Pour les promoteurs, le statut du bailleur privé passe de la réforme structurante à la "coquille vide"

Le statut du bailleur privé a viré, selon les promoteurs, en dispositif "totalement inopérant" dans la nuit du 30 novembre au 1er décembre après son passage au Sénat, dans le cadre du projet de loi de finances pour 2026. La filière s’accroche désormais à la commission mixte paritaire pour relancer l’investissement locatif et éviter un nouveau coup d’arrêt à la production de logements.

Les promoteurs sont en état de choc après le vote du statut du bailleur privé, survenu dans la nuit du 30 novembre au 1er décembre au Sénat. Alors que la profession attendait la concrétisation d'une réforme jugée vitale pour relancer l'investissement locatif, les sous-amendements au projet de loi de finances pour 2026 déposés par le gouvernement ont transformé ce qui devait être une solution à la crise en un "dispositif totalement inopérant" d’après Pascal Boulanger, président de la Fédération des promoteurs immobiliers (FPI).

Si l'objectif était de revenir à une version proche du rapport Daubresse/Cosson grâce au Sénat après que l'Assemblée nationale a adopté un texte jugé insuffisant, c’est une tout autre issue qui s’est dessinée. Le gouvernement, par l'intermédiaire de la ministre des Comptes publics, Amélie de Montchalin, est parvenu à convaincre une partie de la majorité sénatoriale (droite et centristes) de réduire la portée de la mesure… et donc son coût pour les finances publiques.

La manœuvre a été perçue comme un véritable "sabotage méthodique" par les acteurs du secteur. Selon Pascal Boulanger, les sous-amendements ont été déposés subrepticement quelques minutes avant leur examen, privant les sénateurs d’une analyse préalable de leur incidence. "Ce qui s’est passé dimanche soir est un déni de réalité. On vient d’inventer un statut qui n’existe pas et qui n’existera jamais, s’est indigné le président de la FPI. Le sujet n’est pas de savoir si les promoteurs mettront la clé sous la porte ; le vrai sujet, c’est que les habitants ne pourront pas ouvrir la porte de leur futur logement… puisqu’il ne sera pas construit. Cela va au-delà de nos pires cauchemars !"

Une "pilule empoisonnée" 

L'adoption par le Sénat de la proposition gouvernementale a laissé les professionnels "stupéfaits". Les modifications apportées vident le statut de sa substance, le rendant, selon la FPI, "pire que s’il n’y avait rien, avec des loyers plafonnés, un amortissement beaucoup trop faible et une non-imputabilité des déficits sur les autres revenus".

Le dispositif initial, bien plus puissant, proposait un avantage fiscal de 12.000 euros. La version adoptée, elle, introduit une multitude de contraintes techniques qui anéantiraient la rentabilité pour l'investisseur : le taux d'amortissement passe de 5% (prévu par le rapport Daubresse/Cosson) à 3,5% pour un logement neuf intermédiaire (4,5% pour un logement social et 5,5% pour un logement très social) sur 80% de la valeur du bien. Par ailleurs, la FPI regrette que les logements soient ouverts uniquement aux concitoyens sous plafonds de ressources (type Locavantage), transformant le statut en une "usine à gaz où les loyers sont définis par commune via un arrêté de 430 pages". Enfin, l'amortissement est plafonné à 8.000 euros. Mais pour les professionnels, la mesure jugée la plus délétère reste la suppression de la faculté d'imputation du déficit foncier sur le revenu global, rendant l’investissement non rentable.

L’effet incitatif annulé

Si l'amortissement et les intérêts d'emprunt (qui peuvent atteindre 8.000 euros les premières années pour un bien de 240.000 euros) sont supérieurs au revenu foncier (environ 10.000 euros par an), l'investisseur génère un déficit foncier. Normalement, ce déficit peut être déduit du revenu global jusqu'à 10.700 euros. Le statut voté empêche cette déduction, conduisant à la perte pure et simple des montants excédentaires. "Avec le statut tel qu'il est voté, et pour un bien de 240.000 euros, l'effort serait d'au moins 700 euros par mois. Ce qui, j’insiste fortement, rend le statut totalement inopérant", martèle Pascal Boulanger. En moyenne, calcule le président de la FPI, la rentabilité pour un investisseur qui prendrait le statut serait de 1,6%, contre 1,8% s'il ne le prenait pas.

La ministre Amélie de Montchalin a justifié ces restrictions en avançant que le dispositif parlementaire initial aurait coûté 4,7 milliards d'euros, tandis que la version gouvernementale ne coûterait que 1,2 milliard d'euros d'ici 2028 pour le seul logement neuf. Cependant, ces "chiffres pour le moins critiquables" sont fermement contestés par la FPI, qui rappelle que la production manquera de 55.000 logements par rapport aux 60.000 à 65.000 qui auraient été construits avec un bon dispositif.

La CMP, dernier espoir de la FPI

Le projet de budget n’a pas encore achevé son examen. L'ultime recours se joue désormais à la commission mixte paritaire (CMP), qui devrait se tenir entre le 15 et le 17 décembre. La profession en appelle au "ressaisissement des parlementaires et du gouvernement". La CMP, composée de sept députés et sénateurs, est la dernière chance selon eux de "rétablir le statut du bailleur privé tel qu’il a été conçu initialement". Le président Pascal Boulanger, dénonçant l'attitude du ministère du Logement qu’il estime avoir été "cornerisé" dans ce processus, a livré une mise en garde historique : "Si vous me permettez un peu d'histoire, en ce 2 décembre, jour de victoire de Napoléon à Austerlitz, je vous prédis que la prochaine bataille s'appellera Waterloo." Si la CMP valide le texte en l'état, la profession estime qu'il faudra s'attendre à une aggravation de la crise du logement.

 

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