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AMF, ADF, Régions de France - Refuser la contractualisation pour résister à toute "recentralisation"

Hervé Morin, Dominique Bussereau, François Baroin. Les présidents des trois principales associations d'élus locaux – Régions de France, Assemblée des départements de France (ADF) et Association des maires de France (AMF) – étaient exceptionnellement réunis ce mardi 10 avril face à la presse. Sans doute, même, s'agissait-il d'une première. Une façon pour ces trois élus et les associations pluralistes qu'ils représentent d'"alerter l'opinion publique" sur ce qui se dessinerait selon eux du côté de l'exécutif : une "reprise en main" par l'Etat d'un certain nombre de politiques publiques, une "recentralisation rampante et souterraine" mais "extrêmement puissante".
Ils assurent ne pas être dans une posture politique, avoir salué les débuts prometteurs de dialogue en début de quinquennat, avoir fait preuve de "bienveillance" et de "bonne volonté", être "raccords" avec l'exécutif sur certains dossiers... Mais, tranche Hervé Morin, "sur les libertés locales, on ne s'y retrouve pas". Et ce, malgré le principe de différenciation territoriale devant prendre place dans le cadre de la future réforme constitutionnelle. Malgré, aussi, les nombreuses occasions de discussions avec le gouvernement. "On ne compte plus les réunions... Mais derrière, il ne se passe rien", affirme François Baroin. "Le dialogue est courtois mais au final, nous n'obtenons pas de réponse", dit de même Dominique Bussereau.

Apprentissage, petites lignes, PAC...

Chacune des associations a ses propres motifs d'insatisfaction. Du côté de Régions de France, le dossier le plus lourd et le plus actuel est bien la réforme de l'apprentissage qui, en dessaisissant les régions, risquerait d'entraîner à terme la fermeture de "près de la moitié des CFA", soit "6.000 à 7.000 formations". Ce qui se traduirait par une "concentration" sur les pôles urbains les plus denses et attractifs et donc par "le déshabillage" de territoires ruraux qui "n'auront plus que des miettes", selon les termes d'Hervé Morin. "Ce sont les branches qui détermineront depuis Paris ce qu'elles verseront aux CFA pour former chaque apprenti", indique en outre le document diffusé ce 10 avril (à télécharger ci-dessous). "Nous avons passé des dizaines d'heures à travailler sur cette réforme avec le gouvernement, avons été très coopératifs, jusqu'à une dernière réunion de bouclage avec le Premier ministre... et au final, le texte présenté en fin de semaine dernière par Muriel Pénicaud ne correspond pas", regrette le président de Régions de France. Celui-ci liste de même d'autres sujets lourds d'enjeux du point de vue des régions : la formation professionnelle, l'avenir des "petites lignes" ferroviaires et de leur financement suite au rapport Spinetta, le devenir du deuxième pilier de la PAC et des fonds européens, la "mauvaise exécution" des contrats de plan Etat-régions...

AIS : vers une contribution de 200 à 250 millions d'euros

S'agissant de l'ADF, les deux sujets sensibles sont désormais bien connus : les mineurs non accompagnés (MNA) et les allocations individuelles de solidarité (AIS). Dominique Bussereau a rappelé que plus de 50.000 mineurs étrangers se sont présentés l'an dernier et qu'environ 20.000 ont été pris en charge par les services de l'aide sociale à l'enfance. Sur les AIS, après des années de fonds d'urgence "qui ne résolvent en rien des enjeux financiers colossaux induits par le financement de ces allocations", la nouvelle réponse du gouvernement consisterait à prévoir dans la prochaine loi de finances une enveloppe de 250 millions d'euros, a indiqué le président de l'ADF. Le secrétaire d'Etat Olivier Dussopt l'avait d'ailleurs évoqué en fin de semaine dernière lors d'une audition à l'Assemblée : sachant que "le reste à charge pour les départements s'élève à 1 milliard ou à 600 millions d'euros, selon le mode de calcul", le gouvernement envisagerait bien "une contribution supplémentaire d'au moins 200 millions", accompagnée d'un "renforcement de la péréquation départementale" pour arriver à la fourchette basse de 600 millions.
Pour l'AMF, François Baroin a évoqué à la fois la baisse de la dotation forfaitaire qui toucherait "plus de 22.000 communes", la suppression de la taxe d'habitation, "l'alerte rouge" sonnée par les élus de banlieue, les incertitudes concernant les emplois dans la fonction publique, "la fusion des organismes Hlm qui aura des conséquences directes sur l'entretien des bâtiments"... Sur le terrain du logement, le dossier de presse souligne plus globalement que le projet de loi Elan entérine "l'exercice par l'intercommunalité de la plupart des compétences en matière d'habitat" et d'urbanisme, portant ainsi "atteinte à la légitimité du maire".

