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LEC - Rennes Métropole se prépare à expérimenter le "loyer unique" dans son parc social

Rennes Métropole devrait être la seule intercommunalité à expérimenter le "loyer unique" prévu à l'article 81 de la loi Egalité et Citoyenneté du 27 janvier 2017. Ce dispositif vise à établir les niveaux de loyers des logements sociaux en fonction de leur typologie (T1, T2…) et non de leur localisation, de leur ancienneté, de leur mode de financement ou encore de leur bailleur. Premiers pas d'un outil ambitieux pour lutter contre la ségrégation spatiale.

Un T2 en centre-ville de Rennes au même prix qu'un T2 dans l'écoquartier de La Courrouze ou dans l'ancienne ZUP du Blosne ? La loi Egalité et Citoyenneté, à laquelle Localtis a récemment consacré un article sur le volet Logement (voir notre article ci-dessous du 28 avril 2017), permet d'expérimenter le "loyer unique" imaginé par Rennes Métropole pour permettre aux locataires HLM de l'agglomération de choisir leur lieu de vie indépendamment de leur niveau de ressources. Car aujourd'hui, à Rennes comme ailleurs, c'est la politique des loyers qui "conduit, de fait, à l’assignation à résidence des ménages les plus pauvres dans les quartiers", est convaincue Nathalie Demeslay, responsable du service habitat de la métropole qui n'en est pas à sa première expérimentation.
Pour lutter contre la ségrégation spatiale, l'intercommunalité rennaise a en effet, dès le début des années 2000, initié le "scoring" à la française. Un dispositif systématiquement montré en exemple dans le cadre de la réforme des attributions (voir notre article ci-dessous du 24 mai 2013), envié et copié par la capitale (voir notre article Paris va passer à un système par points pour l'attribution des HLM du 20 septembre 2012), mais qui aurait montré ses limites. Car même avec le scoring, avec un parc social en bon état et des opérations Anru ambitieuses, "nous ne parvenions pas à diversifier la population des quartiers", a constaté Nathalie Demeslay qui en conclut, étude à l'appui, que "c’est la structure même de l’offre qui a conduit à cette ségrégation spatiale".

Une "spécialisation du peuplement" des patrimoines et des territoires

Les résultats d'une étude conduite par Rennes Métropole sur l’occupation sociale de son parc, témoignent en effet d'une "spécialisation du peuplement des patrimoines et des territoires". Côté patrimoines, les niveaux de loyers mensuels (toutes surfaces confondues) varient de 318 euros à 358 euros en moyenne selon les quatre principaux bailleurs locatifs sociaux opérant sur le territoire, les deux OPH Archipel Habitat et Néotoa et les deux ESH Espacil (groupe Action Logement) et Aiguillon Construction.
Côté territoires, l'étude constate une concentration des bas loyers dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV), avec une différence pouvant aller jusqu’à 38 euros entre la moyenne des loyers des QPV et celle de l’ensemble du parc d’un même bailleur. De fait, "les quartiers de Maurepas et du Blosne [deux QPV rennais] concentrent 60% des attributions aux ménages ayant les plus faibles revenus, contre 36% dans les communes hors Rennes", relève la métropole. "L’objectif politique que nous nous sommes fixé en matière de mixité n’est donc pas atteint, constate Nathalie Demeslay. Nous ne pouvons pas garantir au demandeur un accès égal sur le parc social."

Un loyer par typologie basé sur les APL

Avec la mise en place du loyer unique, Honoré Puil, vice-président de Rennes Métropole en charge du logement, vise trois objectifs : "assurer le même niveau d’accessibilité quel que soit l’âge, la localisation ou le mode de financement du logement" ; "dé-spécialiser les territoires" ; "garantir un niveau d’accessibilité équivalent chez chacun des bailleurs".
Concrètement, le loyer ne tiendrait plus compte de la surface du logement ni de sa localisation, ni du type de financement (PLAI, PLUS, PLS…) mais serait fixé en fonction de sa typologie (T1, T2, T3…) et basé sur les niveaux des APL. "Un logement prévu pour une personne serait au niveau de loyer d’un APL pour une personne, un T2 au niveau de l’APL pour deux… Ainsi, les ménages les plus pauvres, qui touchent 100% des APL, seraient totalement solvables", explique Nathalie Demeslay.
Un logement aux caractéristiques identiques coûterait donc le même prix dans le centre-ville de Rennes qu’en banlieue ou dans une commune périphérique. Le loyer pourrait cependant être majoré "d’environ 10%" pour tenir compte du différentiel de charges favorable aux locataires d’un logement neuf ou rénové, précise la métropole.

