Olivier Lluansi livre au Meti un "mode d'emploi" pour produire et travailler en France
Dans un "mode d'emploi" pour "produire et travailler en France" réalisé pour le Mouvement des entreprises de taille intermédiaire (Meti) et avec les éclairages de l'institut d'études publiques Rexecode, Olivier Lluansi, professeur du Cnam et auteur de "Réindustrialiser, le défi d'une génération", avance quinze propositions. Certaines d'entre elles coûtent peu voire rien mais peuvent rapporter beaucoup, il s'agit notamment de celles ciblées sur les territoires, d'autres demandent une réforme plus en profondeur, concernant la décentralisation et la fiscalité.

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Généraliser la démarche "Rebond" lancée dans le cadre des Territoires d'industrie, sanctuariser 25.000 hectares de foncier industriel pour dix ans, généraliser le pouvoir de dérogation des préfets pour motif d'intérêt régional, créer un bouclier européen de réciprocité… Dans le cadre d'un "mode d'emploi" du "produire et travailler en France", commandé par le Mouvement des entreprises de taille intermédiaire (Meti) à Olivier Lluansi, professeur du Cnam et auteur de "Réindustrialiser, le défi d'une génération", avec les éclairages de l'institut d'études économiques Rexecode, quinze pistes sont proposées pour renouer avec la prospérité économique et sociale en activant le levier de la compétitivité. Publié le 18 juin 2025, le mode d'emploi qui constate l'amoncellement de signaux négatifs pour l'économie française (dette, déficits, croissance en rade, contexte international, menaces de guerre commerciale…) n'entend pas céder au défaitisme.
"Est-ce une fatalité ? Regardons autour de nous, propose le document, en quelques années seulement, le redressement des pays du sud de l'Europe, à commencer par le Portugal et l'Espagne, est d'autant plus spectaculaire qu'ils ne font pas partie des 'frugaux' qu'on aime à citer en exemple". Plutôt que de réutiliser les recettes d'hier qui n'ont semble-t-il pas fonctionné, Frédéric Coirier et Philippe d'Ornano, coprésidents du Meti estiment qu'une autre politique est possible, "à condition d'agir, en même temps, sur l'ensemble des leviers que nous avons à notre disposition".
Un fonds d'accélération des projets industriels territoriaux
Les quinze propositions sont organisées en trois blocs : celles qui ne coûtent rien (de plus) au budget de l'Etat, celles qui lui coûtent peu mais qui rapportent beaucoup, et les autres initiatives qui demandent une réforme des approches de l'Etat ou de l'Europe.
Dans le premier paquet, on trouve notamment l'idée de miser sur le potentiel inexploité des territoires. Depuis 1990, un quart des emplois industriels a été perdu en France. "Si on prend l'objectif de 600.000 à 650.000 emplois industriels supplémentaires nets sur dix ans, les deux tiers, soit 450.000, peuvent être générés via une démarche territoriale", souligne le rapport. Il préconise de généraliser la démarche "Rebond" lancée dans le cadre du programme Territoires d'industrie (voir notre article du 17 mars 2025) et de réactiver un fonds d'accélération des projets industriels territoriaux à hauteur de 900 millions d'euros par an dont 300 millions de l'Etat, 300 millions des régions, et 300 des fonds européens sous-consommés.
Autre idée, pour pallier le manque de foncier dans les zones d'activités économiques (93% seront saturées d'ici 2030) et la hausse du prix du foncier industriel (+75% en 4 ans), Olivier Lluansi propose de sanctuariser juridiquement 25.000 hectares de foncier industriel pour dix ans et de doter un fonds de réhabilitation des friches à hauteur de 500 millions d'euros par an, "à mobiliser comme un outil d'aménagement du territoire". Il préconise aussi d'accorder aux préfets un droit de dérogation à la loi ZAN pour les projets industriels pendant deux ans, jusqu'à la réactualisation des documents d'urbanisme et d'occupation des sols qui suivra l'adoption de la proposition de loi sénatoriale Trace.
Une culture de l'achat public de proximité pour favoriser le made in France/Europe
Côté normes, le rapport estime aussi qu'il faut généraliser le pouvoir de dérogation des préfets, mettre en place des conférences régionales de simplification et introduire un moratoire normatif pour reporter à deux ans, reconductibles, toute nouvelle norme hors motif d'ordre public. L'idée de développer une véritable culture de l'achat public de proximité, pour favoriser le Made in France/Europe et de mobiliser l'épargne des Français pour financer les projets industriels est également de mise.
Concernant les mesures qui coûtent peu mais qui peuvent rapporter beaucoup, la question de la compétitivité est abordée. Il s'agirait de réaligner la compétitivité fiscale française sur la moyenne européenne, via une loi de programmation pluriannuelle comprenant un calendrier précis de réduction des impôts de production et l'identification des aides publiques qui pourraient être transformées en baisse de la fiscalité de production. Le rapport estime aussi qu'il faut un allègement massif du coût du travail qualifié, "condition clé de la réindustrialisation" : en exonérant les heures supplémentaires par exemple, dans la limite de 7.500 euros par an, de toute cotisation sociale ou en plafonnant les cotisations au-delà de 4,5 Smic.
L'apprentissage, voie royale pour notre jeunesse
La question de l'apprentissage, considéré comme une "voie royale pour notre jeunesse pour l'accès à l'emploi pour la transmission des savoir-faire", les auteurs proposent de fixer un objectif national de 7% d'apprentis dans toutes les entreprises industrielles, avec un système de bonus-malus et de supprimer à partir de la catégorie ETI, le recours obligatoire aux Opco (opérateurs de compétences) afin de les inciter à créer leurs propres écoles et centres de formation en lien avec leurs besoins réels et ceux de leurs bassins d'emplois.
Le dernier paquet de mesures concerne celles qui demandent une réforme de fond. On y compte la création au niveau européen d'une nouvelle catégorie légale d'entreprises intermédiaires entre PME et grands groupes à l'image du modèle français des ETI et d'instaurer un test PME/ETI européen pour permettre aux acteurs économiques de contribuer à l'évaluation de l'impact des normes nouvelles. Autre idée : la création d'un code de l'industrie regroupant et simplifiant toutes les réglementations applicables directement aux entreprises industrielles.
Un choc de décentralisation et une nouvelle fiscalité économique locale
Enfin, Olivier Lluansi estime qu'il faut un "choc de décentralisation", les préfets devenant les "chefs d'orchestre de la politique économique de l'Etat dans les territoires" (autorisations d'ouverture/fermeture de sites, gestion des aides économiques, financements européens, décisions sur les plans sociaux-PSE) et les régions ayant la compétence exclusive en matière de formation et de soutien à l'apprentissage. Il lui semble indispensable de mettre en place "une nouvelle fiscalité économique locale pour la réindustrialisation des territoires", à travers la mise en place d'une contribution territoriale unique (CTU) basée sur les résultats des entreprises. Le manque à gagner pour les collectivités serait compensé par une "taxe Shein" sur le commerce en ligne, du nom de la plateforme chinoise.
Dernière mesure au niveau européen : une concurrence "à la loyale" et non "ouverte" via un bouclier européen de réciprocité, qui permettrait aux acteurs économiques de saisir la Commission européenne s'ils constatent le non-respect des obligations fiscales, sociales ou environnementales européennes dans des productions importées.