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Mobilité - Les transports publics, un levier contre la "fracture territoriale"

Dépénalisation du stationnement, levier tarifaire, report modal... Ouvert le 5 juin, le Salon européen de la mobilité est traditionnellement l'occasion de mettre à plat les grands enjeux du secteur. Un exercice auquel la nouvelle ministre de l'Ecologie, Nicole Bricq, a apporté sa touche en indiquant les grandes priorités gouvernementales.

Le 5 juin, la nouvelle ministre de l'Ecologie, Nicole Bricq, a inauguré le cinquième Salon européen de la mobilité qui attend 10.000 visiteurs jusqu'à jeudi à Paris. A cette occasion, elle a présenté les grands enjeux du quinquennat en matière de transports. En soulignant d'emblée que ses objectifs et sa méthode de travail passaient "par la case concertation". "Concertation qui prépare la décision et associe les acteurs locaux, collectivités territoriales et entreprises". "Ces dernières années, la politique des transports a souffert d'une orientation exclusive vers la construction de nouvelles infrastructures - ou plus exactement d'une accumulation de promesses, pas toujours financées d'ailleurs - sans mettre le service et la qualité du transport au cœur des politiques publiques", a-t-elle déclaré. La nouvelle politique des transports devra atteindre "trois objectifs complémentaires", a-t-elle indiqué. Le premier sera "la lutte contre la fracture territoriale, dont on a vu qu'elle avait une traduction dans les urnes révélatrice d'un sentiment d'abandon de la puissance publique". Selon Nicole Bricq, le gouvernement doit aussi apporter "la réponse essentielle à la qualité du service des transports du quotidien". Elle a enfin confirmé qu'une "place consistante" sera donnée aux transports "dans la nouvelle étape de la décentralisation que proposera Marylise Lebranchu", ministre de la Réforme de l'Etat, de la Décentralisation et de la Fonction publique. Nicole Bricq a également plaidé pour un Etat stratège qui "fixe le cadre, les incitations et les règles du jeu" tout en "renforçant le rôle des régions en matière de coordination de l'offre de services, et celui des agglomérations en matière de transports urbains". Elle a évoqué la possibilité du lancement d'un troisième appel à projets de transports en commun en site propre (TCSP) pour atteindre l'objectif de 1.500 km de TCSP à l'horizon 2020 - l'un des engagements de François Hollande pendant la campagne présidentielle.
"Il y a eu des avancées significatives durant la précédente mandature, avec notamment le retour des aides de l'Etat aux TCSP. Mais il reste du chemin à faire pour atteindre les objectifs que la France s'est fixés en termes de report modal. Parmi les grands chantiers, la mise en accessibilité des transports en commun pour 2015, la transformation des autorités organisatrices de transport en autorités organisatrices de la mobilité durable et la réforme du système ferroviaire avec le quatrième paquet ferroviaire", a déclaré pour sa part  Roland Ries, président du Groupement des autorités responsables de transport (Gart).

Optimiser le report modal

Le Gart et l'Union des transports publics et ferroviaires (UTP) planchent ensemble sur les moyens de faciliter le report modal. Pour Jean-Marc Janaillac, directeur général du développement de la RATP et vice-président de l'UTP, la solution passe par "une meilleure structuration, une meilleure coordination des modes de transports publics entre eux". "Dès qu'on améliore les choses et qu'on rend plus fluide la circulation des bus ou des trains, il y a du répondant en termes de fréquentation", a ajouté Pierre Mathieu, vice-président de la région Champagne-Ardenne et du Gart. La politique tarifaire reste-elle un levier efficace ? "L'usager contribue en moyenne à hauteur de 20% du coût réel des transports. Il faut réfléchir à cette capacité contributive des usagers et trouver sur chaque territoire un équilibre. A Strasbourg, la modulation des tarifs sur la base du quotient familial fonctionne bien. C'est un système vertueux, qui mériterait d'être étendu", a complété Roland Ries. Autre exemple à Genève, en Suisse, où l'on mise non seulement sur la vente d'abonnements à de grands comptes (à des collectivités et entreprises qui les proposent ensuite à leurs agents et employés), mais aussi sur la fourniture de services annexes (livraison de courses gratuite en contrepartie de l'abonnement, accords avec l'hôtellerie et l'aéroport genevois). "Le but est de vendre de la mobilité et pas que du transport", a résumé Patrice Plojoux, président des transports publics genevois.

Agir sur le stationnement

Une table-ronde a aussi été consacrée le 5 juin au stationnement. "C'est un enjeu sur lequel, derrière la belle unanimité des opérateurs et collectivités, se cache une véritable complexité car le stationnement en tant qu'outil impacte les résidents, les visiteurs, les professionnels, avec par ailleurs des enjeux liés à l'offre privée, à la qualité de vie, à la surveillance et au contrôle, à la densification de la ville…", a souligné Eric Chevalier, directeur général des déplacements à Nantes Métropole. Dès lors, où placer le curseur ? "La majeure partie des parcs de stationnement en centre-ville sont sous-exploités et il y a là un potentiel d'optimisation à la disposition des élus", a estimé Frédéric Baverez, président directeur général d'Effia. "On ne peut pas partout se permettre de réduire le stationnement résidentiel. A Bâle ou Strasbourg, cela peut marcher, mais pas à Mulhouse, où l'on a donc instauré une priorité de stationnement en voirie pour les riverains et usagers de courte durée et spécifié au mieux les usages", a ajouté Denis Rambaud, vice-président de Mulhouse agglomération. "On dissuade pour notre part les pendulaires en multipliant les parcs-relais", a poursuivi Guy Jouhier, vice-président délégué aux transports et infrastructures de Rennes Métropole. Et Louis Nègre, sénateur des Alpes-Maritimes, vice-président du Gart et auteur d'un rapport publié en décembre dernier sur ce sujet, de conclure à la nécessité d'une dépénalisation et d'une décentralisation du stationnement. Le Gart la revendique depuis plusieurs années. Nombre d'autres institutions sont pour. Le blocage semble venir du ministère de l'Intérieur. "Tous nos voisins le font et cela est efficace", a précisé Louis Nègre. En ces temps de rigueur budgétaire, l'un des arguments en faveur d'une refonte du système qui peut faire plus particulièrement mouche est la maîtrise des amendes. Le manque à gagner, en raison de leur très faible taux de recouvrement, est en effet considérable pour l'Etat et les collectivités locales.

