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Projet de loi Elan : un nouvel arsenal pour reconquérir les centres-villes

Création de l'opération de revitalisation de territoire (ORT), retour des chambres consulaires dans les commissions d'aménagement commercial, possibilité donnée aux préfets de suspendre les autorisations commerciales en périphérie, renforcement des Scot en matière commerciale, création de "tests séquentiels"... le volet "revitalisation des centres-villes" du projet de loi Elan définitivement adopté le 16 octobre constitue incontestablement un tournant après des décennies de laisser-faire.

Après des décennies de laisser-faire en matière commerciale, une nouvelle page va-t-elle se tourner à la faveur du projet de loi Elan (évolution du logement, de l'aménagement et du numérique) ? Le dispositif sur la revitalisation des centres-villes du texte, définitivement adopté par le Sénat mardi 16 octobre, va en tout cas à contrecourant des nombreuses réformes adoptées depuis la directive Bolkestein de 2006, notamment la loi LME (modernisation de l’économie) de 2008. Il a d’ailleurs été fortement enrichi lors des cinq mois de débat parlementaire. Et ce, à l’initiative des sénateurs Rémy Pointereau (LR, Cher) et Martial Bourquin (PS, Doubs), auteurs d’une proposition de loi adoptée par le Sénat le 14 juin, et souvent avec le soutien de l’ancien ministre de la Cohésion des territoires Jacques Mézard. A l’origine composé d’un seul article (54), il en comprend à présent 17 (articles 157 à 174). "Ces avancées considérables montrent qu'une reconquête des centres-villes et centres-bourgs est possible sous le signe de la confiance dans les élus locaux", s’est félicité ainsi Rémy Pointereau, le 16 octobre, lors de la discussion finale. "Cela ne signifie pas que le combat s'arrête là, nous le continuerons." Alors qu’en est-il dans le détail ?

L'opération de revitalisation de territoire

Ce volet de revitalisation des centres-villes (lui-même accolé à un titre plus large sur l’amélioration du cadre de vie) vise à donner aux élus de nouveaux moyens pour redynamiser leurs centres, au-delà du plan Action coeur de ville qui se limite, lui, à 222 villes moyennes. Le principal outil créé par la loi est l’opération de revitalisation de territoire (ORT). Celle-ci constituera le pivot des conventions Actions cœur de ville qui devraient être toutes signées à la fin du mois. Mais, demain, toute commune ou intercommunalité pourra demander à contracter une ORT avec l’État.
Présentée par le gouvernement comme un "contrat intégrateur unique", l’ORT est destinée à prendre en compte l’ensemble des enjeux de revitalisation de centre-ville : modernisation du parc de logements et de locaux commerciaux, lutte contre la vacance et l’habitat indigne, réhabilitation de l’immobilier de loisir et de friches urbaines, valorisation du patrimoine bâti… Le tout "dans une perspective de mixité sociale, d’innovation et de développement durable". Elle figure désormais à l’article 157 du texte (et non plus 54).
Les ORT font l’objet d’une convention signée entre l’État, ses établissements publics (Caisse des Dépôts, Anah, Anru…) et un établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre et tout ou partie de ses communes membres. Elles sont ouvertes à tous les financeurs potentiels. Le document précise le projet économique, urbain et social, son périmètre, le calendrier et le plan de financement. Le périmètre de l’ORT comprend obligatoirement le centre-ville de la commune concernée. Mais il "peut également inclure un ou plusieurs centres-villes d’autres communes membres de cet établissement".
Là où préexistait une Orqad (opération de requalification des quartiers anciens dégradé), celle-ci pourra être transformée en ORT, par avenant.
L’ORT fera l’objet d’un bilan annuel et d’une évaluation tous les cinq ans.

Agir sur deux fronts à la fois

La logique du texte est d’agir sur deux fronts : restreindre les extensions de surfaces commerciales en périphérie des villes – avec la possibilité pour le préfet de suspendre les autorisations – et, dans le même temps, faciliter les implantations en centre-ville. Dans une ORT, les projets commerciaux ne sont pas soumis à autorisation d’exploitation commerciale. Toutefois, la convention ORT peut prévoir une telle autorisation pour les projets de plus de 5.000 m2 ou 2.500 m2 pour le commerce alimentaire (soit la surface du premier hypermarché Carrefour inauguré à Sainte-Genevière-des-Bois en 1963 !). À travers cette mesure, le gouvernement (inspiré par le Conseil national des centres commerciaux et le rapport Marcon remis en décembre 2017) entendait attirer des "locomotives" en centre-ville.

Mais en parallèle, les constructions en périphérie seront contenues. L’idée d’un moratoire sur les grandes surfaces avait fait couler beaucoup d’encre. On en retrouve l’idée, dans des termes suffisamment habiles pour ne pas enfreindre le sacro-saint principe de la liberté d’installation. Ainsi le préfet pourra-t-il suspendre les demandes d’autorisation commerciale, "après avis ou à la demande" de l’intercommunalité ou des communes signataires de l’ORT, s’il le juge nécessaire au regard de la situation locale (chômage, vacance commerciale, etc.) et ce, pendant une durée de trois ans (avec une prorogation possible d’un an). Cette possibilité est étendue au territoire de communes membres de l’EPCI mais non signataires de l’ORT, si le projet est "de nature à compromettre gravement les objectifs" de l’ORT. Enfin, si le projet est situé dans un département limitrophe, la décision revient aux deux préfets.
En apparence, les deux sénateurs se montraient plus volontaristes. Dans leur schéma, le préfet aurait été "tenu" de répondre à la demande des élus. Seulement, il arrive que les préfets fassent de la pédagogie auprès d’élus peu regardants vis-à-vis des implantations commerciales. Le problème est aussi vieux que la loi Royer de 1973. En Moselle, la préfecture et la CCI ont ainsi mis en place le premier observatoire des centres-villes et de l’aménagement commercial, en 2017, pour pouvoir éclairer les maires dans leurs choix… Ils pourront désormais aussi jouer les "pères fouettards".

