Plan de relance européen : l'équation se complique pour la France

Le plan de relance européen a déjà permis de financer de nombreux projets à travers la France, avec une dominante sur "la transition verte". Seulement la suite des versements est conditionnée au projet de loi de programmation sur les finances publiques qui revient à l'Assemblée le 27 septembre après un échec en première lecture. Mais c'est le remboursement du grand emprunt européen – censé financer ce plan – qui pose aujourd'hui problème, avec l'envolée des taux d'intérêt.

La Commission européenne a publié mardi 19 septembre son deuxième rapport sur l'exécution de la "Facilité pour la reprise et la résilience" (en anglais), la partie maîtresse du plan de relance européen de 800 millions d'euros Next Generation EU, mis en place pour faire face aux conséquences économiques de la crise sanitaire. Cette Facilité pour la reprise et la résilience (FRR) étant assortie de contreparties sous formes de réformes et investissements à accomplir dans chaque Etat membre (avec des "jalons" et des "cibles" à atteindre). "À ce jour, la Commission a reçu 34 demandes de paiement de la part de 21 États membres et a versé 153,4 milliards d'euros pour la réalisation des investissements et des réformes convenus", indique-t-elle dans un communiqué.

En gage de transparence, la Commission a demandé aux Etats de dévoiler la liste des 100 premiers bénéficiaires de ces fonds. Pour le moment, seuls 16 l'ont fait (ce qui n'est pas le cas de la France). Il en ressort que la majorité des 10 premiers bénéficiaires sont des entités publiques. Ils concentrent 12,7% des fonds versés à ces pays. Les paiements les plus importants concernent des projets d'infrastructure, de numérisation ou de mobilité, précise aussi le rapport qui ajoute que les bénéficiaires finaux ont le plus souvent reçu un soutien pour des besoins en éduction ou formation.

A noter que la France a vu sa dotation revue à la baisse en cours de route. Dotée initialement de 39,4 milliards d'euros elle a été ramenée à 37,4 millions d'euros, à cause d'une actualisation des clés de répartition et d'une croissance post-covid plus forte que prévue (voir notre article du 30 juin 2022). Toutefois, elle a obtenu une rallonge de 2,3 milliards au titre de RePowerEU (le plan prévu pour faire face aux conséquences économiques de la guerre russo-ukrainienne, visant à se soustraire de la dépendance au gaz russe) et 504 millions de la réserve d'ajustement au Brexit. Soit une enveloppe globale de près de 40,3 milliards d'euros (voir notre article du 28 juin 2023).

12,5 milliards d'euros versés pour la France

Sur cette somme, elle a déjà obtenu 12,5 milliards d'euros, soit 32%, après avoir répondu à 38 "jalons" et "cibles" sur les 175 que comporte le plan français de relance et de résilience (voir notre article du 23 juin 2021). Pour bénéficier des crédits de RepowerEU, la France s'est par exemple engagée à mettre en place la stratégie de planification écologique présentée au Conseil national de la refondation mardi (voir notre article du 20 septembre 2023). Les crédits de la FFR lui ont permis de verser quelque 337.000 aides à l'embauche pour les moins de 26 ans. Elle a soutenu la rénovation énergétique de 20.000 logements sociaux. "L'impact transformateur du plan français est le résultat d'une forte combinaison de réformes et d'investissements qui répondent aux défis spécifiques du pays", se réjouit la Commission qui tient à jour une cartographie des projets pour chaque pays. Comme prévu par le plan, les projets liés à la transition verte tiennent le haut du pavé avec quelques projets de décarbonation de sites industriels : Petit bateau à Troyes (917 millions d'euros), ArcelorMittal à Saint-Chély-d’Apcher (3,2 millions d'euros) ou Luzéal à Recy (1,6 million d'euros)… Et beaucoup de projets de "densification urbaine" dans les zones touchées par une pénurie de logements : Berck (454.100 euros), Cholet (905.060 euros), Chambéry (710.660 euros), Loctudy (471.200 euros), Saint-Malo (1,1 million d'euros)… La rénovation thermique des bâtiments est aussi aux premières loges avec, par exemple, une aide de 5 millions d'euros pour rénover une résidence administrative à Laval. La FRR a aussi permis de financer à hauteur de 3,8 milliards d'euros le programme de rénovation énergétique des universités et des bâtiments appartenant à l'Etat. Parmi les bénéficiaires : Gap, Metz, Périgueux ou Tulle... Angers, la ville du ministre de la Transition écologique Christophe Béchu, a également pu financer la restauration de son château (40 millions d'euros). Un chantier qui devrait s'achever à la fin de l'année.

