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Projet de loi Climat et Résilience : le débat s’engage au Sénat

En ouverture des débats en séance au Sénat sur le projet de loi Climat et Résilience, ce 14 juin, la ministre de la Transition écologique, Barbara Pompili, a appelé à "dépasser les obstacles et avancer ensemble" pour ce qui constitue une "nouvelle pierre d’une République écologique", alors que l'appréciation du texte reste mitigée pour la majorité sénatoriale de droite et du centre comme pour la gauche. 

Après le passage du projet de loi Climat et Résilience à l’Assemblée nationale, l’examen du texte a débuté au Sénat, en séance publique, ce 14 juin, et devrait se poursuivre pendant deux semaines au cours desquelles seront balayés les quelques 2.200 amendements déposés. La ministre de la Transition écologique, Barbara Pompili, a passé le témoin aux sénateurs pour "enclencher, plus vite, partout, la transformation écologique dont notre pays a tant besoin" et "continuer et amplifier le travail entamé par les 150 citoyennes et citoyens" à l’origine de plusieurs dispositions. Un texte jugé "perfectible" par la majorité sénatoriale qui l’a largement retouché en commission en adoptant près de 700 amendements (lire nos articles des 7 et 8 juin 2021). À la différence du choix opéré à l'Assemblée de créer une commission spéciale, le Sénat a préféré s'appuyer sur l'expertise des commissions permanentes. En ouverture de la discussion générale, les rapporteurs pour la commission de l’Aménagement du territoire et du développement durable - Marta de Cidrac (LR), Pascal Martin(UC) et Philippe Tabarot (LR) - puis la présidente de la commission des affaires économiques, Sophie Primas (LR), et enfin les rapporteurs de trois autres commissions saisies pour avis (Culture, Finances et Lois) ont tour à tour pris la parole pour se targuer des apports au texte issus de leur travail collectif visant tout à la fois à en "rehausser" l’ambition environnementale et à l’ancrer davantage dans "les réalités sociales, économiques et territoriales".

Signaux contradictoires

Le Sénat a fait preuve de "bonne volonté" au stade de la commission en résistant à un détricotage de la totalité des articles, concède-t-on du côté du ministère, tout en déplorant les "signaux contradictoires" envoyés par la chambre haute. Alors que chaque année 40.000 personnes meurent en France du fait de la pollution de l’air, principalement liée à la circulation automobile, la ministre a en particulier regretté le recul de la commission sur le calendrier de déploiement de zones à faibles émissions (ZFE). C’est loin d’être le seul grief…Sur la rénovation des passoires thermiques, le Sénat a repoussé de six ans l’échéance qui concerne la classe E, qui représente 2,6 millions de logements, renoncé à pérenniser l’expérimentation du menu végétarien hebdomadaire prévu par la loi Egalim "alors que l’évaluation de cette mesure est positive" ou encore supprimé le terme "d’écocide", le réservant au droit international. Autant de "mesures structurantes" sur lesquelles l’exécutif entend bien revenir à la rédaction de l’Assemblée nationale.
Il s’est cependant refusé à demander "frontalement" une réécriture sur tous les sujets clivants choisissant pour certains d’entre eux de renvoyer la discussion à la commission mixte paritaire (CMP) qui devrait se tenir "courant juillet". C’est le cas pour la suppression de lignes aériennes intérieures, la définition de la "rénovation énergétique performante", la déclinaison à l’échelon régional de l’objectif de réduction du rythme d’artificialisation ou l’écotaxe régionale pour les poids lourds.

La ligne rouge du gouvernement

Sur la soixantaine d’amendements déposés par le gouvernement, bon nombre sont d’ordre rédactionnel ou légistique. Une petite vingtaine qualifiés de "principiels" font en revanche office de "ligne rouge" pour l’exécutif qui souhaite rétablir sa version. On y relève au premier chef l’échéance de mise en place des ZFE en ville (retardée de cinq ans en commission au Sénat), mais également, toujours sur le volet "Se déplacer", la trajectoire de verdissement des flottes de véhicules, pour l’État et les collectivités, ou encore au sein du titre Ier "Consommer", l’interdiction des avions publicitaires que le gouvernement propose d’ailleurs d’élargir aux "bateaux publicitaires". Même ambition de rétablir l’expérimentation du dispositif "oui pub" dans les collectivités volontaires, la date d’interdiction des terrasses chauffées (repoussée d’un an en commission) et les accompagnateurs de la rénovation énergétique.
Au sein du titre V "Se nourrir", le Sénat est invité à revoir sa copie sur la taxation des engrais azotés (remplacé par un plan Eco’Azot sur le modèle du dispositif Écophyto) et le menu végétarien dans les cantines, dont il a simplement prolongé de deux ans l’expérimentation. L’introduction d’un dispositif inspiré de la loi "Labbé" interdisant aux personnes publiques d'’utiliser des engrais de synthèse pour l’entretien des espaces relevant de leur domaine public ou privé, au plus tard en 2024, bénéficie en revanche d’une certaine "bienveillance" du gouvernement. Le délit d’écocide fera sans aucun doute partie des points durs pour trouver un accord sur le texte. Enfin, le gouvernement souhaite revenir sur le titre VII relatif à l'évaluation climatique, dont le Sénat a "vidé de sa substance" tout ce qui concerne la mobilisation des collectivités à travers des feuilles de route pour les secteurs fortement émetteurs de gaz à effet de serre. 

