Archives

Emploi - Plans sociaux : un licenciement peut en cacher un autre

Les plans sociaux annoncés masquent la montée en puissance des ruptures conventionnelles. Une procédure parfois détournée de son objectif d'origine et qui peut s'apparenter à un licenciement économique. Le phénomène commence à être connu : deux études, l'une du Centre d'études de l'emploi et l'autre du ministère du Travail, permettront bientôt d'en mesurer l'ampleur.

Une grande vague de licenciements en vue : le document préparé par la CGT en vue de la réunion du 29 mai avec le Premier ministre a produit son effet. 45.000 emplois seraient menacés par les plans sociaux. Des chiffres jugés dans la foulée "réalistes" et "crédibles" par les ministres du Travail et du Redressement productif, Michel Sapin et Arnaud Montebourg. Le syndicat fournit ainsi une liste d'une cinquantaine d'entreprises parmi lesquelles PSA, Renault, Fralib, Arcelor-Mittal… Mais pour la patronne du Medef, Laurence Parisot, l'idée d'une déferlante de plans sociaux est à prendre avec beaucoup de précaution. "Il n'y a pas à l'heure où je vous parle plus de plans sociaux qu'à la même époque l'année dernière", a-t-elle déclaré. De fait, le nombre de plans sociaux est orienté à la baisse depuis plus de deux ans et ce en dépit de la crise. D'ailleurs, nombre de ces plans étaient déjà annoncés et certains s'étalent sur plusieurs années. Certes, 2009 a vu une envolée des PSE (plans de sauvegarde de l'emploi, nom officiel des plans sociaux), parfois par opportunisme. Mais après ce pic, les PSE ont fortement baissé, passant de 1.185 à 953 entre 2010 et 2011, selon les données de la Dares (ministère du Travail). Et durant les deux premiers mois de l'année 2012, ils ont encore reculé de 18% par rapport à la même période l'an dernier. Pourtant, le nombre de chômeurs, lui, a bel et bien augmenté et dans toutes les catégories : +6,5% en un an. 

Chèque-valise

Aussi spectaculaires soient-ils et électoralement vendeurs (tous les candidats à l'élection présidentielle se sont pressés chez les Lejaby pendant la campagne), les plans sociaux ne peuvent donc pas expliquer à eux seuls les statistiques du chômage. Tout d'abord, les employeurs ont commencé par se séparer des contrats précaires. "Les licenciements économiques représentent très peu par rapport aux fins de CDD et de contrats d'intérim, malgré leur médiatisation. L'industrie ne compte que pour 12% de l'emploi, or toute la communication se fait dessus", explique Richard Duhautois, chercheur au Centre d'études de l'emploi (CEE).
Ainsi en avril, l'emploi intérimaire a encore connu un recul de 11,2% par rapport à l'an dernier, selon les derniers chiffres du Prisme, un organisme qui représente les professionnels de l'intérim. Les régions industrielles du Nord-Est touchées de plein fouet par la crise enregistrent des records : baisse de 17,6% en Franche-Comté, 16% en Alsace et en Champagne-Ardenne, 15,3% en Lorraine. Sur les quatre premiers mois de l'année, la baisse avoisine les 10% par rapport à la même période l'an dernier, toujours avec cette surreprésentation du quart Nord-Est…

