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Finances locales - Pour les associations d'élus locaux, le pacte financier de l'exécutif n'est pas la panacée

Auditionnés ce 4 octobre par la commission des finances de l'Assemblée nationale, les présidents de l'Association des maires de France, de l'Assemblée des départements de France et de Régions de France ont critiqué les arbitrages du gouvernement concernant les finances locales. Ils ont notamment alerté sur le risque de recentralisation que, selon eux, fait courir la préparation par les préfets de contrats financiers avec les plus grandes collectivités. 

Le président de l'Association des maires de France (AMF), François Baroin s'est dit inquiet, mercredi 4 octobre, au sujet de la volonté du gouvernement de passer des contrats avec les 319 plus grandes collectivités territoriales et groupements pour maîtriser leurs dépenses.
"Si vous mettez autour de la table le préfet, plus la ville-centre et l'intercommunalité et si c'est le préfet qui fait un échenillage des dépenses, a priori, en opportunité, en disant : voilà comment vous allez atteindre vos objectifs [de limitation des dépenses] à 1,2%, alors c'est simple : c'est l'acte I de la mort de la décentralisation", a-t-il déclaré devant la commission des finances de l'Assemblée nationale. En matière de décentralisation, "on est à un moment central", a corroboré le vice-président de Régions de France, François Bonneau, qui participait lui aussi à cette audition sur la situation des finances locales. "Est-ce que pour arriver à une orientation de la dépense publique, on exerce une tutelle directe de l'Etat sur les collectivités locales, ou est-ce qu'on établit un véritable partenariat avec un dialogue au niveau général, comme au niveau particulier ?", s'est-il interrogé. Il a souligné que lorsque l'Etat a tenté de gérer les compétences de proximité, "on n'a pas bien répondu aux attentes", notamment celles des citoyens.

"120 bailleurs sociaux" menacés

De son côté, le président de l'Assemblée des départements de France (ADF), Dominique Bussereau, qui lui aussi était auditionné, a posé ses conditions pour la signature des contrats financiers avec l'Etat. Tant qu'on n'aura pas un début de réponse de l'Etat sur le financement des AIS [allocations individuelles de solidarité, à savoir l'APA, le RSA et la PCH] et de la politique en matière de mineurs non accompagnés, nous ne signerons pas les contrats", a-t-il souligné. En précisant qu'il s'agit de la position de "la totalité" des départements.
Alors que certains députés de la majorité LREM rappelaient la baisse unilatérale des dotations de 10,5 milliards d'euros sous le précédent quinquennat pour relativiser la baisse des dépenses de 13 milliards d'euros des dépenses locales voulues par l'exécutif, le président de l'AMF a affirmé que les maires et présidents d'intercommunalité contestent cet objectif. La confirmation par le gouvernement que la mesure sera calculée par rapport à la hausse tendancielle des dépenses du secteur public local rend la perspective "moins pire que ce que l'on pouvait imaginer", a reconnu M. Baroin. En ajoutant que "c'est [toutefois] un brouillard à couper au couteau". "On n'a absolument aucune base de référence […] Si vous prenez un critère par rapport à un autre, ça modifie tout", a-t-il expliqué. La députée socialiste Christine Pires Beaune lui demandant s'il juge "réaliste" le choix du gouvernement de prévoir un objectif de hausse des dépenses limité à 1,2 % pour toutes les catégories de collectivités territoriales", il a répondu que "l'on est au début de la discussion. On n'en sait rien. Tout dépend de l'évolution de l'inflation", a-t-il jugé, en rappelant que le projet de loi de finances évalue le taux d'inflation à "0,8%" en 2018.
La limitation des dépenses des collectivités territoriales risque de se traduire par "la poursuite du ralentissement de l'investissement local", a pointé le président de l'AMF. Le problème pourrait être aggravé avec la décision de l'Etat de baisser les aides personnalisées au logement (APL), a-t-il souligné. "Dans l'année qui vient, 120 bailleurs sociaux risquent de mettre la clé sous la porte", s'est-il alarmé. Et ceux-ci appelleront à l'aide les collectivités territoriales. "Les conséquences en chaîne peuvent être dramatiques si on ne met pas un pied sur le frein", a-t-il lancé en précisant qu'il évoquerait le sujet avec le Premier ministre, lors du déjeuner.

"Il faut régler la question du financement des allocations de solidarité"

Le président de l'ADF s'est montré préoccupé par l'évolution des dépenses sociales des départements. Notamment du fait de la non-reconduction de certains contrats aidés, "le RSA est en train de remonter depuis deux mois, alors qu'il avait baissé durant les six premiers mois de l'année 2017 et globalement en 2016", a-t-il constaté. Par ailleurs, la prise en charge de 25.000 mineurs non accompagnés (c'est-à-dire les mineurs isolés étrangers) coûtera en 2017 un milliard d'euros aux départements. Une facture à laquelle l'Etat rechigne de participer.
En 2016, 21 départements - contre 30 en 2015 – ont eu du mal à boucler leur budget. "Ces départements n'ont pas payé la totalité du RSA", a expliqué Dominique Bussereau. Ils n'ont pas payé à la MSA ou à la CAF la totalité de ce qu'ils devaient, ou ces organismes ont du faire une avance de financement. L'Etat compense les dépenses en matière de RSA à hauteur de 57%, a rappelé Dominique Bussereau. Ce qui a induit en 2016 pour les départements un reste à charge de 4,2 milliards d'euros. Cette année, le président de l'ADF est d'autant plus inquiet qu'à ce jour, le gouvernement ne semble pas réactiver le fonds de soutien aux départements en difficulté (de 200 millions d'euros en 2016). Pour sortir de l'impasse, "les présidents de département de toutes tendances politiques sont réunis pour préparer une plateforme de négociation avec l'Etat [sur le financement du RSA]", a indiqué celui qui fut ministre durant les quinquennats de Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy. L'ADF réfléchit donc à des propositions, toutefois en écartant la piste d'une recentralisation du financement du RSA. "La totalité des départements, à une ou deux exceptions près, ne souhaitent pas [cette option], a-t-il indiqué". Le RSA et l'APA relevant de la "solidarité nationale", il a proposé que les départements bénéficient d'une fraction du produit de la CSG.

Taxe d'habitation : une compensation intégrale… mais combien de temps ?

S'agissant de la suppression de la taxe d'habitation pour 80% des contribuables que l'exécutif veut conduire en trois ans, les élus locaux ont redouté que l'Etat ne compense intégralement la réforme – sous la forme d'un dégrèvement – que durant une courte période. "Méfiez-vous de Bercy", a lancé Dominique Bussereau, en faisant référence à son expérience de secrétaire d'Etat au Budget en 2004.
"Il va être difficile d'expliquer en 2020 qu'on a supprimé une injustice pour 80%, mais qu'on la fait perdurer pour les 20% restants", a lâché le président de l'AMF. Qui a plaidé pour l'engagement de la révision des valeurs locatives des 46 millions de locaux d'habitation.
François Baroin a aussi défendu la création dans le giron de la commission des lois de l'Assemblée nationale d'une instance qui serait le pendant de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation qui organise des débats et des travaux sur les grands enjeux du secteur public local.