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Logement : avec le temps vient l'apaisement

Le "Pacte d'investissement pour le logement social" signé le 25 avril a marqué la fin des hostilités entre le gouvernement et le monde HLM, hostilités qui avaient démarré fin 2017 avec la baisse des APL. Et la construction dans le secteur social devrait parvenir à se maintenir à flot en 2019, même si on est loin du "choc de l'offre" que la loi Elan aurait permis d'espérer. Il reste toutefois des points de frictions comme la "contemporanéité" des APL (à savoir le calcul des allocations sur le revenu en temps réel et non plus à N-2) et la mise en place du revenu universel d'activité (RUA) qui pourrait englober les APL... Le congrès de l'USH au mois de septembre devrait néanmoins se dérouler dans un climat nettement plus calme que celui de 2017.

Le dernier semestre de 2017 et la majeure partie de l'année 2018 ont été marqués par de fortes tensions entre le gouvernement et le secteur du logement social. La raison : la baisse des APL à hauteur de cinq euros par mois annoncée à l'automne 2017 et, plus encore, le mécanisme de la réduction de loyer de solidarité (RLS), consistant, au prix d'une complexité évidente, à faire financer in fine par les bailleurs sociaux l'économie budgétaire attendue par l'Etat. C'est peu dire que la réforme est mal passée auprès du monde HLM. Les tensions ont pourtant commencé à retomber quelque peu à la fin de l'année 2018. Les applaudissements qui ont salué le discours de clôture de Julien Denormandie, lors du congrès HLM à Marseille, ont donné le signal officiel du dégel (voir notre article ci-dessous du 11 octobre 2018). Il est vrai que le ministre de la Ville et du Logement venait d'affirmer devant les congressistes avoir "conscience que le gouvernement a demandé un effort considérable aux bailleurs sociaux". Et l'annonce d'une clause de revoyure sur le mécanisme de la RLS a achevé de convaincre les plus réticents.

Loi Elan : des inquiétudes largement levées

A peine un mois plus tard, le Journal officiel publiait la loi du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique (Elan). Un texte de poids (235 articles, 106 pages sur Legifrance), mais aussi un texte d'envergure, qui se situe au niveau de ses grands prédécesseurs que sont la loi du 25 mars 2009 de mobilisation pour le logement et la lutte contre l'exclusion (loi Molle), la loi du 24 mars 2014 pour l'accès au logement et un urbanisme rénové (Alur) ou encore la loi relative à l'égalité et à la citoyenneté du 27 janvier 2017.

Certes, les premiers temps d'élaboration du projet de loi ont suscité de vives inquiétudes et de fortes réserves de la part des bailleurs sociaux – et également d'autres acteurs du logement –, mais la conférence de consensus habilement proposée et animée par Gérard Larcher, le président du Sénat, a permis de dénouer les tensions et de favoriser les compromis. Au final, l'USH a vu ainsi dans le projet de loi une "boîte à outils" utile (voir notre article ci-dessous du 8 mars 2018). Même si certaines mesures, comme le regroupement des bailleurs sociaux sous forte incitation – pour ne pas dire contrainte –, ont eu un peu de mal à passer.

De son côté, le gouvernement attend – ou plutôt attendait initialement – de la loi la survenue d'un "choc de l'offre", afin de répondre aux besoins en matière de logement. Mais le choc tarde à se produire, même s'il n'y a pas non plus d'effondrement de la production comme certains l'avaient prophétisé. Au 30 juin 2019, il apparaît ainsi que les autorisations de logements (les permis de construire) ont reculé de 6,6% sur les douze derniers mois – mais se sont redressées de 2,5% au second trimestre 2019 –, tandis que les mises en chantier ont baissé de 5,2% (voir notre article ci-dessous du 30 juillet 2019). Conséquence : le ministre du Logement évoque désormais plus volontiers la question des logements vacants et celle de la réhabilitation et de la rénovation de l'habitat.

Une mise en œuvre sur un rythme soutenu

En attendant, les textes d'application de la loi Elan se sont succédé à un rythme soutenu au cours du premier semestre 2019. Même si tous les textes sont encore loin d'être parus, la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale décerne, dans un récent rapport d'information, un satisfecit global au gouvernement pour la publication des décrets d'application, tout en soulignant la nécessité de laisser du temps aux acteurs pour s'approprier les nombreuses mesures nouvelles (voir notre article ci-dessous du 23 juillet 2019).

Si les délais prévus ont été tenus pour les dispositions relatives à la construction et à l'urbanisme, le rapport pointe néanmoins le cas de la parution des textes d'application des mesures portant sur le logement social, "qui accuse un certain retard, ce qui n'empêche pas le secteur de se réformer". Côté grand public, la mesure la plus visible est sans aucun doute le rétablissement, sous une forme expérimentale, de l'encadrement des loyers, cantonné pour l'instant à la seule capitale (voir notre article ci-dessous du 1er juillet 2019).