Amendement transpartisan

Faute de convaincre le gouvernement, toute une série de mesures "vertes" introduites en commission par les sénateurs sont également remises en cause, notamment la baisse de la TVA sur les billets de train (une proposition de la Convention citoyenne pour le climat), l’interdiction à partir de 2028 de la publicité pour les véhicules les plus polluants - "qui aura peu d’impact", selon le ministère - ou l’accompagnement par un éco-prêt à taux zéro de l'achat de véhicules propres par les ménages modestes, "source de complexité".
Du côté des ONG, si Greenpeace-France relève "quelques sujets améliorés", "l’écrasante majorité" du texte reste, selon elle, "loin de l’ambition nécessaire pour répondre à l’urgence climatique". Pour le WWF, les quelques "bonnes surprises" sur la publicité sont ternies pas le "détricotage" de mesures de recul comme sur les menus végétariens à la cantine.
Les écologistes espèrent pourtant faire bouger les lignes au Sénat. "Nous avons quinze jours pour changer ce projet de loi en profondeur et montrer au monde que la France est aujourd'hui l'un des pays moteurs de l'Accord de Paris", a tenté de mobiliser les troupes, Ronan Dantec. Premier signe encourageant, le Sénat a voté par 341 voix pour et seulement deux abstentions, un amendement transpartisan (écologistes, UC, CRCE, RDSE, LR et socialistes) visant à créer un article préliminaire au projet de loi (article 1er AA nouveau), par lequel "la France s'engage à atteindre les objectifs de l'Accord de Paris et du Pacte vert pour l’Europe". Dans l’accord trouvé en avril, l’objectif est une réduction nette d'"au moins 55%" des émissions de gaz à effet de serre de l'UE d'ici 2030, par rapport au niveau de 1990. Reste encore à fixer des objectifs nationaux pour chaque État membre de l’UE. La ministre s’en est remise à la "sagesse" du Sénat, jugeant la disposition "tautologique d’ordre symbolique". Piquée au vif, elle s’est dite persuadée que les sénateurs "se souviendront de cette ambition au moment de discuter les amendements qui tendront à la réduire". 

Objectif d’une CMP en juillet

"Pas d’a priori négatif ou positif" du ministère à ce stade sur l’issue de la CMP, tout va donc dépendre des amendements adoptés en séance. Une seule certitude : le compromis ne doit pas se faire "au détriment de la qualité du texte", autrement dit de son "ambition". "Puisse l'intelligence collective aboutir à une CMP positive !", s’est exclamée en séance Sophie Primas. "On n’en est pas encore là", l’a aussitôt rappelé à la prudence le président de séance Roger Karoutchi (LR). Si c’était le cas, l’approbation du texte par les deux assemblées pourrait se faire rapidement pendant la session extraordinaire de juillet. Dans le cas contraire, "aucun calendrier n’est fixé" par l’exécutif pour la nouvelle lecture.
De quoi alimenter les craintes pour Greenpeace : "cette accélération du calendrier démontre la fébrilité du gouvernement qui préfère terminer la séquence de la loi climat, une loi soi-disant phare du quinquennat, en plein été pour éviter au maximum les débats qui pourraient pousser la France à être plus ambitieuse".
D’ici là le verdict attendu dans le cadre du recours de la ville de Grande-Synthe devant le Conseil d’État pour inaction climatique pourrait rebattre les cartes. Lors de l’audience, le 11 juin dernier, le rapporteur public a proposé d’enjoindre à l’État, de prendre "toutes mesures utiles", dans le délai de neuf mois, permettant d’infléchir la courbe des émissions de gaz à effet de serre produites sur le territoire national, afin d’assurer sa compatibilité avec les objectifs fixés à horizon 2030.

 

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