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Aménagement numérique - Mission Champsaur : trois scénarios d'extinction du cuivre

Avec le déploiement du plan national France très haut débit, maintenir deux réseaux à vocation universelle, le premier sur fil de cuivre et le second sur fibre optique, serait sans doute risqué et hors de prix. Pour autant, le consensus n'étant pas réuni sur la manière de procéder à un éventuel effacement, la ministre de l'Economie numérique, Fleur Pellerin, avait chargé Paul Champsaur, ancien président de l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (Arcep), de clarifier les attendus de ce dossier hautement sensible. Celui-ci vient de remettre un rapport intermédiaire apportant de premiers éclaircissements mais encore bien éloignés de l'opérationnel.
La mise au point d'une stratégie d'extinction du cuivre ne sera pas une partie de plaisir. L'Etat, en première ligne sur le sujet, devra en effet résoudre la quadrature du cercle consistant à "satisfaire tout le monde sans léser personne"… En effet, mettre progressivement au rebut l'un des plus grands réseaux de France, propriété d'un unique opérateur, c'est aussi effacer un écosystème installé, qui produit de la valeur, qui est utilisé par la masse des concurrents grâce au dégroupage et qui a tissé au fil des années des liens de dépendance technologique avec une infinité d'entreprises, d'organisations et même d'usagers.

L'extinction en pratique... en Australie aussi

Mais, dans la balance, il y a aussi les 20 milliards d'euros que l'Etat, les collectivités et les opérateurs privés prévoient d'investir pour passer du cuivre à la fibre. L'enjeu étant d'apporter aux territoires des capacités de bande passante quasi illimitées. La réussite, encore fragile, du programme repose autant sur la mobilisation des opérateurs publics et privés que sur l'appétence des consommateurs à adopter ce nouveau réseau. Aussi le maintien (au-delà d'un certain seuil) d'un réseau cuivre concurrent va-t-il engendrer d'importants surcoûts d'exploitation - et risque, surtout, de rendre le décollage du très haut débit plus difficile, là ou le haut débit ADSL est performant, sans compter les difficultés de commercialisation que vont rencontrer certains départements plus isolés que d'autres.…
Ce même danger a par exemple conduit le gouvernement australien, porteur lui aussi d'un plan national, à réduire "autant que possible la durée pendant laquelle la nouvelle infrastructure est en concurrence avec le réseau de cuivre". La démarche adoptée est plutôt audacieuse étant donné qu'aujourd'hui, dès qu'une zone de 3.000 logements atteint un taux d'éligibilité de 90%, les abonnés des autres réseaux (fibre et câble) disposent de 18 mois pour choisir un opérateur de détail sur la nouvelle infrastructure. Dans ce schéma, la bascule est à la fois rapide, lorsque le seuil d'éligibilité est atteint, et aussi progressive, puisque l'obligation repose sur un déploiement national étalé sur plusieurs années.

Une vision plutôt pessimiste de la transition

D'une façon assez similaire, les collectivités territoriales françaises engagées dans un processus d'aménagement numérique attendent que l'Etat fixe "rapidement" les modalités de la transition du cuivre vers la fibre afin de donner la visibilité économique, nécessaire à l'ensemble de la filière.
"Pourquoi pas ?", est-on tenté de répondre. Pourtant, la lecture du rapport ne donne guère de signes encourageants : "l'extinction du réseau de cuivre est une opération dont il ne faut pas sous-estimer l'ampleur, la complexité et les impacts", expliquent d'emblée ses rédacteurs.
Suit un passage en revue méthodique des obstacles qui risquent de jalonner le parcours : les différences techniques comme l'absence de télé-alimentation des lignes optiques, qui vont faire obstacle à la migration des objets connectés (existants ou à déployer dans le futur) ; les dispositions préalables (formation des personnels impliqués dans les processus de conversion, industrialisation des procédures de commande et de livraison des accès) ; les répercussions financières de la migration (coûts supportés par les abonnés et par les entreprises) ; ou encore les conséquences juridiques de certaines décisions (quid notamment des réseaux câblés concurrents, comme ceux de Numéricable ?).