Tests séquentiels

Ce retour de la régulation se traduit aussi dans les fameuses CDAC (commissions départementales d’aménagement commercial) souvent décriées pour leur manque d’efficacité ("machines à dire oui", tancent certains). Le texte indroduit l'idée de "tests séquentiels" : le porteur de projet commercial devra produire à la commission une "analyse d'impact" réalisée par un organisme indépendant, évaluant les effets du projet sur l'animation et le développement économique du centre-ville et sur les communes voisines. Il devra en outre prouver qu'aucune friche existante en centre-ville ne permet l'accueil du projet. L'objectif de cette mesure pratiquée en Grande-Bretagne est de prouver qu'un projet en périphérie n'aurait pas pu être réalisé dans le centre. 
Ecartées des CDAC en 2008, les chambres consulaires vont les réintégrer. Les CDAC comprennent désormais un représentant de la chambre de commerce et d’industrie (CCI), de la chambre de métiers et de l’artisanat (CMA) et de la chambre d’agriculture. Sans prendre part au vote, ces personnalités donneront leur avis sur la situation du tissu économique dans la zone de chalandise, l’impact du projet sur ce tissu économique et sur la consommation de terres agricoles... La CDAC devra aussi auditionner "la personne chargée d’animer le commerce de centre-ville", "l’agence du commerce" et "les associations de commerçants". Elle devra enfin informer tous les maires des communes limitrophes dès qu’une demande d’autorisation sera déposée. À la demande des préfets, les chambres consulaires pourront conduire "des études spécifiques d’organisation du tissu économique, commercial et artisanal ou de consommation des terres agricoles".
Quand des agents municipaux constateront des installations illicites (surfaces de vente ou points de retrait), le préfet devra mettre l'exploitant en demeure de fermer le site ou de ramener sa surface à l'autorisation accordée (ce qui était jusqu'ici une possibilité devient une obligation).
Pour Pascal Madry, directeur de l’Institut pour la ville et le commerce, "c’est bien un retour des critères économiques, un mouvement contraire au sens de l’histoire…" À savoir, la dérégulation promue par l'Union européenne.

Les Scot renforcés

À l’initiative du Sénat, le texte renforce par ailleurs le poids des Scot (schémas de cohérence territoriale), en rendant obligatoire et opposable le document d’aménagement artisanal et commercial (Daac). Instauré par la loi ACTPE du 18 juin 2014, le Daac était jusqu’ici facultatif au sein du Scot. Ce Daac détermine les conditions d’implantation des équipements commerciaux. Il prévoit aussi les conditions permettant le développement et le maintien du commerce de proximité ou de la logistique commerciale de proximité dans les centralités urbaines afin de limiter leur développement en périphérie. "À condition que les Scot réfléchissent bien et qu’ils fassent les bons diagnostics, on leur donne une nouvelle capacité d’agir pour les territoires", analyse Pascal Madry.
Par ailleurs, les autorités compétentes en matière d’urbanisme s’engagent ainsi, dans la convention ORT, à "procéder aux modifications des documents d’urbanisme, approuvés ou en cours d’approbation, nécessaires à la mise en œuvre des plans, projets ou actions prévus".
L’ORT pourra donner lieu à un droit de préemption urbain renforcé et à l’instauration du droit de préemption sur les fonds artisanaux, les fonds de commerce, les baux commerciaux et les terrains.

Permis d’aménager unique

Le texte facilite les possibilités d’intervention sur des ensembles commerciaux dispersés. Ainsi, à titre expérimental et pour cinq ans, les opérations de l’ORT pourront donner lieu à "un permis d’aménager portant sur des unités foncières non contiguës lorsque l’opération d’aménagement garantit l’unité architecturale et paysagère des sites concernés". En clair, il s’agit de donner à un organisme tel qu’Epareca la capacité d’intervenir sur des linéaires ou des grappes de boutiques, sur la base d’un seul permis de construire.
Enfin, le texte s’attèle à remettre sur le marché les hauts d'immeuble inhabités en centre-ville. Le but est d’éviter de bloquer des logements disponibles situés au-dessus des boutiques que les propriétaires ne prennent pas la peine de louer, se contentant du bail commercial. Ainsi seront interdits "les travaux qui conduisent, dans un même immeuble, à la condamnation de l’accès indépendant aux locaux ayant une destination distincte de l’activité commerciale ou artisanale".

Services publics

Dépourvu à l’origine d’obligation de maintien de services publics, le texte comporte désormais une disposition sur le sujet, qui reste cependant assez maigre. Tout juste est-il prévu qu’en cas de projet de fermeture d’un service, l’opérateur "communique au maire de la commune et au président de l’établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre dont est membre la commune toutes les informations justifiant cette fermeture ou ce déplacement, au moins six mois avant la date prévue pour sa réalisation" . Il indique également "les mesures envisagées pour permettre localement le maintien de ce service sous une autre forme" .
Malgré ces imperfections, Pascal Madry en est convaincu : "Les aménagistes n’ont jamais gagné autant de terrain sur Bercy." "C’est du jamais vu." Souhaitons au projet de loi Elan un autre sort que celui de la loi Royer. Une "loi cadenas" qui avait abouti aux effets inverses de ceux recherchés.

 

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