Les présidents de région esquissent le nouvel acte de décentralisation

Les patrons des exécutifs régionaux ont appelé de leurs vœux le 18 décembre une clarification des compétences des collectivités et l'attribution de nouvelles prérogatives aux régions, que ce soit en matière de mobilités, de soutien à l'économie, ou d'orientation. Ils s'exprimaient à l'occasion du vingt-cinquième anniversaire de Régions de France. Présent à cet événement, Eric Woerth, député chargé par l'exécutif d'une mission sur la décentralisation, a dit réfléchir sur un "partage cohérent des compétences".

Architecte de la nouvelle carte des régions, l'ancien président de la République François Hollande a exprimé le 18 décembre le regret de s'être arrêté au milieu du gué. "Ce qui manquait, peut-être faute de temps, c'est le dernier acte", a-t-il déclaré au Palais du Luxembourg à Paris, lors d'un colloque organisé par Régions de France. "Ce qu'il fallait, c'était peut-être transférer davantage de pouvoirs aux régions en particulier, puisque nous les avions voulues plus grandes et plus fortes", a-t-il confié lors de ce débat, qui s'est tenu à l'occasion des 25 ans de l'association qui fédère et défend les collectivités régionales. "Ce qui est attendu, c'est que l'Etat renvoie vers les régions des compétences, celles qu'il exerce peut-être insuffisamment, ou mal", a estimé celui qui fut, entre autres, conseiller régional du Limousin pendant quelques années. En matière de logement et de politiques écologiques, les régions et les intercommunalités "peuvent être beaucoup plus appropriées" que l'Etat, a-t-il déclaré. En se montrant également favorable à l'octroi de plus grandes responsabilités aux régions dans les domaines de la recherche et des universités. Le développement économique et la politique agricole pourraient faire l'objet d'une plus grande décentralisation, a-t-il estimé par ailleurs.

"Trop de doublons"

Les présidents de région n'ont pas boudé leur plaisir d'avoir trouvé un allié dans la perspective du nouvel acte de décentralisation annoncé par l'actuel chef de l'Etat, Emmanuel Macron. Un chantier à la préparation duquel ils comptent être au rendez-vous. Avec de premières pistes qu'ils ont d'ores et déjà détaillées. La clarification des compétences, "pour être compris du citoyen et efficaces", est en tête de leurs priorités. Les présidents de région réclament en ce domaine de disposer de compétences pleines. En matière de soutien à l'économie, il existe encore "trop de doublons avec l'Etat", a déploré Carole Delga, présidente de Régions de France. Sur le transport par rail, domaine où l'Etat, la SNCF et les régions interviennent simultanément, "il est nécessaire d'avoir une nouvelle organisation", a-t-elle estimé, jugeant par ailleurs indispensable une réflexion sur de "nouveaux financements". Les régions n'ayant pas la maîtrise d'ouvrage des routes – et celle-ci étant par ailleurs éclatée entre le département, la métropole et l'Etat – elles ne peuvent pas facilement créer des voies réservées au transport par car, a aussi fait remarquer la présidente de Régions de France, sur cette question des mobilités. Pour y arriver, il faut "cinq ans", a dénoncé Alain Rousset, président de la région Nouvelle-Aquitaine.

Régions de France souhaite aussi que les élus régionaux puissent "pleinement agir" en matière d'orientation et disposer de davantage de leviers dans le domaine de la formation.

Un millefeuille ? Non, un crumble.

Mais, du fait de leur diversité, les régions n'ont pas vocation à exercer les mêmes compétences, suivant le principe de différenciation que leurs présidents souhaitent voir davantage mis en oeuvre. Ce but pourrait être atteint par "l'expérimentation", a souligné Jean-Pierre Raffarin, ancien Premier ministre, qui fut, à partir de 1998, le premier président de Régions de France.