Mécanismes juridiques et modalités pratiques

Au-delà des obstacles visibles, le rapport se projette sur les mécanismes juridiques susceptibles de conduire à l'extinction. Les options sont nombreuses : faut-il laisser à l'opérateur historique le soin d'organiser la propre extinction de son réseau ou faut-il prendre des mesures financières défavorables au cuivre pour accélérer l'usage de la fibre (relèvement tarifaire du dégroupage, alourdissement de la fiscalité) ? Faut-il créer des co-entreprises de mutualisation qui rachèteraient le réseau de cuivre pour opérer son démantèlement ou encore fixer des échéances et des modalités de bascule par la voie législative ?
A côté de ce choix d'un mécanisme d'extinction, l'Etat devra en outre arbitrer sur des modalités pratiques de mise en œuvre de la transition : déterminer la bonne maille géographique, définir des marges de temps laissées aux acteurs pour opérer la bascule ou encore pour établir des limites d'usages (proscrire les abonnements sur le cuivre, migrer le stock des abonnements actifs sur le cuivre, modifier la réglementation sur les immeubles…).

Trois scénarios pour une extinction

Devant la complexité du processus, la mission estime encore prématuré d'analyser individuellement les arbitrages relatifs à l'extinction du cuivre. Elle préconise avant cette étape d'étudier en 2014 une série de scénarios choisis un peu arbitrairement à partir des auditions effectuées au cours de la première phase :
- Un scénario qu'on peut qualifier de "libéral", dans lequel les pouvoirs publics, tout en maintenant le dispositif actuel, n'interviendraient pas dans l'immédiat en faveur d'une extinction du réseau de cuivre.
- Un scénario plus incitatif s'appuyant principalement sur des actions d'encouragement à la migration des clientèles résidentielles et non résidentielles. "Dans un tel schéma, les difficultés soulevées par l’extinction du réseau de cuivre seraient identifiées et les pouvoirs publics veilleraient à ce que des solutions soient préparées", commente le rapporteur, plutôt séduit par cette voie médiane.
- Enfin, un scénario volontariste préconisant une fermeture nationale programmée du réseau de cuivre. Il reposerait sur l'élaboration d'un plan de clôture définissant "une échéance raisonnable d’extinction du réseau à l’échelle nationale ainsi qu’un cahier des charges à satisfaire à l’échelle locale". Plutôt préconisé par les collectivités territoriales, ce scénario ferait intervenir des opérations d’extinction, territoire par territoire, alignées sur des échéances de fin d'exploitation commerciale ou technique du cuivre.

Premières réactions au rapport...

Après la publication du rapport, plusieurs associations d'élus sont déjà "vent debout" par rapport au positionnement de la mission. Dans un courrier adressé à la ministre Fleur Pellerin sur les questions en suspens, Yves Rome, président de l'Avicca, ne mâche pas ses mots : "J’ai eu l'occasion de faire part de ma profonde déception (…) sur le rapport intermédiaire", indique-t-il. La petite phrase en introduction du rapport selon laquelle "pour l’instant, les utilisateurs préfèrent très majoritairement rester sur le haut débit par le cuivre plutôt que passer au très haut débit sur la fibre, même s’ils le peuvent techniquement et que le coût du passage est faible" a fait bondir le sénateur de l'Oise. "Cet avis est démenti par les faits. Quand Orange le décide, les trois quarts des abonnés migrent en moins d'un an (voir ci-contre)… Ce sont les opérateurs qui maîtrisent la vitesse de cette migration, en fonction de leurs intérêts…", rétorque-t-il.
De son côté, Gilles Quinquenel, président de la commission communication électronique de la FNCCR et président de Manche Numérique, dans un courrier adressé il y a une quinzaine de jours au président Champsaur, s'est lui aussi montré fortement irrité : "Certains passages du rapport laissent penser que le choix du scénario préconisé par la commission est déjà arrêté", regrette-t-il. D’où cette mise en garde pour la suite : "La migration cuivre fibre est pour nous essentielle et notre attention à ce sujet sera pleine et entière dans le cadre de la commission ou en dehors de cette instance."
Les positions des deux associations sont, semble-t-il, assez convergentes sur le fond. Elles ne cachent pas les difficultés posées par la migration cuivre-fibre, mais tiennent à rappeler le caractère éminemment politique du dossier… et laissent présager une pression croissante des élus qui attendent de l'Etat une position claire au moment où la commercialisation des réseaux est amorcée.

 

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