Ruptures conventionnelles

Ce n'est pas tout. Logiquement, les PSE sont obligatoires pour les licenciements collectifs de plus de dix salariés sur une période de trente jours. Lourds à mettre en œuvre, coûteux et mauvais pour l'image de l'entreprise, la tentation est forte d'utiliser d'autres voies, "comme le plan de départs volontaires, qui le plus souvent est intégré à un PSE et s'apparente à un chèque-valise", commente Raphaël Dalmasso, spécialiste du droit du travail associé au CEE. C'est par exemple le choix fait par PSA qui entend supprimer 1.900 postes en France cette année après s'être déjà séparé de 800 intérimaires l'an dernier.
Mais depuis quatre ans, les entreprises ont de plus en plus recours aux ruptures conventionnelles collectives. Ce dispositif, créé par la loi de modernisation du marché du travail du 25 juin 2008 avec l'assentiment des partenaires sociaux, partait d'un bon sentiment. Il permet en effet à l'employeur et au salarié de rompre leur contrat à l'amiable, sans motif particulier. Le succès ne s'est pas fait attendre : 800.000 ruptures conventionnelles ont été validées par les directions du travail (Direccte) à ce jour et les chiffres sont en pleine expansion, surtout dans les entreprises de moins de 50 salariés. Entre 2010 et 2011, elles sont passées de 255.000 à 290.000, selon les données de la Dares. D'ailleurs, les ruptures conventionnelles comportent des avantages pour les salariés (versement de l'indemnité légale de licenciement, soit un cinquième de mois de salaire par année d'ancienneté ; droit au chômage, ce que ne permet pas une démission). Bon nombre d'entre eux sont venus gonfler les statistiques de Pôle emploi. Or ces ruptures conventionnelles sont parfois dévoyées par les employeurs qui les utilisent à la place des licenciements économiques individuels ou collectifs, comme l'a montré un arrêt de 2011 de la chambre sociale de la Cour de cassation contre le transporteur Norbert Dentressangle. "De nombreuses ruptures conventionnelles résultant d'une cause économique étaient intervenues dans un contexte de suppressions d'emplois dues à des difficultés économiques", avait constaté le juge. Ce qui avait privé les salariés des avantages liés à un PSE (contrat de sécurisation professionnelle) ou à une GPEC (gestion prévisionnelle des emplois et des compétences).

Effet "boomerang" du chômage partiel

Difficile pour autant de connaître l'ampleur du phénomène, d'autant que le contentieux en la matière est presque inexistant. Le CEE s'apprête à publier une enquête diligentée par la CFDT et menée auprès d'une centaine de salariés. De son côté, la Dares fournira dans les prochains mois des données statistiques précises sur l'utilisation des ruptures. "On a inventé un outil tout-terrain qui fonctionne extrêmement bien, sert à tout et permet de rompre un contrat de travail très facilement. Ce qui perturbe les autres modes de ruptures de contrat de travail, le droit du licenciement et le droit de la démission", analyse Raphaël Dalmusso qui a contribué à l'étude du CEE pilotée par l'inspectrice générale des affaires sociales, Dominique Méda.
Enfin, un autre phénomène pourrait expliquer les mauvais chiffres de l'emploi : l'effet "boomerang" du chômage partiel fortement encouragé ces dernières années. "Dans certains car, le recours au chômage partiel a retardé les ruptures de contrat de travail, mais tôt ou tard, ils y a des licenciements", avance Raphaël Dalmusso. Ces périodes de chômage partiel devaient être mises à contribution pour former les salariés et les préparer à une éventuelle reconversion, or pour l'heure aucune évaluation n'a été fournie.
Non seulement les plans sociaux ne sont donc qu'une partie du problème, mais les grands groupes bénéficient de surcroît du soutien de l'Etat à travers le Ciri (Comité de restructuration industrielle), compétent pour toutes les sociétés de plus de 400 emplois. Le "redressement productif" impose donc de s'intéresser à toutes les ruptures de contrats et pas seulement aux grandes entreprises. "Il va falloir s'organiser dans les régions et associer les collectivités et les partenaires sociaux", a promis Arnaud Montebourg dans une interview au quotidien Le Monde, daté du 31 mai. Après avoir été oubliées du sommet social de janvier, on verra si les ruptures conventionnelles seront à l'ordre du jour de la conférence sociale.
 

 

Voir aussi

Abonnez-vous à Localtis !

Recevez le détail de notre édition quotidienne ou notre synthèse hebdomadaire sur l’actualité des politiques publiques. Merci de confirmer votre abonnement dans le mail que vous recevrez suite à votre inscription.

Découvrir Localtis