Protection de l'enfance : le décret interdisant les placements à l’hôtel n’est toujours pas publié

Dix parlementaires ont dénoncé, dans un courrier à Catherine Vautrin, un projet de décret qui pérenniserait ce mode de placement des enfants de l’aide sociale à l’enfance, au lieu de l’interdire conformément à la loi Taquet de février 2022. Départements de France alerte une nouvelle fois : dans le contexte actuel de saturation du dispositif, "c’est l’hôtel ou la rue !"

Au 1er février 2024, l’interdiction d’accueillir des jeunes de l’aide sociale à l’enfance (ASE) à l’hôtel a théoriquement pris effet. Mais le décret relatif à cette disposition de la loi sur la protection de l’enfance de février 2022 (loi Taquet) n’a toujours pas été publié au Journal officiel. "Le Premier ministre a signé ce décret", a pourtant assuré Catherine Vautrin, ministre du Travail, de la Santé et des Solidarités, le 7 février 2024 à l’Assemblée nationale, réaffirmant l’importance de cette mesure d’interdiction des placements de mineurs dans des établissements commerciaux.

"Des structures qui ne sont absolument pas adaptées"

Face à ce "flou juridique", les professionnels de la protection de l’enfance clament leur désarroi, la Cnape déplorant les "drames impliquant des enfants". Le 25 janvier, une adolescente qui était placée dans un hôtel social à Clermont-Ferrand s’est suicidée dans la chambre dans laquelle elle vivait. "Malheureusement ces affaires sont récurrentes et nous alertons à chaque fois (…) Jusqu’à quand cela va-t-il durer ? Jusqu’à quand allons-nous accepter d’abandonner des enfants dans des structures qui ne sont absolument pas adaptées ?", a interpelé Lyes Louffok, militant des droits de l'enfant. Une enquête de l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) dénombrait en 2020 8.500 à 10.500 enfants placés dans des hôtels, indique Lyes Louffok. Depuis, "la situation s’est considérablement dégradée", rendant nécessaire une nouvelle saisine de l’Igas, ajoute-t-il.

Dans un courrier adressé début février à Catherine Vautrin, dix députés de gauche (LFI, Socialistes, GDR, Ecologistes) font état d’un projet de décret susceptible de "pérenniser ce mode de placement" au lieu de l’interdire, en autorisant l’habilitation d’un hôtelier par le département. "Si le préfet a jusqu’à 13 mois pour refuser cette habilitation, l’hôtel peut toujours héberger des enfants en attendant la décision", rapportent les parlementaires. Ces derniers pointent "l’absence quasi-systématique d’encadrants formés dans les hôtels [qui] renforce l’isolement des enfants hébergés et les expose à toutes sortes de risques (trafic de drogue, la prostitution, violences, etc.)".

L’hôtel, un "dernier recours" dont il est impossible actuellement de se passer

"Je ne peux pas laisser se diffuser cette petite musique insupportable selon laquelle les départements se désintéressent du sort des mineurs dont ils ont la charge. Les départements avaient, dès 2022, pris la mesure de cette loi. Ils avaient pour certains réussi à ne plus recourir au placement en hôtel", a réagi François Sauvadet, président de Départements de France, dans un communiqué du 14 février. Mais "comment auraient-ils pu prévoir la hausse exponentielle du nombre des placements en ASE due en partie à l’arrivée de MNA ?", poursuit-il. "Les présidents de départements sont responsables pénalement en matière d’aide à l’enfance. Les inspecteurs ASE qui les représentent ne recourent au placement en hôtel que lorsqu’ils n’ont pas le choix", martèle-t-il encore. Ce "dernier recours" est en général utilisé "soit pour des mineurs autonomes, soit pour des enfants dont les problèmes psychiatriques rendent incompatibles les placements en structure ou en famille. Ces derniers nécessitent des soins spécifiques, et parfois des éducateurs dédiés dont le coût peut atteindre 900 euros par jour en lieu et place du secteur médico-social", détaille DF. Un coût exorbitant dont les départements se passeraient s’ils le pouvaient.

Pour Départements de France, dans le contexte de saturation actuelle du dispositif de protection de l’enfance, "c’est l’hôtel ou la rue !". Si la mesure est qualifiée de "bonne intention", l’interdiction du placement à l’hôtel fait courir en réalité le risque de "conséquences dramatiques pour les mineurs de l’ASE", d’après l’association d’élus. DF demande donc une révision de la loi Taquet, qui offre en l’état "une disposition dérogatoire permettant une prise en charge en hôtel social pour une période maximale de deux mois, en cas d’urgence", au risque d’entraîner un "turnover" des jeunes placés dans les structures de l’ASE. L’association conclut : "Mais s’il n’y a pas de place, que se passera-t-il ? Les départements se trouveront, en toute bonne foi, en situation d’illégalité".