Pacte d'investissement pour le logement social : des concessions réciproques

Mais le principal facteur d'apaisement reste sans conteste l'accord conclu le 15 avril entre l'État et l'USH, avec Action logement et la Caisse des Dépôts (voir notre article ci-dessous du 15 avril 2019), et signé solennellement le 25 avril, après avoir été approuvé la veille par le comité exécutif de l'organisation (voir nos articles ci-dessous des 24 et 25 avril 2019). Cet accord, baptisé "Pacte d'investissement pour le logement social" et qui couvre la période 2020-2022, est à nouveau le fruit d'un compromis. D'un côté, le secteur du logement social entérine définitivement le principe de la RLS sur trois ans, le Premier ministre, dans une manœuvre assez habile, ayant laissé l'USH faire elle-même des propositions sur la façon d'être accommodée (voir notre article ci-dessous du 25 mars 2019).

De l'autre côté, l'État fait des concessions sur la RLS. L'accord prévoit en effet de "limiter pour 3 ans l'impact sur l'exploitation des organismes HLM à 950 millions par an" (alors qu'il devait atteindre 1,5 milliard la troisième année), tout en maintenant "une baisse des APL, compensée par les organismes HLM, pour les locataires du parc social de 1,3 milliard d'euros". L'écart de 350 millions entre les deux chiffres sera couvert par une baisse de 300 millions d'euros des cotisations des organismes HLM au Fnap (Fonds national des aides à la pierre) et une remise de 50 millions d'euros sur les intérêts de la dette des organismes auprès de la Caisse des Dépôts.

Compromis également sur la TVA, dont la loi de finances pour 2018 a relevé le taux de 5,5% à 10% pour certaines opérations dans le secteur du logement social, comme la livraison de terrains à bâtir aux organismes HLM ou celle de logements sociaux neufs à usage locatif lorsque l'acquisition est financée par un prêt de l'État ou de l'Anru. L'accord prévoit en effet un retour au taux de TVA à 5,5%, mais uniquement pour certaines opérations : sur les PLAI, les opérations menées dans le cadre de l'Anru et dans les logements PLUS en acquisition-amélioration.

De bonnes raisons de s'entendre

Il faut dire que les deux parties avaient de bonnes raisons de sortir de l'affrontement pour parvenir à un compromis. Du côté des bailleurs sociaux, il était devenu évident que, malgré la crise des gilets jaunes, l'Etat ne reviendrait pas sur la baisse des APL et l'instauration de la RLS. Dès lors, mieux valait chercher un accord, en essayant de se placer dans une position favorable pour négocier. L'USH y est parfaitement parvenue, en organisant un front commun autour d'un "Pacte productif pour une politique du logement plus ambitieuse" réunissant, autour des bailleurs sociaux, un attelage quelque peu hétéroclite composé des associations de collectivités (AMF, AdCF, ADF, Régions de France, APVF, Villes & Banlieue, Villes de France), du secteur de la construction et du bâtiment (FFB, Medef) et de plusieurs acteurs sociaux comme la Fondation Abbé-Pierre, bientôt suivie par la Fédération des acteurs de solidarité (FAS), l'Union professionnelle du logement accompagné (Unafo), la Fédération Solidaires pour l'habitat (Soliha), l'Unaf et quelques autres (voir nos articles ci-dessous du 20 février et du 13 mars 2019).

Du côté de l'Etat, l'objectif était de sortir par le haut de la crise des APL. En outre, même si l'USH n'a pas manqué de dramatiser le "choc systémique" et les prévisions pessimistes sur le recul des investissements dans la construction de logements neufs et la rénovation du parc social (voir notre article ci-dessous du 12 juin 2018), le gouvernement ne pouvait envisager un recul significatif de la production de logements HLM. Même s'il faut évidemment tenir compte du décalage temporel lié à la durée de mise en œuvre des investissements dans le logement, il est d'ailleurs à noter que le financement des logements sociaux n'a que légèrement diminué en 2018 et a même surperformé l'évolution globale de la construction (voir notre article ci-dessous du 4 février 2019). Et, à travers le "Pacte pour l'investissement dans le logement social", le mouvement HLM s'engage désormais à produire chaque année 110.000 logements sociaux et à réaliser la rénovation énergétique de 125.000 autres.

Action logement : un plan d'investissement volontaire de 9 milliards d'euros

Avec le retour d'un climat plus apaisé et les engagements de l'USH, tout indique donc que l'année 2019 ne verra pas d'effondrement de la construction dans le secteur social, ni même de recul important. Et cela même si, sur l'ensemble du marché de la construction, la tendance reste orientée à la baisse par rapport au sommet de 2017. Il est vrai que l'heure est à la mobilisation générale pour encourager les investissements dans le secteur du logement, malgré les polémiques récurrentes sur les aides à la pierre (voir notre article ci-dessous du 22 juillet 2017).