Amendement "Appéré"

La collectivité a débattu de son idée de loyer unique avec les services de l’Etat dans le cadre du groupe de travail d’EPCI volontaires pour réformer la politique d’attribution de logements HLM, en amont du projet de loi Egalité et Citoyenneté (l’application de cette mesure supposant de déroger au code de la construction et de l'habitation). C’est un amendement déposé en commission par la sénateur-maire de Rennes, Nathalie Appéré (voir notre article ci-dessous du 23 juin 2016), qui est ainsi à l’origine de l’article 81 de la loi du 27 janvier 2017 autorisant l’expérimentation (voir notre encadré).
Parallèlement, avant même que la loi Egalité et Citoyenneté ne fusionne la convention d’équilibre territorial et l’accord collectif intercommunal en une convention intercommunale des attributions (CIA), la métropole a adopté par anticipation en juillet 2016 sa propre CIA. Elle a inscrit dans ce document la mise en place d’un loyer unique "commun à l’ensemble des bailleurs et des communes, défini par la typologie de logement et par zone, et aligné sur les capacités financières des ménages les plus modestes en visant une couverture APL optimisée".
Le conseil de Rennes Métropole a adopté, le 30 mars dernier, une délibération autorisant l’envoi d’une candidature à cette expérimentation. Le courrier au ministère du Logement est parti début avril et doit maintenant être validée par un décret, attendu d’ici juin.

34.210 logements sociaux concernés

Reste à préciser "les modalités opérationnelles de mises en œuvre de cette réforme dans le cours de l’année 2017" avant une application "progressive", à partir du premier semestre 2018, pour les logements neufs, et les logements anciens lors de leur relocation ou après d’importants travaux de réhabilitations, indique la métropole. A noter que le loyer unique concernera les 43 communes de l’EPCI, mais uniquement les appartements de type PLAI ou PLUS (pas PLS), "le cœur du problème", selon Honoré Puil, soit 34.210 logements sociaux sur les 48.000 que compte la métropole (environ 71% du parc).
Bien que tous les bailleurs aient accepté le principe de cette expérimentation, "nous avons encore un gros travail technique à réaliser", prévient Honoré Puil, car les conditions opérationnelles ne sont pas simples. Il juge cependant que ce projet sera facilité par le fait de n’avoir "que" quatre bailleurs autour de la table, et par une "vieille tradition de discussion et d’échanges avec les bailleurs sociaux", bien ancrée à Rennes.
L’association départementale des organismes HLM, ADO 35, souligne en effet que "l’ensemble des organismes concernés sont engagés aux côtés de Rennes Métropole dans cette initiative". Elle-même se déclare ouverte pour "préciser le contenu précis, le périmètre, les impacts économiques et sociaux, les modalités et l’évaluation" de l’expérimentation.

"Le logement social n’a pas à suivre une logique de marché"

A ceux qui avance que ce système pourrait générer de la vacance dans le parc ancien ou situé dans des zones moins favorisées (puisqu’à loyers équivalents, ces logements seront moins attractifs), Nathalie Demeslay répond que "de toute façon, le quota qui fixe à maximum 50% le taux des ménages les plus pauvres dans les QPV dans la loi Egalité et Citoyenneté (art. 70) générera de la vacance". Et à l’inverse, ajoute Cécile Bélard du Plantys, directrice générale de l’OPH Archipel Habitat qui gère 35% du parc social de la métropole et 40% de celui de Rennes, "vouloir éviter la vacance à tout prix en obligeant les ménages à aller là où personne ne veut aller n’est pas non plus satisfaisant". Honoré Puil insiste, lui, sur le fait que "le loyer unique, à lui seul, ne réglera pas tous les problèmes" et qu’il faudra "continuer à travailler sur l’attractivité des logements sociaux et faire de la diversité immobilière".
Le succès de cette nouvelle politique des loyers à la rennaise est aussi conditionné par la politique de rénovation urbaine de la métropole. "On part ainsi du principe que le logement social n’a pas à suivre une logique de marché, mais une logique de service public. C’est donc à nous de faire en sorte que la qualité soit la même partout, via le NPNRU", insiste Cécile Bélard du Plantys.
 

Ce que dit la LEC
Les intercommunalités peuvent expérimenter, durant 5 ans, une politique des loyers visant à faire converger l'ensemble des loyers pratiqués au sein du parc locatif social vers un niveau de loyer maîtrisé, identique à tous les logements d'une typologie donnée. La loi fixe une limite générale pour ce loyer cible. L’EPCI doit être déjà engagé dans une politique volontariste en matière d'habitat (existence d'un PLH, d'un PPGDLSID, d'un accord collectif, d'une convention d'équilibre territoriale - art.8 de la loi Lamy -, EPCI délégataire des aides à la pierre...). Les EPCI candidats avaient 3 mois à compter de la publication de la loi (soit jusqu'au 27 avril 2017) pour se faire connaître. Un décret établira la liste des EPCI admis à participer (art.81). Seule Rennes Métropole devrait figurer sur ce décret selon le ministère du Logement, car même si d’autres intercommunalités se sont montrées intéressées, elles ne remplissent pas toutes les conditions prévues par la loi et "attendent de voir" comment se déroulera l’expérimentation rennaise.