Quelles solutions à la pénurie des secrétaires de mairie ?

La fonction de secrétaire de mairie n'attire plus assez de candidats, avec des conséquences "inquiétantes" : là où les postes sont vacants, les maires se trouvent dépourvus de leur bras droit. Un colloque coorganisé par le Syndicat national des directeurs généraux des collectivités territoriales (SNDGCT) et l'Association des directeurs généraux des communautés de France (ADGCF) a passé en revue les raisons de ce désamour. Des pistes ont par ailleurs été avancées pour corriger les choses. Sur fond d'interrogations sur l'évolution du métier.

Proches du terrain, au contact des administrés et en charge de tâches très diverses, dont le suivi des principaux projets communaux, les quelque 23.300 secrétaires de mairie ne connaissent pas la "routine", même après de nombreuses années d'exercice. C'est le cas de Marie-Françoise Gicquel, directrice générale des services d'Abbaretz (Loire-Atlantique), qui a livré son témoignage le 16 septembre, au cours d'un colloque consacré à cette fonction, organisé à Paris par le Syndicat national des directeurs généraux des collectivités territoriales (SNDGCT) et l'Association des directeurs généraux des communautés de France (ADGCF). Un récit personnel suivi d'un autre, celui d'une jeune secrétaire de mairie, qui s'est définie comme le "couteau suisse" qui épaule le maire. Mais la polyvalence qui définit la fonction et concourt à son attrait, a son revers : les secrétaires de mairie – à 94% des femmes – doivent s'adapter en permanence aux multiples évolutions de la gestion publique locale et de l'environnement normatif. Sans toujours pouvoir suivre des formations, car il n'est pas facile de remplacer ces agents à la mairie.

De nombreuses secrétaires de mairie présentent leurs doléances sur des pages Facebook. Certaines disent ne plus supporter leur surcharge de travail, l'obligation de tenir une permanence certains samedis, ou encore leur isolement qui n'aurait fait que s'aggraver avec le désengagement des services de l'Etat. Certaines redoutent aussi qu'avec la montée en puissance des intercommunalités, leur métier ne disparaisse purement et simplement. Sur un millier de secrétaires de mairie des Hauts-de-France ayant répondu à une récente enquête universitaire (voir ci-dessous), plus de 200 partagent cette opinion. Autre écueil : l'obligation qu'ont beaucoup d'entre elles de cumuler les postes de secrétaire de mairie dans plusieurs petites communes – jusqu'à six dans un département rural comme la Haute-Saône – afin de parvenir à un temps plein. Et donc de réaliser chaque jour de longs trajets avec leur véhicule personnel.

"Les maires sont inquiets"

Avec un traitement qui, pour celles qui sont en catégorie C – c'est-à-dire la majorité – s'établit en moyenne à un peu moins de 1.600 euros nets par mois, les intéressées peinent parfois à éprouver encore de la motivation. Et alors qu'un tiers des secrétaires de mairie vont partir à la retraite d'ici la fin de la décennie, les candidats à la fonction sont rares. Il n'est donc pas étonnant que ce métier soit, dans le monde local, l'un de ceux qui connaissent les plus fortes tensions de recrutement.

Selon Murielle Fabre, secrétaire générale de l’Association des maires de France (AMF), les maires sont "inquiets" de la situation. Lorsque les recrutements prennent jusqu'à 12 mois, ils doivent assumer seuls leurs responsabilités, "sans aide à la décision". La situation est particulièrement épineuse lorsque le maire débute son premier mandat. Car la secrétaire de mairie est "la mémoire de la collectivité". "C'est elle qui saura retrouver les dossiers et vous dire ce qui s'est passé sur tel ou tel projet", souligne la maire de Lampertheim (Bas-Rhin).

Mais cette élue de caractère ne croit pas en la fatalité. Les 26 propositions sur "les dispositions statutaires, les situations d'emploi, la formation, les fiches de poste, les carrières, la mobilité, mais aussi le traitement salarial et indiciaire", que l'AMF a rendues publiques il y a un an, "font consensus", se réjouit-elle. "Aujourd'hui, nous avons en main toutes les pistes et propositions", insiste-t-elle. En regrettant toutefois que très peu d'entre elles aient été jusqu'à maintenant mises en œuvre.

Quand l'intercommunalité prend la main

Murielle Fabre a dit croire en un "travail partenarial", qui devra nécessairement impliquer l'Etat. Localement aussi, les acteurs sont appelés à unir leurs forces pour prendre à bras le corps le sujet. Beaucoup n'ont pas attendu : le colloque a permis de faire remonter plusieurs initiatives locales.

Côté formation, des universités (Saint-Etienne, Rouen, Bordeaux…) proposent, souvent en lien avec les centres de gestion, des licences professionnelles dédiées aux métiers de l'administration publique locale, voire des diplômes universitaires (Nancy, Limoges) de secrétaire de mairie.