Le 9 janvier, Action logement présentait ainsi un "plan d'investissement volontaire" de 9 milliards d'euros, signé avec l'État le 25 avril - autrement dit le même jour que le "Pacte d'investissement pour le logement social" - , avant de faire l'objet d'une publication un mois plus tard au Journal officiel (voir nos articles ci-dessous du 10 janvier, du 25 avril et du 23 mai 2019). Même si l'adjectif volontaire pourrait mériter des guillemets, ce plan prévoit sept axe prioritaires regroupant une quinzaine de mesures. Quatre milliards d'euros devraient être consacrés au financement de prêts bonifiés, tandis que trois milliards prendraient la forme d'engagements en fonds propres et que deux milliards seraient versés sous forme de subventions. En termes d'affectation, deux milliards d'euros iraient à l'habitat inclusif, 1,5 milliard à la transformation de bureaux vacants en logements, un milliard à l'amélioration de la performance énergétique et un milliard à l'habitat dégradé en centre-ville. Ce plan d'investissement volontaire s'ajoute – d'où son intitulé – aux quinze milliards d'euros de financement prévus dans la convention 2018-2022 entre Action logement et l'État. A noter : cette mobilisation d'Action logement ne devrait pas le faire échapper pour autant à une ponction de 500 millions d'euros sur sa confortable trésorerie, concoctée par Bercy dans le cadre de la préparation de la loi de finances pour 2020.

Plan logement de la Banque des Territoires : bis repetita placent

De son côté, la Banque des Territoires de la Caisse des Dépôts a détaillé, le 9 mai, son "Plan logement 2" (voir notre article ci-dessous du même jour), dévoilé lui aussi le 25 avril, qui pourrait ainsi rester une date phare dans l'histoire du logement (voir notre article ci-dessous du même jour). Ce plan, qui tuile pour partie le Plan logement 1, vise notamment à renforcer les quasi fonds propres de bailleurs sociaux et à soutenir l'investissement des bailleurs sociaux.

La Banque des Territoires entend apporter ainsi un "impact massif" pour accompagner le logement social sur la période 2018-2023. L'impact total est en effet de l'ordre de 36 milliards d'euros : 10 milliards d'euros pour le Plan logement 1, 16 milliard d'euros pour les mesures d'allongement de la maturité du stock de prêts, et 10 milliards d'euros pour le Plan logement 2 (5,8 milliards pour les prêts et titres participatifs et 4,2 milliards sur l'extension de 60 à 80 ans des prêts fonciers en zones tendues).

Le sparadrap de la contemporanéité des APL

Alors, tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes du logement ? Pas tout à fait, car il demeure un certain nombre de dossiers sensibles. Le premier est celui de la contemporanéité des APL, autrement dit l'ouverture du droit et le calcul de la prestation sur la base du revenu actuel et non plus sur celui de l'année N-2. Rendue possible par la généralisation de la DSN (déclaration sociale nominative) et par l'instauration du prélèvement à la source, la réforme n'est pas contestable dans son principe, dans la mesure où elle permet de tenir compte plus rapidement de l'évolution (positive ou négative) des revenus des demandeurs et des allocataires. Mais de nombreux allocataires – les chiffres, assez incertains, varient autour de 1 à 1,5 million – pourraient perdre soudainement leur allocation, une surprise assez désagréable même si, dans ce cas de figure, ils l'auraient restituée sous forme d'indus deux ans plus tard.

Devant les retards et les difficultés techniques invoquées par la Cnaf, la date d'entrée en vigueur de la contemporanéité des APL, pourtant lancée dès 2017 et d'abord annoncée pour la fin de 2018, est finalement renvoyée au mois de janvier ou de février 2020 (voir notre article ci-dessous du 8 juillet 2019). Autrement dit, à quelques semaines des élections municipales... Dans ces conditions, on comprend mieux que, dans sa lettre de recadrage adressée aux quatre ministres concernés (Logement, mais aussi Affaires sociales, Cohésion des territoires et Budget) Édouard Philippe "demande au ministre [du Logement, ndlr] de me proposer sous quinzaine un pilotage revu et sécurisé de la réforme, un plan de communication auprès des allocataires au dernier trimestre 2019, une vision actualisée des impacts individuels de la réforme en janvier 2020". Sans oublier que le report de la réforme à 2020 représente une perte de recettes pour l'Etat, d'où l'idée de Bercy de ponctionner la trésorerie d'Action logement.

Le revenu universel d'activité s'invite dans le logement

Le second dossier chaud est plus inattendu, dans la mesure où il s'agit du futur revenu universel d'activité (voir notre article sur le social dans cette même édition). En effet, et même si rien n'est encore tranché sur ce point, les APL pourraient figurer parmi les prestations fusionnées dans le RUA. Bien que le gouvernement affirme que le barème des APL ne sera pas modifié, l'USH est vent debout contre une telle perspective et entend en faire l'un des thèmes centraux de son congrès de Paris à la fin du mois de septembre. L'organisation fait notamment valoir l'absence de tout lien avec l'incitation à la reprise d'activité, qui doit pourtant être au cœur du RUA.

Malgré ces quelques points chauds, le prochain congrès de l'USH devrait néanmoins se dérouler dans une ambiance très différente de celui de 2017 – intervenu juste après l'annonce de la réforme des APL – et dans un climat apaisé. Ce qui n'empêchera pas de voir resurgir les demandes sur le retour sans restriction de la TVA à 5,5%. Ni de voir reparaître les interrogations sur la clause de revoyure et sur le sort de la RLS à l'issue des trois ans...

 

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