posons la question du déploiement de solutions de virtualisation qui permettraient d'assurer la maintenance à distance." "Nous sommes condamnés à la mutualisation et nous y allons avec enthousiasme et détermination car notre unité, c'est le territoire", a ajouté le DAN de Clermont-Ferrand.

Chronique d'une co-construction annoncée

Sans doute, ces trois exemples sont des exemples "avancés" de coopération et de mutualisation. Mais les échanges informels entre participants ont confirmé l'existence de projets similaires déjà déployés ou en passe de l'être. Un mot clé a beaucoup été prononcé : celui de co-construction. Terme très en vogue, qui recouvre aujourd'hui une réalité positive sur le secteur éducatif : celle du resserrement des liens et du partenariat entre les collectivités territoriales et le ministère de l'Education nationale.
"Nous souhaitons vivement voir aboutir la mise en place du comité des partenaires, projet auquel la Caisse des Dépôts est associée et qui doit conduire au regroupement de toutes les associations représentatives des élus", assurera Catherine Becchetti-Bizot, qui souhaite renforcer cette "gouvernance partagée avec les collectivités territoriales" au niveau national comme au niveau local, via le nouveau réseau des délégués académiques au numérique.
Stéphane Keïta, directeur du Développement territorial et du Réseau de la Caisse des Dépôts, confirmera en clôture de la journée  le "soutien fort" de l'établissement qu'il représente. "Nous sommes et resterons le partenaire privilégié des collectivités locales et de l'Etat pour les accompagner dans la mise en place de projets numériques éducatifs structurants", a-t-il déclaré. Cette position, amorcée en 2003, avait notamment conduit la Caisse des Dépôts à s'engager dans le déploiement des environnements numériques de travail (ENT). Aujourd'hui l'investissement porte plus directement sur la connexion prioritaire en très haut débit des établissements scolaires. Gageons que la Caisse des Dépôts aura autant de réussite sur ce dossier que sur celui des ENT, désormais présents dans 24 régions et 80 départements.

Philippe Parmantier / EVS

Ecole numérique : panorama des financements
Les collectivités territoriales disposent aujourd'hui de trois leviers financiers pour déployer le numérique à l'école :
- les subventions attribuées par le fonds pour la société numérique (FSN) piloté par le commissariat général à l'investissement pour les réseaux d'initiative publique (RIP) constituent le principal instrument de raccordement des écoles au très haut débit. Dans ce cadre, elles bénéficient d'un statut d'équipement prioritaire. Les villes et agglomérations réservées aux opérateurs privés ne sont pas éligibles aux subventions. En revanche, les conventions passées entre opérateurs, Etat et collectivités territoriales dans ces zones permettent de prioriser les déploiements sur les communes les moins bien desservies ;
- les prêts de la Caisse des Dépôts mis en place par la direction des fonds d'épargne (1) et distribués par les directions régionales de la Caisse des Dépôts financent à taux avantageux les investissements. Ils concernent le numérique à l'école et peuvent notamment couvrir les travaux internes pour l'équipement et le câblage des bâtiments sans distinction de zone. Pour des demandes inférieures à un million d'euros, le montant de l'emprunt peut être financé à 100% ;
- les investissements pour compte propre que la Caisse des Dépôts réalise dans certaines sociétés de projet chargées du déploiement et de l'exploitation des RIP sont désormais engagés avec une attention particulière sur le plan de raccordement des établissements scolaires.
Pour en savoir plus : http://valoffre.caissedesdepots.fr


(1) Dans le cadre de l'enveloppe de 20 milliards d'euros ouverte au secteur public local pour la période 2013-2017.
 

 

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