Morgan Boëdec / Victoires-Editions, avec Anne Lenormand

Mobilité urbaine : une décennie de rupture
En matière de mobilité urbaine, la période 2000-2010 est marquée par une nette rupture avec les tendances passées, a relevé le Certu (Centre d'études sur les réseaux, les transports, l'urbanisme et les constructions publiques) dans un ouvrage* riche d'enseignements, présenté au Salon européen de la mobilité ce 6 juin. Tout d'abord, depuis le milieu des années 2000, la mobilité individuelle stagne et représente aujourd'hui 3,6 déplacements par jour et par habitant dans les grandes agglomérations. Une stabilisation difficile à analyser, que le Certu attribue plus à l'évolution des comportements individuels qu'aux évolutions de la structure sociodémographique de la population. "Les baisses de la mobilité observées touchent davantage les catégories les plus mobiles (les actifs) que les autres, constate le Certu. Les nouvelles générations de retraités, quant à elles, se déplacent davantage que les précédentes."
A partir de 2005, la mobilité en voiture baisse dans les grandes métropoles - la part modale de la voiture dans les déplacements est passée depuis sous la barre des 50% dans les agglomérations lyonnaise, grenobloise et strasbourgeoise - tandis que celle en transports collectifs augmente. Les réseaux urbains de plus de 250.000 habitants ont vu leur fréquentation croître de 30% entre 2000 et 2010, ce qui correspond au développement des transports en commun en site propre (TCSP). "Le rapport à la voiture évolue, remarque Régis de Solere, du Certu. Dans l'agglomération lyonnaise, par exemple, 2 automobiles sur 5 restent immobiles à un moment donné. Les gens continuent à s'équiper mais ne font plus le même usage de la voiture. Et seul un Français sur cinq considère aujourd'hui la voiture individuelle comme un mode de transport d'avenir." Les modes doux (marche, vélo), considérés hier comme ringards, ont retrouvé leur crédibilité, même si leur part modale reste modeste, relève le Certu.
Au niveau national comme au niveau local, l'action publique joue un rôle déterminant dans ces évolutions, estime le Centre d'études. Au 1er juin 2011, on comptait 62 plans de déplacements urbains (PDU) approuvés. La nouvelle génération de PDU revêt un caractère plus prescriptif et plus concret, gage d'une meilleure efficacité, souligne encore le Certu. Mais de nombreux autres facteurs jouent aussi dans ces tendances de fond (crise économique, montée de la précarité, hausse des prix des carburants, effets de la congestion automobile, difficultés de stationnement dans les villes).
L'ouvrage du Certu montre aussi des évolutions très contrastées selon les territoires. Dans les couronnes périurbaines, 75% à 85% des déplacements se font en voiture et la part modale de celle-ci augmente. Et les territoires où s'effectuent le plus de déplacements au quotidien sont les banlieues (1 déplacement sur 4 en France).
Dans une dernière partie, l'ouvrage du Certu se focalise sur les défis à relever pour les années 2010. Le premier est d'accompagner les changements de comportements à l'œuvre à travers les plans de déplacement d'entreprise (PDE), les conseils à la mobilité. Il faut aussi "rationnaliser" le développement des transports collectifs en mettant "le bon mode de transport collectif au bon endroit", souligne Régis de Solere. "Après le métro dans les années 1980 et 1990 et le tramway dans les années 1990 et 2000, le bus à haut niveau de service (BHNS) devrait marquer la décennie 2010, en particulier dans les villes moyennes qui veulent réduire la place de la voiture", pronostique le Certu. Les questions de réorganisation des réseaux, de financement et de gouvernance se posent déjà, estime-t-il. Il faut aussi selon lui encourager la pratique des modes actifs et faire en sorte que "l'utilisation de la voiture ne soit plus un réflexe sur de courtes distances (moins de trois kilomètres)". Le transport de marchandises doit être mieux intégré dans les politiques urbaines, souligne encore le Certu, et la place des évolutions technologiques dans la mobilité (nouveaux outils de communication, véhicules électriques) doit être anticipé. Autres défis de taille : mieux maîtriser la localisation des lieux d'habitat et d'activité et proposer de nouvelles solutions de déplacements dans les territoires où il n'existe pas actuellement d'alternative à l'automobile, ce qui fragilise nombre de ménages aux revenus modestes.
Anne Lenormand

*"La mobilité urbaine en France - Enseignements des années 2000-2010". Régis de Solere (sous la direction de). Editions du Certu, collection Références, 108 p., 35 euros.

 

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