Les idées d'une différenciation accrue et d'un exercice plein des compétences ont trouvé l'assentiment de la présidente de l'Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet, qui, malgré une actualité législative chargée, a participé à l'ouverture des débats. Mais l'élue Renaissance a surtout souligné l'importance, selon elle, de "clarifier" les compétences des collectivités. "Le millefeuille administratif ressemble plutôt à un crumble aujourd'hui, avec une vingtaine de compétences partagées entre collectivités", a-t-elle dit. "Sans doute faut-il mieux exploiter dans la loi les possibilités introduites en 2003 dans la Constitution, de désigner des chefs de file sur des politiques publiques", a-t-elle suggéré.

"Champ de compétences = champ libre"

La mission sur la décentralisation installée par Emmanuel Macron, que la présidente de l'Assemblée nationale a jugé "prometteuse", réfléchit justement à la clarification des compétences des collectivités. "On a envie que [les compétences] soient le mieux partagées possible", a estimé Eric Woerth, député (Renaissance) chargé de piloter ces travaux, et présent au colloque. En illustrant ses propos à l'aide de l'exemple de l'économie, une compétence où les intercommunalités et, parfois, les départements interviennent en parallèle des régions. "On trouve au fond un champ - pourquoi pas - où chacun peut essayer d'intervenir là où il est. Mais, il faut quand même qu'il y ait de la cohérence là-dedans. Est-ce qu’on peut aller plus loin dans le partage cohérent des compétences ?", a déclaré celui qui fut conseiller régional de Picardie de 1986 à 2002. "Champ de compétences = champ libre, ça devrait être comme ça que ça s'organise", a-t-il poursuivi. En précisant : "Quand on a un pouvoir, il faut qu'on puisse l'exercer complètement". Cela signifie qu'"on ne réglemente pas pour vous" dans le cadre de ce pouvoir. Le député de l'Oise imagine donc un scénario où l'Etat renoncerait probablement à des interventions réglementaires tous azimuts dans les champs des compétences des collectivités.

Par ailleurs, quand on a un pouvoir, "on a les moyens de le financer", a-t-il jugé, en mettant le doigt sur la question de "l'autonomie financière"… et non de l'autonomie fiscale. "Faut-il recréer des succédanés de la taxe d'habitation ? Non, je ne pense pas, on ne recréera pas un impôt", a estimé Eric Woerth. Pour qui il est préférable de "mieux orchestrer la capacité à partager de la fiscalité nationale".

Pacte entre l'Etat et les régions

Ce qui ne correspond pas franchement à la position des associations d'élus locaux, y compris, il faut le souligner, de Régions de France. Car si les collectivités régionales se sont vu octroyer ces dernières années des parts de fiscalité nationale souvent jugées dynamiques (en particulier la TVA), Carole Delga n'en a pas moins revendiqué la nécessité d'une autonomie fiscale pour les régions. Regrettant toute "décorrélation" entre l'action et les ressources des régions, elle a fait remarquer que les élus régionaux doivent pouvoir répondre de leur politique fiscale aux citoyens. Un avis soutenu par François Hollande : "La grande réforme à faire, c'est celle de la fiscalité locale. Il faut réintéresser les élus à construire, à accueillir de nouvelles populations, les rendre bâtisseurs, investisseurs et innovateurs", a estimé l'ancien président de la République.

Renouvelant son appel à la conclusion d'un "nouveau pacte entre l'Etat et les régions", la présidente de Régions de France a souhaité l'installation d'une conférence entre l'Etat et les régions, qui se réunirait régulièrement sous la houlette du président de la République. "Nous devons savoir travailler en pack", a justifié Carole Delga.

Au cours des prochains mois, Régions de France va approfondir ses pistes, notamment dans le cadre d'un groupe de travail animé par Alain Rousset. Ce dernier aura pour mission d'"adapter" le Livre blanc que les régions avaient présenté en mars 2022 (voir notre article), pour notamment l'enrichir de contributions faites, depuis, par l'Ile-de-France, la Bretagne et la Corse. Les propositions des régions pourront être très larges, allant jusque dans le champ des adaptations institutionnelles. En effet, "on a ce qu’il faut dans la Constitution pour que les régions proposent elles-mêmes la décentralisation de demain", comme l'a indiqué Géraldine Chavrier, professeure de droit public à l’Université Paris 1, Panthéon-Sorbonne.