La suite conditionnée au projet de loi de programmation des finances publiques

Mais la suite du programme est conditionnée au respect des engagements pris dans le plan français. "La Commission autorisera de nouveaux versements lorsque la France aura atteint de manière satisfaisante les jalons et les cibles définis dans le plan pour la reprise et la résilience, traduisant les progrès réalisés dans la mise en œuvre des investissements et des réformes", est récemment venue rappeler la représentation en France de la Commission. Et le 31 juillet, Paris a adressé une nouvelle demande de 10 milliards d'euros portant sur "16 jalons et 39 cibles", visant "à améliorer la performance énergétique des nouveaux bâtiments et à améliorer les services offerts par l'agence pour l'emploi afin d'accélérer le retour sur le marché du travail, notamment par le diagnostic individuel de la situation des demandeurs d'emploi, l'amélioration des offres de formation et des services aux entreprises". Seulement, comme l'a rappelé le Canard enchaîné, mercredi 20 septembre, Bruxelles demande aussi à la France une trajectoire sur ses finances publiques. Ce qui aurait dû être le cas du projet de loi de programmation des finances publiques 2023-2027, visant à ramener le déficit public sous les 3% de PIB en 2027. Le texte à nouveau inscrit à l'ordre du jour de l'Assemblée à partir du 27 septembre a eu un parcours tumultueux. Il a été rejeté par l'Assemblée (voir notre article du 26 octobre 2022) fin 2022. Pour tenter de convaincre les députés, l'ancien ministre des Comptes publics Gabriel Attal avait d'ailleurs brandi, lors des discussions, le risque d'un "retard" voire d'une "amputation" du versement des fonds du plan de relance européen. En vain. Le Sénat a ensuite voté le texte en le modifiant mais aucun accord n'a été trouvé en commission mixte paritaire. 

Un remboursement qui va coûter cher à la France

Un malheur n'arrivant jamais seul, le risque pointé par plusieurs personnalités politiques il y a trois ans (voir notre article du 16 novembre 2020) est en train de se concrétiser : le plan de relance européen risque de coûter bien plus cher à la France qu'il ne pourrait lui rapporter, même si elle venait bien à toucher les 40 milliards d'euros promis. Michel Barnier a tiré le signal d'alarme, dans les colonnes du Monde, le 11 juillet dernier. Pour rembourser le plan, un accord interinstitutionnel du 16 décembre 2020 avait prévu de recourir aux ressources propres. "La taxe carbone aux frontières de l’Union devait constituer l’essentiel de cet argent frais (…) Hélas ! ce prélèvement aux frontières a été finalement limité à quelques matières premières ; il ne rapportera que 4 milliards d’euros dans dix ans, c’est-à-dire à peu près rien", affirme l'ancien commissaire dans cette tribune cosignée par Jean-Michel Naulot ancien membre du collège de l'Autorité des marchés financiers. Pire, les annuités de remboursement des emprunts ont explosé avec l'envolée des taux d'intérêt à dix ans, passant de 0 à plus de 3,6% aujourd'hui. Or, plutôt que de tout emprunter quand les taux étaient favorables, la Commission a prévu un échéancier jusqu'en 2026. Autrement, il lui coûte beaucoup plus cher d'emprunter aujourd'hui.  

"Si la solution du remboursement de l’emprunt devait être trouvée du côté de la contribution des Etats membres au budget européen, c’est-à-dire en faisant appel aux contribuables, comme cela se murmure à Bruxelles, il faudra que la France mette son veto", affirment les deux auteurs de la tribune.

C'est en définitive le choix fait par Bruxelles qui compte se reverser 30% de la taxation des quotas carbone perçue par les Etats (via le système d’échange de quotas d’émission ou "Seqe"), à laquelle s'ajoute une part de 0,5% de l’excédent brut d’exploitation des entreprises, soit respectivement 19 et 16 milliards d'euros attendus. "A compter de l'an prochain, les ponctions européennes vont ainsi augmenter de 35 milliards, soit près de 3 milliards d'euros par an pour la France", estime le Canard enchaîné. Même si, en réalité, le Seqe va monter progressivement en charge et devrait plutôt rapporter 7 milliards d'euros l'an prochain d'après les calculs de la Commission présentés le 20 juin, avant d'atteindre les 19 milliards d'euros à partir de 2028. Ce scénario confirme cependant les craintes exprimées par la Cour des comptes européennes dans un récent rapport (voir notre article du 28 juillet).

 

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