Pour attirer davantage de candidats notamment sur des postes à temps non complet, des communes ont créé des groupements d'employeurs. D'autres ont joué la carte de la mutualisation sous l'impulsion de leur intercommunalité. C'est le cas des 48 communes qui composent la communauté de communes de Mad & Moselle. 30 secrétaires de mairie du territoire sont employées au sein d'un service commun géré par l'intercommunalité et mises à la disposition des communes. Jean-Charles de Belly, directeur général des services, n'y voit que des avantages : des postes à temps complet sont proposés aux secrétaires de mairie, qui par ailleurs bénéficient d'avantages sociaux, de formations internes et de possibilités d'évolution de carrière au sein des services de la communauté de communes. Celle-ci n'agit pas uniquement dans l'intérêt des communes, puisqu'elle peut compter elle-même sur les secrétaires de mairie pour la mise en œuvre de certaines de ses politiques (la redevance incitative par exemple). Une telle mutualisation profite aussi aux administrés. Ils pourront prochainement appeler au téléphone un "numéro unique" de renseignements. Au bout du fil, une secrétaire de mairie de permanence leur répondra.

Mieux faire connaître le métier

Mais une mutualisation aussi poussée "est inquiétante pour les maires", puisqu'ils se trouvent dessaisis de leurs responsabilités d'employeur, a pointé Stéphane Pintre, DGS de la mairie d'Antibes, qui présidera le SNDGCT jusqu'à la fin de l'année. Attention, a-t-il dit, à "trouver des solutions qui respectent la souveraineté des petites communes". Celles-ci existent. Une communauté de communes de Haute-Savoie a par exemple créé un poste de "secrétaire de mairie itinérante". La personne a vocation à aider les maires à recruter leur secrétaire de mairie et à former celle-ci, si nécessaire. Il est possible aussi qu'elle effectue des remplacements.

Des intercommunalités sont aussi à l'origine de la création de réseaux d'échanges entre les secrétaires de mairie, dans le but de rompre leur isolement. Il peut s'agir, mais plus rarement, de les associer à la "production des politiques publiques".

Les réponses à la question de l'attractivité des emplois de secrétaires de mairie "relèvent de la coopération à l'échelle du bassin de vie" et, en aucun cas, il n'existe de "solution unique", a conclu Hélène Guillet, directrice générale du centre de gestion de Loire-Atlantique et prochaine présidente du SNDGCT.

Mais il reste beaucoup à faire. Les secrétaires de mairie doivent avoir "plus de visibilité" : il faut "rendre compte de ce que vous faites", a conseillé Murielle Fabre à celles qui se trouvaient dans la salle. Plusieurs témoignages ont effectivement mis en avant le déficit de notoriété dont souffre le métier auprès du grand public. Les candidats ont parfois des "représentations fausses" de la fonction, a abondé une professionnelle en poste dans un centre de gestion.

Toutefois, si l'appellation "secrétaire de mairie" présente bien des défauts, lui trouver un remplaçant reflétant mieux les différents aspects du métier – ce qui était envisagé, fin 2021, par la ministre en charge de la fonction publique, Amélie de Montchalin – n'est pas la priorité, ont clairement indiqué les professionnelles présentes.

  • Portrait des secrétaires de mairie

Peu de travaux scientifiques s'étaient penchés jusqu'à présent sur les secrétaires de mairie. C'est dire tout l'intérêt d'une enquête que Sébastien Vignon, maître de conférences en sciences politiques à l'université de Picardie, vient de réaliser dans les Hauts-de-France et dont il a restitué les résultats lors du colloque. Un millier de secrétaires de mairie y ont répondu, permettant de brosser un portrait relativement précis de ces professionnels.
On retiendra que 64% d'entre eux relèvent de la catégorie C, 20,5% de la catégorie B et 15,5 % de la catégorie A. Autre enseignement : la moitié des secrétaires de mairie à temps complet exerce dans une seule mairie. Pour les autres, c'est en cumulant deux (27%), voire trois et plus (23%) mairies qu'ils atteignent cette quotité de travail.
Seule une minorité de candidats à la fonction (16%) accède au poste en étant titulaire d'un concours. L'accès au poste a pu constituer une opportunité de reclassement professionnel ou de reprise d'une activité professionnelle après une période de chômage, ou encore compenser l'échec d'un projet professionnel. Une part importante de secrétaires de mairie passe le concours une fois entrés en fonction. Précisons toutefois que 20% des secrétaires de mairie n'ont pas le statut de fonctionnaire.
Largement majoritaires, les femmes ont des conditions de travail plus précaires que les hommes : elles sont plus souvent à temps partiel et relèvent plus souvent de la catégorie C.