"Notre refus intervient au nom d'un principe"

En l'état actuel des choses, aucune des trois associations d'élus n'envisage d'inciter ses membres à s'engager dans la contractualisation visant à la maîtrise des dépenses de fonctionnement. En sachant que ces contrats, qui avaient été présentés par l'exécutif comme une déclinaison du "pacte de confiance" entre l'Etat et les collectivités, doivent en principe avoir été signés avec les préfets d'ici le 30 juin. "Nous ne signerons pas ces contrats, c'est une décision du Conseil de Régions de France", a fait savoir Hervé Morin. Tout en indiquant que dans les faits, "le 1,2% ne posait aucun problème" aux régions dans la mesure où "elles sont déjà toutes sous les 1,2%" (taux d'évolution annuelle des dépenses de fonctionnement ne devant pas être dépassé). "Notre refus intervient au nom d'un principe : les collectivités n'ont pas à être sous la tutelle de l'Etat", a-t-il précisé. Mais l'élu d'ajouter in fine : "Si le gouvernement change de logiciel, il n'y a pas de raison qu'on ne revienne pas dans le chemin de la discussion"...
La position de l'ADF est comparable et n'est pas nouvelle : "Les départements ne sont pas décidés à signer les contrats. Les préfets attendent toujours notre visite !", a redit Dominique Bussereau. "A l'AMF, nous n'y sommes pas favorables. Ce n'est pas un contrat, c'est un encadrement. Mais chaque collectivité est libre de signer ou pas", a quant à lui indiqué François Baroin.

Exclure toute une série de dépenses

Le principe de la contractualisation ne semble toutefois pas totalement exclu. Les trois associations d'élus ont en effet pris soin de détailler dans leur document commun ce qu'elles considèrent comme "les indispensables modifications" du dispositif prévu par la loi de programmation pour les finances publiques et détaillé par l'instruction du 16 mars.
"Suite à la publication de cette circulaire, les premières remontées que nous avons eues de la part des maires, c'est qu'il n'y a aucune marge de manœuvre. Notamment pour les collectivités qui ont déjà assaini leur situation financière – il n'y a pas d'encouragement pour les villes qui ont été bien gérées", a témoigné François Baroin.
Parmi les demandes d'évolution listées dans l'"anti-circulaire" des élus : que soient prises en compte les recettes d'exploitation des services locaux, que les chambres régionales des comptes puissent intervenir comme "tiers de confiance" lors des négociations avec les préfets, que les retraitements comptables figurent clairement dans les contrats... Et surtout, que toute une série de dépenses soient exclues du calcul : les conséquences financières des mesures décidées par l'Etat, les dépenses de fonctionnement "vertueuses" (liées au déploiement du très haut débit par exemple), les dépenses sur lesquelles les collectivités n'ont qu'un rôle de gestion de fonds perçus, les dépenses imprévues, les flux entre la commune et son intercommunalité...
Les associations d'élus préviennent en outre que les collectivités pourraient renoncer à certains investissements dans la mesure où pratiquement tout investissement génère des dépenses de fonctionnement supplémentaires. Enfin, elles attendent de l'Etat des contreparties solides, notamment sur "le respect intégral de ses engagements dans les CPER".

Des choses "à peaufiner"

Les 5 et 6 avril à Dijon, lors des journées nationales de France urbaine, les élus de grandes villes et intercommunalités avaient eux aussi fait part de leur attentes pour des contrats plus souples. Même si l'association présidée par Jean-Luc Moudenc avait très tôt adhéré à l'idée d'une démarche contractuelle, aujourd'hui, les craintes et les demandes d'amélioration exprimées par les uns et les autres semblent se rejoindre en grande partie. En sachant que le Premier ministre Edouard Philippe, lors de son intervention à Dijon, a bien esquissé quelques gestes d'ouverture, dont le fait que certaines dépenses spécifiques pourraient être "retraitées" et "neutralisées". Dont, aussi, l'éventualité d'une clause de revoyure. Il a en tout cas laissé entendre qu'au-delà de la fameuse instruction, les choses ne seraient pas totalement figées : "Nous inventons une nouvelle grammaire qu’il faut peaufiner". Visiblement, pour l'AMF, l'ADF et Régions de France, le compte n'y est pas encore.

 

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